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28 September 2016

Un espion pendu

Voici une anecdote tirée de J.C.B. au sujet d'un espion qui est capturé juste avant la reddition de Montréal en 1760. Je dois double vérifier auprès d'autres sources dans l'optique de ma thèse de doctorat (surtout que J.C.B. n'était pas un témoin direct). Fascinant malgré tout!

Je cite ici une anecdote arrivée avant la prise de Montréal. Il y avait cinq jours que le général Murray était avec sa flotte monté de Québec et en présence où à la vue de Montréal; il attendait avec impatience l’armée du général Amherst lorsqu’il prit le parti de lui envoyer un espion qui était un Canadien, homme d’assez mauvaise figure et qui plus est contrefait, ce qui est contre l’ordinaire des habitants du pays généralement bien faits. Cet homme se présenta seul dans un petit canot au camp des Français établi à une demi· lieue de la ville; il s’arrêta à une tente, demanda à manger, fit plusieurs questions et entre autres s’informa de combien d’hommes l’armée française pouvait être composée; son air libre et ses questions donnèrent du soupçon aux soldats auxquels il s’adressa et comme ils ne le satisfirent pas, il passa à une autre tente où il ne fut pas plus satisfait, enfin il alla à une troisième où il fit les mêmes questions. Un soldat qui l’avait suivi par soupçon lui ayant entendu faire les mêmes demandes en avertit aussitôt son sergent qui interrogea cet homme qu’il ne trouva pas régulier dans ses réponses; alors il le fit garder à vue sans qu’il s’en douta et fut de suite en avertir le général Bourlamarque qui fit venir cet homme devant lui l’interrogea et le soupçonnant être un espion, il le fit fouiller et déshabiller; comme on ne trouva rien dans ses habits, on lui ôta sa chaussure et l’on trouva dans le pied de ses bas deux petites lettres ployées du chaussons et sans cachets; le général en prit lecture, c’était des invitations au général .Amherst pour qu’il se pressa d’avancer pour faire par terre le blocus de la ville, qu’on attendait après lui pour commencer le siège à tel jour et heure indiqués. Sur la vue de ces lettres le général Bourlamarque acquit la conviction de l’espionnage et donna l’ordre de pendre cet homme, ce qui fut exécuté sur le champ.

CASGRAIN, H.R. (éditeur). Voyage au Canada dans le nord de l'Amérique septentrionale fait depuis l'an 1751 à 1761 par J.C.B., Québec, Imprimerie Léger Rousseau, 1887. pp. 192-193.

17 May 2016

Tirer chevelure

Guerriers Iroquois par L.F. Labrousse dans
Labroque 1796  Encyclopédie des voyages

Je me suis enfin remis à lire les mémoires de Charles Bonin. Je vous reproduis ici sa description du "scalpage" ("tirer chevelure") pendant la guerre de Sept Ans : 
L’usage général lorsqu’un parti a fait un ou plusieurs prisonniers s’il ne peut les amener, il les tue à coups de casse-tête (petite hache dont il a été parlé plus haut) qui se frappe sur la tête. Le sauvage qui en a porté deux ou trois coups, prend aussitôt son couteau dont il fait une incision autour des cheveux, depuis le haut du front jusqu’à la marque du cou; mettant ensuite un pied sur l’épaule de la victime dont il a tourné le ventre contre terre, il lui tire à deux mains la chevelure de derrière en avant, ainsi qu’il a déjà été dit plus haut en parlant de la danse de la découverte. Cette opération qui est très prompte n’est pas plus tôt achevée que le sauvage l’attache à sa ceinture et continue sa route, cependant on n’emploie ce moyen que quand le prisonnier ne peut pas suivre celui qui l’a pris, ou que le sauvage est poursuivi et que dans ce dernier cas il veut rapporter des marques de sa bravoure, et alors, après avoir promptement levé la chevelure, il fait le cri de mort […] et se sauve à toutes jambes. Le cri de mort est un avertissement de bravoure que les sauvages ne manquent pas de pratiquer, après avoir levé la chevelure, les anglais nomment cela scarpeler. 
Lorsque la chevelure est levée et que celui qui a fait cette action ne craint pas qu’on le poursuive, il s’arrête, gratte la peau pour la nettoyer du sang et des fibres qui y sont attachés ; il la fait ensuite sècher un peu au soleil, après avoir fait un petit cerceau de bois vert autour duquel il étend la peau comme un tambour de basque et la peint en rouge les cheveux en dehors sont peignés. La chevelure arrangée, on l’attache au bout d’un long bâton qui est porté comme en triomphe sur une épaule, jusqu’au village, ou le lieu qu’il veut la déposer, mais à l’approche de chaque lieu qu’il passe il fait avant d’y arriver autant de cris qu’il a de chevelures pour annoncer son arrivée et sa marque de bravoure. On attache quelquefois jusqu’à quinze chevelures sur le même bâton et lorsqu’il y en a beaucoup, on garnit plusieurs bâtons. 
Les Français et les Anglais avaient pour maxime de payer ces chevelures, jusqu’à concurrence de trente francs valeur en marchandises, il s’agissait alors d’encourager les sauvages à en faire le plus qu’ils pourraient sur l’ennemi et pour avoir la certitude du nombre des vaincus; ce moyen de précaution a fait naître, soit naturellement ou par insinuation, la ruse chez les sauvages, qui pour augmenter la rétribution qu’ils tiraient des chevelures s’avisèrent d’en faire de peau de cheval qu’ils préparaient de la même manière que la chevelure de l’homme. Cette supercherie reconnue donna lieu d’y regarder de plus près, avant de parvenir au paiement, de sorte que les Français et les Anglais ont fini par ne plus payer que très peu de chose par forme de présents. Il est honteux pour l’humanité d’employer des moyens aussi barbares, il est pourtant vrai de dire que cette invention appartient seule aux sauvages qui en faisaient usage entre eux avant de connaître les nations policée. C’est donc de la barbarie que provient cet horrible usage pratiqué chez les sauvages seuls, car il ne paraît pas avoir existé chez aucune autre nation, même celles qui comme eux n’ont reçu aucun principe de civilisation.
Scalp, 1750-1850. British Museum. Source ici.


