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08 October 2023

Le béluga et le Régime français

"Plan désignant l’endroit où se faisait la pêche aux marsouins dans une partie du fleuve Saint-Laurent en face de la seigneurie Verbois. On peut y voir le site de fréquentation des bélugas, l’emplacement de la pêche à la fascine, le relief et les limites de la marée haute, 1728. ARCHIVES NATIONALES À QUÉBEC (P600,S4,SS2,D25) AUTEUR : L. PEYRE."

Cette semaine, j'ai le plaisir de vous partager mon tout premier article pour le Journal de Québec: "[EN IMAGES] Voici cinq choses à savoir sur l’évolution de notre relation avec le béluga". Vous pouvez lire l'article en visitant ce lien:  https://www.journaldequebec.com/2023/10/08/levolution-de-notre-relation-avec-le-beluga

Bonne lecture!

11 June 2023

Les moustiques en Nouvelle-France

[Je remercie Pierre Dubeau qui m’a inspiré l’idée de cet article de blogue après avoir lu un extrait des Relations des Jésuites qu’il partagea sur le groupe Facebook Nouvelle-France.]

« Leaf with thirteen mosquitoes »,
Anselmus Boëtius de Boodt,
1596-1610. 
Rijksmuseum
[Lien]

Qui dit été, dit vacances, soleil, barbecues et bien sûr… moustiques! Chez nous au Canada, nous parlons plutôt de « maringouins ». D’où vient cette différence avec le français standard? Selon le Grand dictionnaire étymologique & historique de Larousse, le mot maringouin provient du Brésil et serait une déformation de « mbarigui », terme tupi-guarani. Bref, il s’agit d’un nom bien américain. Le Dictionnaire de l’Académie françoise de 1762, quant à lui, nous donne ces deux définitions : 

 

MOUSTIQUE. f. f. Petit insecte d’Afrique & d’Amérique, dont la piqûre est très-douloureuse, & laisse sur la peau une tache semblable à celle du pourpre. Les Moustiques sont en très-grand nombre sur les rivages de la mer, à l’abri des vents.[1]


 MARINGOUIN. f. m. Sorte de moucheron qui ressemble au cousin, & qui est fort commun dans l’Amérique. Dans ce pays-là on est fort incommodé des maringouins.[2]

Quoique les deux termes soient utilisés sous le Régime français, un troisième l'est souvent également : on compare souvent nos petits vampires ailés aux « cousins » retrouvés en France. Dans son histoire de la Nouvelle-France de 1744, François-Xavier Charlevoix indique que les moustiques « sont des Cousins un peu plus gros que les nôtres » qui apparaissent « dès que l’Air commence à s’échauffer[3] ». Et selon la région où l’air se chauffe particulièrement, le maringouin apporte un autre lot de problèmes…

Une peste au potentiel pestilentiel

Les visiteurs de la Nouvelle-France sont unanimes : par son nombre, l’insecte est un véritable fléau. Alors que le moustique est un vecteur de maladies dans plusieurs pays, le Canada, par son climat froid, semble heureusement largement épargné par les maladies qui sont typiquement associées aux espèces plus tropicales. Pour citer l’historien Rénald Lessard :

Si le typhus constitue un fléau qui frappe à plusieurs reprises, surtout Québec et ses environs, il semblerait que la fièvre jaune, à l’opposé, n’ait touché le Canada qu’une seule fois. Le mode de transmission propre à cette maladie expliquerait sa relative absence du Canada et fait même douter d’une réelle présence. En effet, le vecteur de la fièvre jaune est la femelle d’un moustique (aedes aegypti) qui exige une température chaude et humide pour se développer. L’insecte ne peut vivre que quelques jours sans eau et ne pique que lorsque la température est supérieure à 17°C. Au Canada, le climat est un frein à la propagation de la maladie et le réservoir du virus ne peut être que l’homme ou le moustique lui-même. Or, l’homme ne peut contaminer le moustique que durant les trois à six jours qui suivent le début de l’infection, soit durant le temps où le virus se trouve dans le sang. La présence de l’insecte est essentielle pour transmettre la maladie d’un homme à un autre.[4]

Dans le sud de la Nouvelle-France, c’est une tout autre question. En Louisiane, la fièvre jaune frappe régulièrement aux xviiie et xixe siècles, et au moins une fois sous le Régime français à La Nouvelle-Orléans en 1739[5]. Rappelons par la même que la fièvre jaune se propage plus facilement dans les colonies britanniques[6]. En effet, pour s’en tenir qu’à un seul exemple, rappelons qu’à la même époque, les maringouins irritent les citoyens de Philadelphie. De plus, selon le journal de Warren Johnson écrit en 1760, ils ne sont pas seuls : « Flies & Musketoes are troublesome beyond Naming; the common flie, worse than the horse fly with us, and continues to the End of November[7]. »

Revenant à la Nouvelle-France, nul besoin de rejoindre le climat subtropical de la Basse-Louisiane non plus pour retrouver les conditions favorables aux maladies transmises par les maringouins : à partir du Pays des Illinois (couvrant de nos jours entre autres les États de l’Illinois et du Missouri), le paludisme (malaria) frappe régulièrement les populations locales. Par exemple, pour fuir cette maladie « et les dépenses de rénovation excessives, toutes deux liées aux inondations [du Mississippi][8] », les Britanniques vont rapidement abandonner le fort de Chartres en 1771, quelques années à peine après l’avoir obtenu des Français après le traité de Paris. Contrairement à la fièvre jaune, causée par un virus, le paludisme est causé par un protozoaire qui parasite l’homme par l’entremise du moustique. D’ailleurs, rappelons que de nos jours, la malaria n’existe plus aux États-Unis suivant la fondation, en 1946, de la Center for Disease Control (CDC) dont la mission initiale ciblait justement cette maladie.

