08 September 2011

War That Made America

Aujourd'hui, le 8 septembre, se trouve à être le 251e anniversaire de la capitulation de Montréal. Pour souligner l'anniversaire, je vous invite à écouter le documentaire The War That Made America, produit par PBS. Basé sur l'oeuvre monumentale de Fred Anderson, c'est de loin le meilleur documentaire jamais tourné au sujet de la Guerre de Sept ans. Également, je suggère fortement d'acheter le DVD qui, en plus de contenir tous les épisodes du documentaire sur deux disques, compte aussi des discussions fascinantes entre historiens.


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07 September 2011

Gare au loup-garou de Québec!

SUIVIS 07/07/2013: Écoutez mon extrait au sujet de lycanthropie au Québec pour l'émission 3600 secondes d'histoires diffusé ici : lien.

28/12/2021: Pour mieux comprendre d'où provient cette histoire de loup-garou, il faut se tourner vers l'excellent livre de Jay Smith, Monsters of the Gévaudan: The Making of a Beast (Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 2011. 378 p.). L'auteur y démontre que la figure de "la" Bête est en réalité une création artificielle des gazettes de l'époque. Quoiqu'il est vrai que le Gévaudan vivait une période où les attaques de loup augmentaient, celles-ci se font rapporter par les médias comme l'oeuvre d'une seule créature maléfique. En somme, il s'agit d'un des premiers phénomènes de médias de masse en Europe. On ne s'étonne donc pas que la Gazette de Québec reprend cette histoire (citant carrément la bête du Gévaudan!) pour lui donner une saveur locale. On remarquera d'ailleurs que ces deux extraits sont imprimés pendant des périodes où les nouvelles sont lentes à défaut de nouveaux navires arrivant d'Europe au port de la ville.  

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L’an passé sortait le film Le Poil de la Bête. Pour ceux qui ne l’ont toujours pas vu, voici la bande-annonce :


Comme vous avez pu le constater, la prémisse du film est qu’un loup-garou rôde en Nouvelle-France et c’est à nos héros d’en débarrasser la colonie. Alors, mythe, ou réalité?
Bien sûr, je ne suis pas en train d’insinuer que les loups-garous existent, mais plutôt, je pose la question : est-ce qu’on parlait d’eux à l’époque de nos ancêtres français? La réponse est oui, et non!
C'est-à-dire, le mythe du loup-garou, comme en Europe, était bel et bien présent. Après tout, la Nouvelle-France était en quelque sorte une extension de la mère patrie. D’ailleurs, qui peut nier que nos bois automnaux le soir ne sont pas le théâtre parfait pour stimuler l’imaginaire, celui-ci méprenant pour une seconde le son d’une brindille qui casse pour celui d’un monstre sanguinaire?
Toutefois, à ce que je sache, aucune histoire de loup-garou ne paraît dans les archives coloniales. C’est à en déduire que les histoires de lycanthropies — c’est-à-dire de loup-garou — étaient vouées à l’oralité. Du moins, jusqu’à l’apparition du premier journal de Québec immédiatement après la Conquête. Voici ce qu’on écrit dans la Gazette de Québec le 21 juillet 1766* :
L’on apprend de St. Roch, près du Cap Mouraska, qu’il y a un Loup garou qui court les côtes sous la forme d’un Mendiant; qui, avec le talent de persuader ce qu’il ignore, et en promettant ce qu’il ne peut tenir, a celui d’obtenir ce qu’il démande. On dit que cet Animal, avec le secours de ses deux pieds de derriére, arriva à Québec le 17 dernier, et qu’il en repartit le 18 suivant, dans le dessein de suivre sa mission jusques à Montréal. Cette bête est, dit-on, dans son espece, aussi dangéreuse que celle qui parut l’année derniére dans le Gévaudan; c’est pourquoi l’ont exhorte le public de s’en méfier comme d’un Loup Ravissant.
Et en anglais :
By accounts from St. Rock, near Cap Mouraska, we learn, that there is a Ware Wolf wandering about that Neighbourhood, in the Form of a Beggar, which, to the Talent of persuading People to believe what he himself is ignorant of, and promising what he cannot perform, adds that of obtaining what he desires. It is said that this Animal came, by the Assistance of his two hind Legs, to Quebec the 17th of last Month, and set out from hence the 18th following, with a Design to persue his Errand to Montreal.—This Beast is said to be as dangerous as that which appear’d last Year in the Country of Gevaudan; wherefore it is recommended to the Public to be as cautious of him as it would be of a ravenous Wolf.
La Vallée du Saint-Laurent ne s’échappe pas aussi facilement des griffes de la bête (ou des histoires à coucher dehors!)… un an plus tard, elle réapparaît. On écrit le 10 décembre 1767 :
INTELLIGENCE EXTRAORDINAIRE
De Kamouraska, le 2 Decembre. Nous apprenons qu’un certain Loup Garoux, qui roule en cette province de puis plusieurs Années, et qui a fait beaucoup de dégat dans le district de Québec, à réçû plusieurs assaults considerables au mois d’Octobre dernier, par divers animaux que l’on avoit armés et dechainés contre ce monstre, et nottamment, le trois de Novembre suivant, qu’il reçu un si furieux coup par un petit animal maigre, que l’on croïoit être entierement delivré de ce fatal animal, vû qu’il a resté quelques tems retiré dans sa taniere, au grand contentement du public. Mais l’on vient d’apprendre, par le plus funestre des malheurs, que cet animal n’est pas entiérement défait, qu’au contraire il commence à [réapparaître] plus furieux que jamais, et fait un carnage terrible par tout où il passe. [Meffiez] vous donc tous des ruses de cette maligne Bête, et prenez bien garde de tomber entre ses pattes.
Et en anglais :
INTELLIGENCE EXTRAORDINARY
Kamouraska, December 2. We learn that a Ware-Wolfe, which has roamed through this Province for several Years, and done, great Destruction in the District of Quebec, has received several considerable Attacks in the Month of October last, by different Animals, which they had armed and incensed against this Monstre; and especially, the 3d of November following, he received such a furious Blow, from a small lean Beast, that it was thought they were entirely delivered from this fatal Animal, as it some Time after retired into its Hole, to the great Satisfaction of the Public. But they have just learn’d, as [the most upset] Misfortune, that this Beast is not entirely destroyed, but begins again to shew itself, more furious than ever, and makes terrible Hovock wherever it goes.—Beware then of the Wiles of this malicious Beast, and take good care of falling into its Claws.
Ce qui est comique, c’est de lire immédiatement après ce texte cette note de l’éditeur au sujet d’une autre histoire :
Nous avons reçu une Fable, si depouvus de bon sens et de raison, que nous ne l’avons pas jugée meriter une place dans cette Gazette.
Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec.