Lectures suggérées :
  • J.C.B. (Édité par l’abbé H.R. Casgrain). Voyage au Canada dans le nord de l'Amérique septentrionale fait depuis l'an 1751 à 1761 par J.C.B. Québec, Imprimerie Léger Rousseau, 1887. 255 p.
  • Lozier, Jean-François. « Lever des chevelures en Nouvelle-France : la politique française du paiement des scalps ». Revue d’histoire de l’Amérique française, Vol. 56, nᵒ 4 (2003). pp. 513–542.

10 March 2013

L'homme qui a vu l'ours!

Un autre extrait des mémoires de notre cher Bonin, alors qu'il vient de quitter Michilimackinac et se retrouve sur la rivière des Outaouais : 
Au moment de notre arrivée [le 12 septembre 1753] nous aperçûmes un ours traversant la rivière à la nage et venant de notre côté, à la distance d’une bonne portée de fusil, je courus moi quatrième dans l’intention de lui disputer non seulement le passage, mais de le tuer. A peine eut-il posé ses pieds à terre que nous lui tirâmes trois coups de fusil, il secoua la tête en avançant toujours, je me jetai au devant et assez prêt pour lui enfoncer dans le flanc droit mon couteau de chasse que je fus forcé d’abandonner aussitôt par le mouvement que fit cet animal qui se jeta de suite sur moi et me mit sous ses deux pieds de devant; mes compagnons me voyant dans cette position, n’osant plus tirer sur l’ours se contentèrent de crier pour l’épouvanter. Je fus retourné deux fois de droite et de gauche par l’animal, je contrefis le mort à tout hasard, me resouvenant d’avoir entendu dire que c’était la seule manière d’éviter la colère de l’ours; pendant ce temps-là mes compagnons qui n’avaient pu par leurs cris lui faire peur, prirent le parti de tirer plusieurs coups de fusil en l’air, alors l’animal me quitta, après m’avoir tenu sous lui pendant un demi quart d’heure qui me parut bien long, il s’en fut gravement sur le bord du bois où il se retourna en se posant sur son derrière et nous regarda audacieusement, malgré plusieurs coups de fusils qui lui furent tirés. On vint à moi, aussitôt qu’il m’eut quitté, .je me levai et fit comme les autres qui étaient venus sur la nouvelle que j’étais terrassé et nous fûmes tous à la poursuite de l’ours, qui se sauva dans le bois avec plusieurs coups de fusils et mon couteau de chasse au côté, nous le poursuivîmes, à la trace de son sang, l’espace d’une demie lieue où il s’arrêta et reçut encore quelques coups de fusils qui le firent tomber sur le côté, nous nous avançâmes aussitôt sur lui, en achevant de le tuer et je lui repris mon couteau de chasse qui n’était entré que dans sa panse, il fut ensuite éventré et coupé par morceaux dont chacun s’empara pour les emporter au campement afin d’être mangé en société.
Source : CASGRAIN, H.R. (éditeur). Voyage au Canada dans le nord de l'Amérique septentrionale fait depuis l'an 1751 à 1761 par J.C.B., Québec, Imprimerie Léger Rousseau, 1887. pp. 91-92

Note: Pour les intéressés, le livre entier est disponible gratuitement sur Archive.org suivant ce lien.