N’empêche, au-delà du potentiel pestilentiel du moustique, c’est sa nature hématophage qui en fait la notoriété en Nouvelle-France, et ce, dès la fondation de cette dernière…

Les débuts de la colonie : témoignages de Champlain et de Le Jeune

En 1613, l’année de son quatrième voyage en Nouvelle-France, Champlain pénètre l’intérieur du continent aussi loin que la frontière actuelle entre le Québec et l’Ontario. Se reposant dans la région des lacs Jeffreys et Olmstead, il témoigne plus tard par écrit : « Ainsi nous nous reposâmes sur le bord d’un étang, qui était assez agréable, et fîmes du feu pour chasser les moustiques qui nous molestaient fort, l’importunité desquels est si étrange qu’il est impossible d’en pouvoir faire la description[9]. »

Dans sa Briève relation du voyage de la Nouvelle-France, le père Paul Le Jeune note quelques observations sur la bestiole lors de son passage à Tadoussac en 1632. D’ailleurs, il est intéressant de noter que Le Jeune différencie entre le maringouin et le moustique, pourtant synonymes aujourd’hui. [Note : la typographie de cet extrait, ainsi que tous ceux tirés des Relations des Jésuites ci-dessous, fut quelque peu modernisée où nécessaire pour en faciliter la lecture.]

Le 3. jour de juillet nous sortîmes de Tadoussac, & nous allâmes mouiller à l’échafaud aux Basques, c’est un lieu ainsi appelé, à cause que les Basques viennent jusques là pour prendre des baleines. Comme il estoit grand calme, & que nous attendions la marée, je mis pied à terre : je pensay estre mangé des maringoins, ce sont petites mouches importunes au possible; les grands bois qui sont icy en engendrent de plusieurs espèces; il y a des mouches communes, des mousquilles, des mouches luisantes, des maringoins, & des grosses mouches, & quantité d’autres : les grosses mouches piquent furieusement, & la douleur qui provient de cette piqueure, & qui est fort cuisante, dure assez long temps, il y a peu de ces grosses mouches; les mousquilles sont extrêmement petites, à peine les peut-on voir, mais on les sent bien; [...] Pour les maringoins c’est l’importunité mesme, on ne sçauroit travailler notamment à l’air pendant leur règne, si on n’a de la fumée auprès soy pour les chasser : il y a des personnes qui sont contraintes de se mettre au lit venans des bois, tant ils sont offensez. J’en ay veu qui avoient le col, les joües, tout le visage si enflé, qu’on ne leur voyoit plus les yeux; ils mettent un homme tout en fang quand ils l’abordent; ils font la guerre aux uns plus qu’aux autres; Ils m’ont traité jufques icy assez doucement, je n’enfle point quand ils me piquent, ce qui n’arrive qu’a fort peu de personnes si on y est accoustumé : si le païs estoit essarté [c’est-à-dire défriché en arrachant les bois] & habité, ces bestioles ne s’y trouveroient point; car defia il s’en trouve fort peu au fort de Kebec, à cause qu’on couppe les bois voisins.[10]

Relations des Jésuites

Sans nous contenter du témoignage seul de Le Jeune parmi les écrits des Jésuites, une recherche numérique du mot « maringouin » décèle plus d’une cinquantaine de résultats dans leurs Relations. Examinons quelques extraits intéressants.

Pendant son premier voyage vers le Mexique, le père Jacques Marquette écrit ces lignes en 1673 alors qu’il se trouve au Pays des Illinois :

Jusqua présent nous n’avions point estez incommodés [par] Les maringouins, mais nous entrons comme dans leur pays. Voicy ce que font les sauvages de ces quartiers pour s’en deffendre; ils élèvent un eschaffault dont le plancher n’est fait que de perches, et par conséquent est percé à jour affinque [à fin que] la fumée du feu qu’ils font dessous passe au travers et chasse ces petitz animaux qui ne la peuvent supporter, on se couche sur les perches au dessus desquelles sont des escorces [écorces] estendües [étendues] contre la pluye. Cet eschaffault leur sert encor contre Les chaleurs excessives et Insupportables de ce pays, car on s’y met à 1’ombre à 1’estage d’en bas, et on si [s’y] garantit des rayons du soleil, prenant le frais du vent qui passe librement autravers de cet eschaffault.

Dans le mesme dessein nous fusmes contraincts de faire sur L’eau une espace [espèce] de cabane avec nos voiles pour nous mettre à couvert et des maringouins et des rayons du soleil […][11].

Le père Jacques Gravier écrit en 1702 dans la relation de son voyage entre le Pays des Illinois et l’embouchure du fleuve Mississippi :

