Ce n’est pas un secret, la vie de doctorant n’est pas toujours facile. Le fameux syndrome de l’imposteur vient souvent enrayer nos pensées et ouvre la porte à l’anxiété. C’est dans cet esprit morose que je m’apprêtais à aller au congrès annuel de l’Institut d’histoire de l’Amérique française (IHAF) qui avait lieu à Ottawa. Et pourtant, après coup, je suis vraiment heureux d’y être allé!
D’abord, le programme
était très riche, le thème étant « Frontières ». Le dix-huitièmiste
que je suis ne savait plus où se garrocher. J’ai eu des choix difficiles à
faire avec autant de séances passionnantes ayant lieu en même temps. Mais à la fin, j’ai certainement profité des nombreuses communications
assistées sur trois jours intenses.
Le congrès était précédé d'une visite du Musée canadien de l’histoire, récemment
rénové. J’avais déjà visité les lieux auparavant, donc j’avais hâte de voir les
changements. D’une part, je m’ennuie de l’ancienne reconstitution de Place
Royale, mais de l’autre j’aime la nouvelle galerie dédiée à la Nouvelle-France.
Néanmoins, je trouve que le xviiie
siècle est sous-représenté. De plus, autant je loue les efforts d’incorporer
les Autochtones tout au long de la trame chronologique des expositions, les francophones
n’ont pas cette même chance. Comme Franco-Ontarien, je suis très déçu, par
exemple, que l’histoire francophone pendant la période britannique se résume
aux Rébellions de 1837-1838. Le focus pour cette section est surtout sur
l’Ontario loyaliste. Où sont les Franco-Ontariens? C’est à croire qu’après le
Régime français, l’histoire canadienne-française ne se résume qu’aux Patriotes
et aux deux référendums québécois. Mais bon.
Cela dit, j’ai eu une très, très agréable surprise. D’abord,
un peu de contexte : il y a plusieurs mois, je furetais la collection en
ligne de la Royal Collection Trust
lorsque je suis tombé sur le
manteau du général James Wolfe. J’étais impressionné : je n’avais
aucune idée que cet objet existait. En même temps, je m’exaspérais en pensant
que je n’aurai sans doute jamais la chance de voir ce manteau en personne. Eh
bien! Retour au Musée canadien de l’histoire : alors que j’admirais la
section dédiée à la guerre de Sept Ans, je me suis retourné pour tomber face à
face avec le manteau en question. En
effet, l’objet est présentement prêté à Ottawa! Imaginez mon plaisir de pouvoir
admirer de près ce remarquable artefact de la guerre que j’étudie. J’étais
franchement très ému. Les objets de la Conquête qui nous sont parvenus jusqu’à
aujourd’hui sont excessivement rares. Après un après-midi passé au musée, c’était
le temps de retourner sur le campus de l’Université d’Ottawa pour le début
officiel du congrès.
J’ai également eu le plaisir de constater que la
twittosphère de l’IHAF était beaucoup plus garnie cette année. En suivant #IHAF2019,
les chercheurs pouvaient partager leurs observations, leurs questions ou
simplement des photos de leurs meilleurs moments pendant le congrès.
Relativement parlant, la participation a presque triplé depuis l’an passé, passant
de 4 twitteurs à mon souvenir à près d’une douzaine cette année!
D’ailleurs, les avancées en informatique commencent
également à percer chez l’IHAF. Cette année, les ateliers et les communications
portant sur les nouvelles technologies se sont multipliés au bonheur (ou la
confusion) de plusieurs chercheurs. Je ne vais pas résumer toutes les
communications que j’ai suivies, mais j’aimerais noter que la présence d’autant
de projets numériques démontre que l’étude de l’histoire de l’Amérique
française rattrape enfin le nouveau paradigme des humanités numériques (ou Digital Humanities). Nous sommes rendus
loin de la table ronde de 2014 « L’Amérique française au numérique : enjeux et
défis » où l’audience s’était démontrée frileuse par rapport aux
avancées informatiques en histoire. Depuis, la nouvelle génération d’historiens
se démontre amplement capable de suivre l’exemple d’historiens à la réputation
« techno » comme Léon Robichaud (Université de Sherbrooke) et Donald
Fyson (Université Laval). La séance « Frontière, obstacle ou
passerelle : l’intégration du numérique en histoire de la
Nouvelle-France » fut particulièrement impressionnante. Catherine Broué et
Maxime Gohier de l’UQAR nous ont présenté la plateforme Transkribus, un outil qui permet
au chercheur d’automatiser la transcription de documents manuscrits. La
puissance de l’outil est à couper le souffle : un chercheur, après avoir
fourni une poignée de modèles transcrits manuellement, peut soumettre ses
documents manuscrits qui seront analysés par Transkribus et dactylographiés avec une
précision de 90% et plus. Incroyable!
