29 October 2019

Morts insolites en Nouvelle-France


Vanité en perruque. Anonyme. Terre cuite.
Galerie d'art Colnaghi, Londres.
Source: Wall Street International Magazine

Lorsque j’étais jeune garçon, j’ai développé un penchant pour l’insolite, surtout en ce qui concerne notre relation avec la mort. Cette fascination pour le macabre a été particulièrement influencée par Edgar Allan Poe, Vincent Price et combien d’autres encore... Si le sujet de la mort semble glauque pour plusieurs, je trouve au contraire qu’il est tout naturel d’en être captivé. Après tout, comme écrivait Molières, « On ne meurt qu’une fois, et c’est pour si longtemps »… Pour ceux et celles qui ont une semblable curiosité, je vous recommande l’intrigante anthologie Morts tragiques et violentes au Canada. 17e et 18e siècles par Léonard Bouchard (Québec, Publications audiovisuelles, 1982, deux tomes). Je vous partage quelques-unes de mes morts insolites préférées tirées de cet ouvrage.

D’abord, on oublie trop souvent que même après près d’un siècle de colonisation, la Nouvelle-France au début du 18e siècle demeure tout de même assez sauvage. C’est une leçon apprise aux dépens de François La Valtrie et de Louise Le Siège alors que leur fils François-Ignace, âgé de huit ans, et Jean-Baptiste, six ans, se font « égorger » dans leur sommeil par un ours à Saint-Sulpice dans la nuit du 6 au 7 novembre 1706 (p. 336). 

La forêt elle-même devient dangereuse, surtout pendant la saison des incendies : c’est le cas d’Angélique Bouteiller, âgée de 38 ans et mère de 11 enfants, qui périt dans un feu de forêt en juillet 1754 (p. 70). Il est intéressant à noter qu’au mois d’avril dernier, le blogue Journal of the American Revolution publiait l’article Killer Trees of the Revolution de Joseph Lee Boyle. Comme le titre du billet l’indique, il s’agit d’une compilation d’anecdotes portant sur les gens tués par des arbres pendant la Révolution américaine. En Nouvelle-France, les arbres sont tout aussi « agressifs », si l’on veut… Bouchard ne recense pas moins de 17 victimes! Pour ne nommer que quelques exemples, retenons entre autres Jacques Bluteau qui a « la tête écrasée par la chute d’un arbre sec » (p. 55; sans date), ou bien Louis Côté qui se fait tuer par une branche morte qui lui tombe sur la tête à Détroit en 1762 (p. 119). De plus, les accidents liés aux arbres ne sont pas tous dus au hasard : c’est le cas de Charles Goguet lorsque l’arbre qu’il coupait lui est tombé sur la tête en 1754 (p. 231). D’autre fois, ce n’est pas l’arbre lui-même qui est en cause, mais plutôt le résultat de la coupe : En novembre 1711 à Charlesbourg, Pierre Lereau se fait « écraser sous son voyage de bois » (p. 363).

Lorsqu’on pose un piège, il y a deux règles simples à suivre : d’abord, ne pas tomber dans le sien, et ensuite, ne pas tomber dans celui d’un autre. Qu’importe à qui appartenait le piège à ours dont il est question ici, il en demeure que Pierre Joncas a eu le malheur de s’y faire prendre le 22 août 1704 (p. 273).

Lorsque les esprits s’échauffent, mieux vaut s’éloigner, surtout si son adversaire est porteur d’une épée… voilà un conseil qui aurait servi à plusieurs sous le Régime français! Retenons seulement que cet exemple puisque le sujet a déjà été touché par Aegidius Fauteux : Henri Bégard et le sergent Dubé s’affrontent en duel en 1698. Alors que Dubé réussira à s’échapper de la loi, Bégard, malchanceux, goûte la lame de son rival. La mort ne l’empêche pas d’être puni, toutefois : les autorités s’assurent « …que sa mémoire demeure condamnée, éteinte et supprimée à perpétuité, que tous ses biens soient confisqués et remis au roi, que son cadavre, après avoir été attaché par l’exécuteur des hautes œuvres au derrière d’une traîne, sur une clôture en fer, la tête en bas et la face contre terre, soit jeté aux ordures » (p. 38).

La foudre est l’un des instruments les plus spectaculaires de la Grande Faucheuse : Bouchard recense plus d’une douzaine de morts foudroyés. Ne retenons que deux exemples. Le 19 juin 1728, précisément à 18h, le cultivateur Antoine Bilodeau se fait foudroyer dans sa maison à Berthier-en-Bas (p. 50). Parfois les éclairs font d’une pierre deux coups, tel qu’il arrive à Louis Bourassa et son fils Jean, tués sur le chemin du retour entre Québec et Saint-Nicolas de Lévis en juin 1751 (p. 66).

Ces deux prochains cas dépassent le Régime français de quelques années, mais méritent tout de même une mention pour ce que je considère être mourir de manière la plus canadienne possible... Le 19 avril 1771 à Bécancour, Joseph Ducharme, 3 ans, meurt ébouillanté lorsqu’une chaudière de sirop d’érable en préparation renverse sur lui accidentellement (p. 171). Moins horrifique, mais tout aussi tragique, Jean-Baptiste Pleau meurt aux Écureuils, écrasé par sa traîne tandis qu’il tirait de l’eau d’érable (p. 465).

Parlant de liquides, gare aux puits! En juin 1755, un enfant de 3 ans, François Rognon, se noie dans un puits à Saint-Antoine de Tilly (p. 495). Les enfants ne sont pas les seuls à se noyer de la sorte : en juillet 1690, Louis Manié, 30 ans, connait une mort semblable à Québec (p. 385).

Bref, ce qui précède n’est qu’un échantillon des nombreuses façons de mourir en Nouvelle-France. Accidents, violences, maladies… autant de moyens de rejoindre l’au-delà de manière macabre et tragique.

Source: Gallica

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