19 February 2013

Accident de feux d'artifice

Je viens de commencer la lecture des seuls mémoirs connus d'un soldat des troupes de la Marine du Canada. L'auteur est sans doute Joseph-Charles Bonin, dit Jolicoeur (voir à son sujet pages 4 et 5 de ce lien). Il capte immédiatement l'attention du lecteur alors qu'il décrit son parcours au Canada tout en insérant de croustillantes anecdotes sur les moeurs des gens qui l'entourent. J'ai loin d'avoir terminé de lire son livre, toutefois je me permets de citer une histoire qui m'a particulièrement accroché:
[Année 1752]
Peu après cette époque, on ordonna une fête à l’occasion de la naissance du Duc de Bourgogne fils du Dauphin […]. Des préparatifs furent faits pour tirer un feu d’artifice, ce furent les canonniers qui en eurent la direction, sous les ordres de leur commandant ; je fus par conséquent du nombre des travailleurs, ce qui m’obligea de quitter le négociant chez lequel je travaillais et où j’étais comme un enfant adoptif ; nous fûmes occupés trois mois à la préparation de cet artifice. Le 13 juillet était le jour fixé pour tirer le feu, douze canonniers furent chargés de l’exécution, j’en fis partie. Le jour arrivé, on nous revêtit d’habits et de casques de peau par précaution, ce qui ne fut pas inutile, car au moment où nous n’attendions que le signal pour mettre le feu, une mêche allumée et portée sans précaution, mit en passant le feu à une fusée qui par son explosion la communiqua à une boîte où il avait cent fusées, lesquelles partant mirent le feu à plusieurs autres et bientôt tout l’artifice du théâtre fut enflammé et brûla une partie de la charpente. Ce fut l’ouvrage d’un quart d’heure; cinq canonniers furent entièrement brûlés et quatre grièvement blessés. Comme mon poste se trouvait à des accessoires un peu éloignés du théâtre, je fus moins exposé et cependant pas assez éloigné pour ne pas me sentir de l’explosion, car les fusées portèrent dans tous les sens et m’enveloppèrent de telle sorte qu’il me fallut rester immobile à ma place, je n’en fus pas moins blessé, mais légèrement à l’épaule et mon vêtement en partie brûlé. La violence du feu étant apaisée, je pus alors quitter ma place pour m’approcher du théâtre à moitié brûlé ; je ne fus pas peu surpris de trouver autant de morts et de me voir troisième de sauvé. Beaucoup de spectateurs furent pareillement surpris, de ce que nous n’étions pas tous péris ; chacun nous en témoigna sa joie. L’intendant nous fit donner à chacun une gratification de cinquante francs. 
Cet artifice n’ayant pas eu le succès désiré, il fut décidé d’en commencer un autre pour être exécuté sur la rivière Saint-Charles, vis-à-vis l’intendance, le premier septembre suivant. Il fut beaucoup plus tôt prêt que le premier, parce que tous les matériaux étaient préparés ainsi que de l’artifice qui restait du premier feu. Je fus encore employé à ce travail ; le jour arrivé pour tirer ce feu, j’y éprouvai encore un petit accident qui ne fut pas moins périlleux, mais qui était l’opposé du premier. Mon poste était d’aller en bateau mettre le feu à de l’artifice fait en dauphin et posé à une des distances latérales du théâtre, le moment arrivé je me pressai trop vite à sauter dans le bateau qui devait me conduire et je tombai dans l’eau. Heureusement que le batelier me retira promptement et j’en fus quitte pour être mouillé et sans me décourager je remplis ma mission ; ensuite je me fis conduire à terre, où je fus obligé de changer d’habillement. Mon aventure ayant été rapportée à l’intendant, il me gratifia de deux louis, en sus des vingt quatre francs qu’il accorda à chacun des canonniers employés au nombre de vingt, à cette réjouissance.
Source : CASGRAIN, H.R. (éditeur). Voyage au Canada dans le nord de l'Amérique septentrionale fait depuis l'an 1751 à 1761 par J.C.B., Québec, Imprimerie Léger Rousseau, 1887. pp. 41-23

Note: Pour les intéressés, le livre entier est disponible gratuitement sur Archive.org suivant ce lien.