On ne pourroit pas faire le premier etablissement en un lieu où il y eût plus de Maringouins qu’icy; Il y en a pendant presque toute l’année. À la vérité ils nous ont donné un peu de trèves 7 ou 8 jours, mais à l’heure qu’il est Ils me picquent bien serré et dans le mois de décembre, qu’on n’en devroit estre importuné, il y en avoit une si furieuse quantité, que je ne pouvois écrire un mot, que je n’en eusse les mains et le visage tout couvert et qu’il m’étoit impossible de dormir pendant la nuit, j’en ay été si incommodé à un œil que j’ay pensé le perdre. Les françois de ce fort me disoient que depuis le mois de mars, il y en a une si prodigieuse quantité que 1’air en est tout couvert et que l’on ne s’entrevoit pas à dix pas les uns des autres, Je reste icy jusqu’à l’arrivée de Mr. D’Iberville cõme je m’y Suis en quelque facon obligé, pour servir d’aumonier aux françois qui sont en ce poste et dont plusieurs sont Canadiens. J’ay bien à souffrir de ces Importuns Cousins Jusqu’au mois de may, et encore plus en remontant le fleuve, puisque je ne le pourray faire que lors qu’il y en aura une Si grande quantité, que l’on ne pourra ny reposer de nuit ny mettre à terre de Jour pour faire cuire du bled d’Inde sans en estre devoré, Dieu Soit beni de tout, Je dois estre content de tout, quoy qu’il m’en couste, pourveu que ce voiage de plus de mille Lieües que J’ay entrepris par le bien de nos missions den haut leur puisse estre utile à quelque chose aussi bien que mon retardement qui n’est que pour me mieux assurer de la vérité priez Dieu pour nous mon R. Père [...].[12]

Enfin, notons le père Gabriel Marest qui accompagne d’Iberville à la Baie d’Hudson en 1694 : « il y a encore tant de Maringouins ou cousins, que vous ne sauriez sortir sans en être couvert et piqué de tous côtés. Ces moucherons sont ici en plus grand nombre et plus forts qu’en Canada[13] » (Rappelons que le Canada désigne à l’époque plus ou moins la vallée du Saint-Laurent et la région des Grands Lacs.)

Militaires versus moustiques

Dans ce qui précède, nous avons vu que les moustiques importunent les gens qui travaillent à l’extérieur. Les militaires ne sont pas épargnés. En 1666, Jean Talon écrit un mémoire au lieutenant général Alexandre de Prouville de Tracy et le gouverneur Daniel Rémy de Courcelle pour soulever les problèmes qui attendent le régiment de Carignan-Salières : « [...] outre les chaleurs extraordinaires, les piqures de Maringouins causent de si [fascheuses] enflures, qu’elles rendent quelques fois un soldat inutile au combat [...][14]. »

En septembre 1757, le militaire britannique John Knox témoigne des misères vécues par lui et ses hommes en Nouvelle-Écosse. Entre autres, il se plaint des moustiques : « We are tormented here, both day and night, with myriads of musketa’s, which are so immensely troublesome, that we are obliged to have recourse to various expedients to defend ourselves from them[15]. » Le 7 août 1750, alors qu’il est posté au camp de la chute Montmorency pendant la campagne contre Québec, il remarque le plaisir de ne plus se faire harceler par les maringouins comme en Acadie : « We esteem ourselves very happy in this country, having no fogs as in Nova Scotia, nor are we tormented with musketa’s: we have myriads of the common black window fly, which, though they have no sting, are nevertheless troublesome in tainting our victuals[16]. » Décidément, l’observation de Le Jeune sur Québec tient encore, plus d’un siècle plus tard; quoiqu’il soit tout aussi vrai que la saison des moustiques se fait tardive une fois rendue au mois d’août. Lors de sa visite à l’Hôpital Général de Québec, Knox note que l’été, les fenêtres sont laissées ouvertes et que les patients ont droit à une espèce d’éventail pour à la fois se rafraîchir et pour éloigner les mouches qui, par la proximité de l’institution à la rivière Saint-Charles, « are numerous and troublesome[17] ».

Enfin, notons que la Marine s’inspire de la redoutable réputation de l’insecte en baptisant leur plus récent brigantin Le Maringouin[18].

Feux de forêt

Au moment d’écrire ces lignes (2023), la saison des feux de forêt au Québec et en Ontario venait à peine de commencer et pourtant avait déjà battu le record des dernières années du nombre d’hectares consommés. En ce qui concerne la Nouvelle-France, il est intéressant de noter qu’il arrive d’imputer la source des feux de forêt aux maringouins! Dans une lettre au ministre, l’intendant Hocquart écrit de Québec en 1733 :

J’avois déjà conferé [dès] l’année dernière avec M. Le général sur les moyens à prendre pour empescher Les feux de courir dans les bois, et nous avions dabord pensé de rendre une ordonnance qui prononceroit des peines contre les autheurs de ces grandes incendiës; Mais dans L’examen que nous avons fait, nous avons reconnu que Ces indendies arrivent fortuitement et non par la faute de ceux qui défrichent les Terres. Ce sont les voyageurs et chasseurs tant françois que sauvages qui estant obliges de camper dans les bois, y allument des feux non seulement pour y faire cuire leurs vivres, mais aussy pour se garantir de L’incommodité des insects qu’on appelle dans ce Pays maringouins dont ils ne peuvent se préserver que par le moyen des fumées.[19]

Louisiane : le paradis des maringouins, l’enfer des voyageurs

Terminons cette petite visite des archives du Régime français avec le témoignage qui, de loin, est celui qui peste le plus contre cette peste! Ce qui suit provient de la plume acerbe du père Paul du Poisson, missionnaire aux Arkansas en 1727 :