Bon. Revenons à nos moutons (ou nos loups!) À ce que je sache, une seule étude sur la légende du loup-garou au Québec a été écrite, et ce, par nul autre que Bryan Perro. Malheureusement, je n’ai pas réussi à retracer sa thèse écrite, je crois, pour sa maîtrise. Si quelqu’un pourrait m’aider à la retrouver, ça serait apprécié! Toutefois, je peux affirmer avec assez de certitude que j’ai raison de dire que le loup-garou n’apparaît nulle part dans les archives coloniales.
Et que dire de la peur du loup, si pas du loup-garou, en Nouvelle-France? Comme l’indique la recherche de Jean-Marc Moriceau, les Européens avaient bel et bien raison de craindre le loup. Cet historien a recueilli et analysé d’innombrables témoignages d’attaques de loups en France prérévolutionnaire et en conclus que les loups sont responsables d’au moins quelques milliers d’attaques depuis la fin du Moyen âge. Toutefois, le loup d’Amérique, peu importe la sous-espèce, est bien plus timide malgré les innombrables histoires du contraire. Depuis l’âge colonial à aujourd’hui, seuls deux cas confirmés d’attaque sur l’homme ont été relevés. L’une en Saskatchewan en 2005 (Voir : ce lien) et l’autre en Alaska en 2010 (Voir ce lien). Que conclure de cette comparaison? Fort probablement que le loup européen a été plus longtemps habitué à la présence de l’homme et a vécu une relation plus intime avec lui qu’en Amérique. Et pour devancer les apologistes du loup : Moriceau démontre que la vaste majorité de ces attaques n’étaient pas perpétrées par des loups enragés!
Ce sont donc des questions qui hantent les Français dans les régions où s’effectue en ce moment une tentative de réintroduction du loup… et sans surprise, dans certaines régions de l’Amérique du Nord aussi! Et vous, avez-vous toujours peur du loup?

Notes:
* La mauvaise date figure partout sur Internet. Malheureusement, c’est l’erreur d’un auteur qui s’est propagée. J’ai eu la chance de trouver la bonne date grâce à une photo de l’article originale présentée à la télévision québécoise dans une émission titrée Dossier Mystère, je crois. Voici le vidéo si vous voulez rire un peu d’une histoire de loup-garou moderne invraisemblable :


Quelques lectures suggérées :
BOIVIN, Aurélien (dir). Les Meilleurs contes fantastiques québécois du XIXe siècle. Montréal, Fides, 2001. 361 p.

Un must pour tout amateur du conte québécois. Ce livre contient aussi trois histoires de loup-garou de Wenceslas-Eugène Dick, Louis Fréchette, et Pamphile Lemay.
DELORT, Robert. Les animaux ont une histoire. Paris, Éditions du Seuil, 1993 [1984]. 507 p.

Un des livres fétiches de mon prof médiéviste.
DELUMEAU, Jean. La peur en Occident (XIVe-XVIIe siècles) : une cité assiégée. Paris, Faynard, 1978. 485 p.

Un classique, tout simplement!
GONTHIER, Claudet et Bernard Meney (dir). Treize contes fantastiques québécois. Montréal, XYZ, 2006. 300 p.

Un bon livre pour ceux qui commencent à s’intéresser au conte québécois. La deuxième moitié du livre s’agit d’un dossier qui explique le contexte des anciennes croyances au Québec, dont le loup-garou entre autres.
MORICEAU, Jean-Marc. La Bête du Gévaudan, 1764-1767. Paris, Larousse, 2008. 284 p.

Notre extrait de la Gazette mentionne la légendaire Bête du Gévaudan. Quoi de mieux qu’un vrai spécialiste des loups en France d’Ancien régime pour reconstituer l’histoire cette « bête » qui fit trois ans de ravages au XVIIIe siècle?
MORICEAU, Jean-Marc. Histoire du méchant loup : 3000 attaques sur l’homme en France (XVe-XXe siècle). Paris, Fayard, 2007. 623 p.

Cet ouvrage né d’efforts massifs au sein des archives paroissiales de la France prouve une fois pour toutes que le Français de l’ancien régime avait raison d’avoir peur du loup.