Mais le plus grand supplice sans lequel tout le reste ne seroit qu’un jeu; mais ce qui passe toute croyance, ce que l’on ne s’imaginera jamais en France, à moins qu’on ne l’ait expérimenté, ce sont les maringouins, c’est la cruelle persécution des maringouins. La plaie d’Égypte, je crois, n’étoit pas plus cruelle : Dimittam in te et in servos tuos et in populum tuum et in domos tuas omne genus muscarum, et implebuntur domus Ægyptiorum muscis diversi generis, et universa terra in quâ fuerint [« J’enverrai des mouches de toutes sortes sur toi et sur tes serviteurs et sur ton peuple et sur tes maisons, et les maisons des Égyptiens seront remplies de mouches de toutes sortes, et tout le pays où ils ont été » (Google translate)]. Il y a ici des frappe-d’abord; il y a des brûlots; ce sont de très petits moucherons, dont la piqûre est si vive ou plutôt si brûlante, qu’il semble qu’une petite étincelle est tombée sur la partie qu’ils ont piquée. Il y a des moustiques; ce sont des brûlots, à cela près qu’ils sont encore plus petits; à peine les voit-on, ils attaquent particulièrement les yeux; il y a des guêpes; il y a des taons; il y a, en un mot, omne genus muscarum [toutes sortes de mouches]: mais on ne parleroit point des autres sans les maringouins : ce petit animal a plus fait jurer depuis que les François sont au Mississippi, que l’on n’avoit juré jusqu’alors dans tout le reste du monde. Quoi qu’il en soit, une bande de maringouins s’embarquent le matin avec le voyageur. Quand on passe à travers les saules ou près des cannes, comme il arrive presque toujours, une autre bande se jette avec fureur sur la pirogue, et ne la quitte point. Il faut faire continuellement l’exercice du mouchoir, ce qui ne les épouvante guère; ils font un petit vol, et reviennent sur le champ à l’attaque; le bras se lasse plutôt qu’eux. Quand on met pied à terre pour dîner depuis dix heures jusqu’à deux ou trois heures, c’est une armée entière que l’on a à combattre. On fait de la boucane, c’est-à-dire, un grand feu, que l’on étouffe ensuite avec des feuilles vertes; il faut se mettre dans le fort de la fumée, si l’on veut éviter la persécution : je ne sais lequel vaut mieux du remède ou du mal. Après dîné, on voudroit faire un petit sommeil au pied d’un arbre : absolument impossible : le temps du repos se passe à lutter contre les maringouins. On se rembarque avec eux. Au soleil couchant on se remet à terre; aussitôt il faut courir pour aller couper des cannes, du bois et des feuilles vertes pour faire son baire, la chaudière et la boucane : chacun y est pour soi. Alors ce n’est pas une armée, ce sont plusieurs armées que l’on a à combattre; c’est le temps des maringouins, on en est mangé, dévoré; ils entrent dans la bouche, dans les narines, dans les oreilles; le visage, les mains, le corps en sont couverts; leur aiguillon pénètre l’habit, et laisse une marque rouge sur la chair, qui enfle à ceux qui ne sont pas encore faits à leur piqûre. Chicagon, pour faire comprendre à ceux de sa nation la multitude des François qu’il avoit vus, leur disoit qu’il y en avoit autant dans le grand village (à Paris) que de feuilles sur les arbres et de maringouins dans les bois. Après avoir soupé à la hâte, on est dans l’impatience de s’ensevelir sous son baire, quoique l’on sache qu’on va y étouffer de chaleur. Avec quelque adresse, quelque subtilité qu’on se glisse sous ce baire, on trouve toujours qu’il y en est entré quelques-uns, et il n’en faut qu’un ou deux pour passer une mauvaise nuit.

Telles sont les incommodités du voyage mississipien. Combien de voyageurs les souffrent pour un gain souvent très modique![20]

Notons que le père Du Poisson sera tué par les Natchez le 28 novembre 1729[21].

Petit souvenir de voyage en arrivant au
fort Michilimackinac en 2013...



Sources:

[1] Académie française, Dictionnaire de l’Académie françoise, Tome 2, Paris, Veuve B. Brunet, 1762, p. 182.

[2] Académie française, Dictionnaire de l’Académie françoise, Tome 2, Paris, Veuve B. Brunet, 1762, p. 97.

[3] François-Xavier Charlevoix, Histoire et description générale de la Nouvelle France, Tome 3, Paris, chez Pierre-François Giffart, 1744. p. 291 et 339.

[4] Rénald Lessard, Au temps de la petite vérole : la médecine au Canada aux xviie et xviiie siècles, Québec, Septentrion, 2012, p. 41-42.

[5] Marie Antoinette Menier, Étienne Taillemite et Gilberte de Forges, Correspondance à l’arrivée en provenance de la Louisiane. Tome 1, Paris, Archives Nationales, Inventaire des Archives coloniales, 1976, p. 313.

[6] Voir à nouveau Lessard, Au temps de la petite vérole, p. 42.

[7] Warren Johnson, « Journal of Warren Johnson », dans Milton W. Hamilton et Albert B. Corey (dir.), The Papers of Sir William Johnson. Vol. 13, Albany, University of the State of New York, 1962, p. 182.

[8] Joseph Gagné, Inconquis. Deux retraites françaises vers la Louisiane après 1760, Québec, Septentrion, 2016, p. 101.

[9] Éric Thierry, Les œuvres complètes de Champlain. Tome 1 : 1598-1619, Québec, Septentrion, 2019, p. 444.

[10] Reuben Gold Thwaites, The Jesuit Relations and Allied Documents: Travels and Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, 1610-1791. Vol. 5: Québec 1632-1633, Cleveland, The Burrows Brothers Company, 1897, p. 34-36.

[11] Reuben Gold Thwaites, The Jesuit Relations and Allied Documents: Travels and Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, 1610-1791. Vol. 59: Lower Canada, Illinois, Ottawas 1673-1677, Cleveland, The Burrows Brothers Company, 1900, p. 146.

[12] Reuben Gold Thwaites, The Jesuit Relations and Allied Documents: Travels and Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, 1610-1791. Vol. 65: Lower Canada, Mississippi Valley 1696-1702, Cleveland, The Burrows Brothers Company, 1900, p. 176.

[13] Reuben Gold Thwaites, The Jesuit Relations and Allied Documents: Travels and Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, 1610-1791. Vol. 66: Illinois, Louisiana, Iroquois, Lower Canada, 1702-1712, Cleveland, The Burrows Brothers Company, 1900, p. 112-114.

[14] ANOM, Colonies, C11A 2, F°209v. À Québec, le 1er septembre 1666. Mémoire de Talon à Tracy et Courcelle.

[15] John Knox, An Historical Journal of the Campaigns in North-America, for the Years 1757, 1758, 1759, and 1760 [Etc.]. Vol. 1, Londres, W. Johnston, 1769, p. 41.

[16] Knox, An Historical Journal, Vol. 2, p. 10.

[17] Knox, An Historical Journal, Vol. 2, p. 154.

[18] ANOM, Colonies, C11A 93, F°392-398v. À Québec, le 24 octobre 1749. Bordereau de la dépense faite en Canada pendant les six derniers mois de l’année 1748.

[19] ANOM, Colonies, C11A 60, F°44-45. À Québec, le 3 octobre 1733. Hocquart au ministre.

[20] Charles Le Gobien et al., Lettres édifiantes et curieuses écrites par des missionnaires de la Compagnie de Jésus, Montréal, Boréal, 2006, p. 62-64.

[21] Arthur Mélançon, Liste des Missionnaires-Jésuites. Nouvelle-France et Louisiane, 1611-1800, Montréal, Collège Sainte-Marie, 1929, p. 84.

02 May 2017

Chiens et l'armée

[Billet mis à jour le 28 novembre 2017; 3 mars 2018; 16 avril 2021; 16 août 2021]

Récemment, la compagnie de nourriture pour chien Pedigree a fait diffuser cette pub :


Histoire vraie portant sur le chien de Howe, retourné à son propriétaire par ordre de Washington pendant la Révolution américaine. Meilleurs amis de l'homme, il n'est pas étonnant de savoir que de fidèles compagnons canins ont souvent été présents sur les fronts de guerre depuis les tout débuts de l'humanité.

Qu’en est-il pendant la guerre de Sept Ans? En Europe, la présence de chiens est attestée même dans l’art, comme dans ce tableau inspiré d'une œuvre de Joseph Vernet.


Le chien est non seulement un compagnon, mais se démontre utile sur le champ de guerre. Les chiens de traîne, par exemple, ne datent pas d’hier. En Amérique, un des meilleurs témoignages sur la présence de chiens dans l’armée est celui du canonnier Joseph Charles Bonin, dit Jolicœur (J.C.B.), en voyage avec sa compagnie dans la vallée de l’Ohio en 1754 :
Un jour que nous faisions halte à terre sur le bord de cette rivière en descendant, nous aperçûmes plusieurs chevreuils et daims dont les environs abondent, je pris mon fusil moi quatrième dans l’intention d’en tuer au moins un. J’avais avec moi mon chien [Ce chien que j’avais depuis deux ans et qui m’avait coûté trois cents francs, m’avait gagné, par sa force et son industrie, déjà deux cents francs. Sans compter les autres services qu’il m’avait rendus, en me traînant avec ma traine sur la neige et la glace.] animal très ardent et plein de vigueur, qui après avoir reconnu la piste d’un chevreuil se mit à sa poursuite plus longtemps qu’il ne fallait, car l’heure de s’embarquer étant arrivée, j’appelais inutilement mon chien qu’il n’était pas en mon pouvoir d’attendre puisque j’étais obligé de suivre les autres pirogues. Enfin après avoir fait une lieue environ sur la rivière j’aperçus mon chien sur le haut des montagnes escarpées d’où il ne pouvait descendre pour me rejoindre, je fus donc forcé de l’abandonner, non sans beaucoup de regret, persuadé qu’il ne pouvait que mourir de faim et être la pâture de quelques animaux voraces.
Bougainville écrit d'ailleurs en février 1757 au sujet des rations et de l'équipement:
Les vivres ont été données pour douze jours, en pain, lard et pois sur le pied de la ration de campagne. L’officier a en plus trois pintes d’eau-de-vie et deux livres de chocolat. Chacun d’eux a composé son équipage de chiens destinés à tirer les traînes, quelques-uns même ont emmené des chevaux. Les chiens lors du départ coûteraient jusqu’à 100 frs [francs]. 
Montcalm écrit cette observation dans son journal:
Les officiers qui seront les plus heureux seront ceux qui auront le moins cherché leurs commodités et qui, pour n'avoir pas la peine de traîner eux-mêmes, n'ont pris que des gros chiens au lieu de chevaux, qui sont accoutumés à traîner jusqu'à cent cinquante ou deux cents. Le Roi en passe ordinairement un à chaque officier et le lui paye trente livres; et lorsqu'il doit y avoir des partis d'hiver, ces sortes de chiens deviennent hors de prix, comme les cheveux chez les maquignons. Il s'en est vendu jusqu'à soixante et quatre-vingt livres pièce; et, comme dans cette occasion on agit à l'envie des uns des autres, il a tel officier qui a acheté jusqu'à six chiens.
Dans son journal, Pierre Passerat de la Chapelle fait mention de l’utilisation de chiens alors qu’il se prépare à rejoindre La Nouvelle-Orléans à partir du Pays des Illinois en plein hiver 1761 :
Je donnai des instructions aux gradés pour les préparatifs du départ, la répartition des vivres et des charges sur les traîneaux. J’achetai aux sauvages des peaux de bison préparées pour recouvrir les charges des traîneaux et pour le campement. Je demandai aux sauvages de me fournir des guides en nombre suffisant pour la route. Ils m’en envoyèrent cinquante, douze traineaux et dix chiens de trait. 
En hiver, les chiens de traîne sont particulièrement utiles.
Source : CLUNY, Alexander. The American Traveller […]. Londres, E.
and C. Dilly,…, and J. Almon…, 1769. Frontispice.
Toujours dans le journal de La Chapelle, nous y trouvons une perle qui ferait sourire maints professeurs à l’école élémentaire. Alors qu’il est question d’un reçu de remboursement pour diverses fournitures, le commandant du fort de Chartres, Pierre-Joseph Neyon de Villiers, feint l’avoir perdu : « Je me souviens, j’ai retrouvé votre traite dans la gueule de mon chien et vous l’ai renvoyée par mon esclave. Par conséquent, je ne suis pas payé. » Il se sert de l’excuse non seulement avec de La Chapelle, mais répète l'histoire au gouverneur de la Louisiane. Plus ça change, plus c’est pareil… 

Sans oublier que les chiens ne sont pas toujours fidèles, comme le révèle cette anecdote arrivé en avril 1758 et rapporté par le Britannique John Knox: “a white dog swam a-cross Allen’s river, and deserted from the enemy to us; we have given him the name of Tripon, for his infidelity to his late masters”.

D'ailleurs, Knox démontre que même les Britanniques remarquent les chiens canadiens:
It is whimsical enough to see what servitude is exacted even from the dogs in this country; in the winter, one of these animals, seemingly of the Newfoundland breed* [*I would not be understood to confine all the canine species throughout Canada to this breed alone, for they have of every kind, large and small, of the ordinary cast, as in other countries; but this sort seems to be more general, on account of the services which they are able to perform, particularly at this season.], naturally strong, and nearly in size to a well-grown sheep, is yoked, by a regular set of harness, to a sleigh suitable to his bulk and strength, on which they draw wood, water, &c. and, when employed in this manner, may be said to resemble horses in miniature: I have seen one of these creatures draw a cask of water from fifteen to twenty gallons, or an equal weight of wood, from one extremity of the lower town to the upper, which is a constant ascent; when he is tired, he casts a piteous look towards the driver, who understands the signal; and, if it is on the pinch of a hill, the man places his foot, or something else, behind the sleight, to prevent its running backward; which the dog immediately perceiving, and not before, lies down in his harness for a few minutes to rest; at other times, he will whimper under his load when he wants to be refreshed, particularly if his driver is not attentive to him; and then he is sure to be indulged*. [*In some of the Russian territories, and, if I mistake not, it is at Tobolski, the capital of Siberia, the ordinary method of travelling, during the winter season, is in sleigh-carriages; to one of which they yoke a pair of dogs, who will draw a load of three hundred pounds of weight with surprising expedition.] In passing through the streets yesterday, as our soldiers were drawing, in like manner, their loaded sleighs from the magazine of wood, they met two dogs also under their drudgery; some of the men commiserated the poor animals, and others merrily called them by the epithets of comrade, yoke-mate, brother hack, &c. asking them what allowance of pork and rum they got per day? with many other pleasantries, which they concluded by inviting the peasant and his dogs to dine with them, telling the man where their barrack was, and the number of their mess. — I was in company when these circumstances were mentioned in the presence of the Governor, who, though he expressed himself like a tender parent towards his brave soldiers for their immense, yet unavoidable, hardships, could not forbear laughing at their humour, and admiring the alacrity and steadiness displayed by the poor fellows in this rigorous climate, and their very laborious situation; […] (Knox, An Historical Journal, 2:240-41)
Bref, il ne s’agit ici que de quelques exemples de la présence de chiens dans la vie militaire au XVIIIe siècle en Nouvelle-France. C’est une question qui mérite certainement un article, un jour! Entre temps, j'invite mes lecteurs à lire les sources et lectures suggérées ci-dessous. 

Sources :
  • Bougainville, Louis-Antoine de, Écrits sur le Canada, Québec, Septentrion, 2003, p. 168.
  • Delâge, Denys, « Microbes, animaux et eau en Nouvelle-France », Globe: Revue internationale d’études québécoises, Vol. 9, nᵒ 1 (2006), p. 113–139.
  • Delâge, Denys, « «Vos chiens ont plus d’esprit que les nôtres»: histoire des chiens dans la rencontre des Français et des Amérindiens », Les Cahiers des dix, nᵒ 59 (2005), p. 179–215.
  • Gagné, Joseph. Inconquis. Deux retraites françaises vers la Louisiane après 1760. Québec, Septentrion, 2016. p. 176, p. 206 et p. 215.
  • J.C.B. (Édité par l’abbé H.R. CASGRAIN). Voyage au Canada dans le nord de l’Amérique septentrionale fait depuis l’an 1751 à 1761 par J.C.B. Québec, Imprimerie Léger Rousseau, 1887. p. 97. 
  • Knox, John. An Historical Journal of the Campaigns in North-America, for the Years 1757, 1758, 1759, and 1760 [Etc.]. Vol. 1 et 2. Londres, W. Johnston, 1769.
  • Montcalm, Louis-Joseph de (Édité par Robert Léger), Le journal du Marquis de Montcalm, Montréal, Éditions Michel Brûlé, 2007, p. 146.
  • Tiger, Caroline. General Howe's Dog: George Washington, the Battle for Germantown and the Dog Who Crossed Enemy Lines. Chamberlain Bros, 2005. 176 p.


17 February 2014

Les chats en Nouvelle-France

Jean-Baptiste-Simeon Chardin, 1728.
Je ne peux m'empêcher de souligner cette entrevue avec l'historien Jean Provencher au sujet des chats en Nouvelle-France! Extrait de l'émission Dessine-moi un dimanche à Radio-Canada. Si, comme moi, vous avez une passion pour les chats, n'oubliez pas de visiter mon autre blogue, Historical Felines.

30 March 2013

Alligator = Poisson [...]

Montage: Joseph Gagné

Sans blague : cette semaine, on apprend que l'Église catholique vient d'ajouter l'alligator à sa liste d'animaux qu'elle considère comme étant des poissons. 
Pour comprendre (à peine…), il faut se rappeler qu’en Nouvelle-France, les catholiques observent 145 jours de jeûne. C'est-à-dire qu’ils ne peuvent manger qu’un repas à midi et doivent s’abstenir de consommer de la viande. En plus du carême (les 40 jours qui précèdent Pâques) et d’autres fêtes religieuses, chaque vendredi fait l’objet de cette observation. Toutefois, l’habitant a la permission de manger du poisson. Ceci explique d’ailleurs l’importance de la pêche commerciale en Nouvelle-France.
Cependant, la restriction sur la consommation de viande n’incommode pas tout le monde : alors que certains en font fi tout simplement (bien que des punitions existent), d’autres trouvent des prétextes plutôt amusantes pour détourner l’interdit. Depuis le Moyen âge, certains affirment que le castor ne serait pas une viande interdite vu son origine aquatique. En effet, Monseigneur Laval confie la question identitaire de ce rongeur aux théologiens de Sorbonne. Leur conclusion? Le castor est classé comme poisson selon la « logique » que l’animal passe la grande partie de sa vie dans l’eau et que sa queue est recouverte d’écailles! C’est une classification qui fera sans doute pâlir un futur Carl von Linné…
De plus, le castor n’est pas le dernier animal à être ainsi classé : le rat musqué sera particulièrement apprécié dans le Pays des Illinois. Toujours aujourd’hui, on peut en retrouver en vente dans certains restaurants de l’état des Illinois (il s’agit de s’habituer au goût, selon les dires…).
La Nouvelle-France n’est pas la seule colonie à tricher de la sorte : le capybara, le plus gros rongeur au monde, devient lui aussi un « poisson » au profit des catholiques sud-américains.
Alors que le concile Vatican II (1962-1965) abolit la plupart des prescriptions de jeûne dans la théologie catholique, il est curieux de constater qu’elle ne rectifie pas ses connaissances taxonomiques… Revenant donc à nos alligators— euh… moutons, nous avons été surpris d’apprendre qu’en 2010 le restaurateur Jay Nix de La Nouvelle-Orléans avait écrit à son archidiocèse pour savoir si l’alligator était également inclus dans la famille des poissons. La réponse de l’archevêque Gregory M. Aymond? « Yes, the alligator's considered in the fish family, and I agree with you — God has created a magnificent creature that is important to the state of Louisiana, and it is considered seafood »
Pour vous mettre l'eau à la bouche, voici quelques photos et un vidéo de mon voyage l'an dernier en Louisiane! (Ah, et j'oubliais : l'alligator, c'est délicieux! De préférence dans un sandwich Po-boy!)


Sources et lectures suggérées:
  • ANTOLINI, Tina. « Forget Fish Fridays: In Louisiana, Gator Is On The Lenten Menu ». NPR, 25 mars 2013. Lien.
  • AUDET, Bernard. Se nourrir au quotidien en Nouvelle-France, Québec, GID, 2001. pp. 262-272.
  • MARCHAND, Philippe. Ghost Empire: How the French Almost Conquered North America. McClelland & Stewart, 2006. 464 p. 
  • TANNENBAUM, Kiri. « Catholic Archbishop Declares Alligator Seafood for Lent », Delish, 27 mars 2013. Lien.
Vidéo boni : Manger du rat musqué!

10 March 2013

L'homme qui a vu l'ours!

Un autre extrait des mémoires de notre cher Bonin, alors qu'il vient de quitter Michilimackinac et se retrouve sur la rivière des Outaouais : 
Au moment de notre arrivée [le 12 septembre 1753] nous aperçûmes un ours traversant la rivière à la nage et venant de notre côté, à la distance d’une bonne portée de fusil, je courus moi quatrième dans l’intention de lui disputer non seulement le passage, mais de le tuer. A peine eut-il posé ses pieds à terre que nous lui tirâmes trois coups de fusil, il secoua la tête en avançant toujours, je me jetai au devant et assez prêt pour lui enfoncer dans le flanc droit mon couteau de chasse que je fus forcé d’abandonner aussitôt par le mouvement que fit cet animal qui se jeta de suite sur moi et me mit sous ses deux pieds de devant; mes compagnons me voyant dans cette position, n’osant plus tirer sur l’ours se contentèrent de crier pour l’épouvanter. Je fus retourné deux fois de droite et de gauche par l’animal, je contrefis le mort à tout hasard, me resouvenant d’avoir entendu dire que c’était la seule manière d’éviter la colère de l’ours; pendant ce temps-là mes compagnons qui n’avaient pu par leurs cris lui faire peur, prirent le parti de tirer plusieurs coups de fusil en l’air, alors l’animal me quitta, après m’avoir tenu sous lui pendant un demi quart d’heure qui me parut bien long, il s’en fut gravement sur le bord du bois où il se retourna en se posant sur son derrière et nous regarda audacieusement, malgré plusieurs coups de fusils qui lui furent tirés. On vint à moi, aussitôt qu’il m’eut quitté, .je me levai et fit comme les autres qui étaient venus sur la nouvelle que j’étais terrassé et nous fûmes tous à la poursuite de l’ours, qui se sauva dans le bois avec plusieurs coups de fusils et mon couteau de chasse au côté, nous le poursuivîmes, à la trace de son sang, l’espace d’une demie lieue où il s’arrêta et reçut encore quelques coups de fusils qui le firent tomber sur le côté, nous nous avançâmes aussitôt sur lui, en achevant de le tuer et je lui repris mon couteau de chasse qui n’était entré que dans sa panse, il fut ensuite éventré et coupé par morceaux dont chacun s’empara pour les emporter au campement afin d’être mangé en société.
Source : CASGRAIN, H.R. (éditeur). Voyage au Canada dans le nord de l'Amérique septentrionale fait depuis l'an 1751 à 1761 par J.C.B., Québec, Imprimerie Léger Rousseau, 1887. pp. 91-92

Note: Pour les intéressés, le livre entier est disponible gratuitement sur Archive.org suivant ce lien.

07 March 2013

Les castors du roi


Cette curieuse toile de Kent Monkman s’intitule « Les Castors du roi ». Elle a été peinte en 2011 et a été donnée au Musée des beaux-arts de Montréal en honneur de son 150e anniversaire. Un communiqué du musée explique la genèse du tableau :
Dépensier jusqu’à l’extravagance, Louis XV était aussi un grand amateur de chasse qui avait commandé pour Versailles des tableaux illustrant des scènes cynégétiques dans les pays les plus lointains, destinés à une galerie sur ce thème. Cependant, aucun ne dépeignait une chasse en Amérique du Nord. D’où l’idée de Kent Monkman de réaliser cette œuvre absente des collections royales, en s’inspirant des artistes rocaille tels que Nicolas Lancret ou François Boucher.
L’artiste a également pastiché diverses images d'époque que l'on peut reconnaître (par exemple, la hutte de castor inspirée de cette gravure). Toutefois, le scénario imaginé par Monkman choque : évoquant les sensibilités modernes vis-à-vis des droits des animaux, l’artiste s’éloigne des représentations romantiques de la traite des fourrures avec leurs coureurs des bois et leurs voyageurs (pensons aux oeuvres de Frances Anne Hopkins). Il se focalise au lieu sur le castor, le vrai sujet principal (et souvent négligé) de la traite des fourrures en Amérique. Notons aussi que Monkman s’éloigne ici de l’image du « bon sauvage » en harmonie avec la faune, illustrant ici au lieu des Amérindiens tout aussi avides de participer à cette traite (ou massacre?).
Que l’on aime cette représentation ou pas, l’important est que ce tableau nous porte à réfléchir d’une nouvelle façon (quoique très dramatique) sur notre rapport avec ce gros rongeur et son rôle important dans notre histoire nationale.


Liens suggérés: (mise à jour le 17-07-2019)

20 February 2013

De la viande fraîche pour le fort Saint-Joseph!

Photos: Joseph Gagné 2012

J’adore visiter l’« Open House » du Fort St. Joseph Archaeological Project lorsque j’en suis capable. Ce fort, redécouvert en 1998 dans la municipalité de Niles, au Michigan, fait aujourd’hui l’objet de fouilles archéologiques menées par les étudiants de la Western Michigan University. À chaque année au mois d'août, ils invitent le public pour observer leurs travaux. Cela fait depuis 2010 que j’entretiens des relations avec eux pour me tenir au courant de leurs découvertes annuelles. En août 2012, j’ai eu l’honneur de me faire inviter à donner une présentation au sujet des miliciens du fort Saint-Joseph à la Indiana Center for History de South Bend, à quelques minutes de route de Niles. Alors que j’entreprenais mes propres fouilles archivistiques pour préparer mon communiqué, je suis tombé sur un document particulier. Avant de vous le révéler, je dois vous dire que je savais déjà que l’équipe du fort Saint-Joseph retrouvait régulièrement des montants exorbitants d’os de chevreuil, sans savoir pourquoi qu’il y en avait autant! Alors, imaginez ma surprise et ma joie en découvrant un premier document nous offrant un peu de contexte sur le lien entre ces ossements et l’histoire du fort. Encore plus excitant, c’était de voir la réaction des archéologues en leur apprenant la nouvelle! (Note : Il se peut que les chiffres ci-dessous soient mal alignés selon votre écran)
Mémoire de ce que moy Menard a fourni au Roy, [par/pour] La Subsistance des gueriers.

Scavoir

                                                                                      #   s    d[*]

Du 1.r [Aoust]…   1. chevreuil entier…                               6

Du 2.e [oust]…      2 pieces de viande a 3/.10s                    7

Du 3.e [oust]…      1 chevreüil                                             6

Du 4.e [oust]…      1 piece de viande                                   3.    10.

Du [5]e [oust]…     la moitié d’un chevreuil                         3.                      

                                                                             25.#  10.s  [0].d

fait a S.t Joseph ce cinq.e Aoust. Mil Sept cent trente neuf.

Nous capitaine commandant Le partie que Monsieur Le General envoit par Misilimakina, a Monsieur de Bienville Et nous Lieutenant commandant a S.t Joseph, certifions que françois Mesnard a fait Les fournitures Cy dessus pour la Subsistance des guerriers, pendant qu’ils ont été a S.t Joseph, pour Le payement des qu’elles il Luy est dû La Somme de Vingt cinq Livres Dix Sols, fait a S.t Joseph. Le Sept.e Aoust Mil Sept cent trente neuf. Signé, Celerons, coulon de villier a eu Signé Beauharnois. Pour Copie Varin.
* # = livres, d = deniers, s = sols 
Source : Archives des Colonies, Series C11A, Vol. 78, Folio 283.

Pour plus d'informations sur les fouilles archéologiques au fort Saint-Joseph, visitez : http://www.wmich.edu/fortstjoseph/ et http://www.supportthefort.net/.