François Dominic Laramée de l’Université de Montréal a pris
le relais en démontrant comment l’utilisation du Hathi Trust Extracted Features permet une analyse de masses
d’informations publiées. En nous mettant en garde sur les méthodes à utiliser
et les pièges analytiques à éviter, Laramée a expliqué comment un chercheur
peut puiser des tendances thématiques dans des milliers de livres sans avoir à les
lire manuellement. Son exemple cherchait à déterminer à quel degré le Canada figurait
dans l’esprit des Français métropolitains pendant l’Ancien régime. En analysant
le nombre de fois que les publications d’époque mentionnaient d’un sujet en
lien avec la Nouvelle-France, il a pu démontrer que la colonie se faisait
parler d’elle surtout lors des guerres.
D’autres historiens ont également présenté leurs outils
informatiques préférés, mais je tiens à souligner que certains ont démontré que
le numérique permet également de créer un lien avec le grand public et à
franchir la frontière académique. Par exemple, même si Sam Venière ne pouvait
pas être des nôtres (en passant, Sam et Bianca, si votre petit est enfin
arrivé, félicitations!), sa présence était tout de même ressentie grâce à la
présentation de sa reconstitution du fort de Champlain dans le jeu Minecraft. Au-delà la projection du
modèle sur les écrans, les participants pouvaient porter un casque de réalité
virtuelle et visiter le fort en personne. Sébastien Ivers des Tours Voir Québec était également de la
partie, présentant lui aussi des casques de réalité virtuelle où on pouvait
faire l’expérience d’Immersion
Québec, la nouvelle attraction virtuelle dans le Vieux-Québec (que je
recommande fortement, d’ailleurs!). Cette attraction s’agit d’une reconstruction en haute résolution des moments clés de l’histoire de Québec. Les
participants avaient également la chance d’admirer des modèles en 3D du
monastère des Ursulines de Trois-Rivières (Richard Lapointe, iScan, Expertise
laser 3D) et du village acadien de la Pointe-Sainte-Anne (Stéphanie Pettigrew,
Université du Nouveau Brunswick). Bref, tous ces présentations, ateliers et
démonstrations étaient une invitation aux chercheurs à dorénavant penser
l’histoire autrement grâce aux nouvelles technologies informatiques.
Revenons un instant à ce sale syndrome de l’imposteur qui me
hantait avant le congrès. Et bien, il a été chassé rapidement en fin de semaine
alors que j’ai eu mon petit moment de gloire personnel! Comme jeune chercheur,
j’ai eu l’extrême plaisir de me faire citer dans deux communications! Guillaume Teasdale (« Le statut du
français dans la communauté transfrontalière du Détroit du lac Érié au xixe siècle ») et
Stéphanie Saint-Pierre (table ronde: « En hommage à Gaétan Gervais :
regards sur l’historiographie franco-ontarienne, sa genèse, ses défis »)
ont tous les deux cités mon article « Du
lys naquit le trille : Survol historiographique et perspectives de recherche
sur l’Ontario sous le Régime français » parue dans la Revue du Nouvel-Ontario. Mon égo s’en est retrouvé revigoré!
De plus, j’ai eu le très grand plaisir de partager la scène avec Alexandre Dubé (Washington University in Saint-Louis) et Paul Mapp (William & Mary) pour la séance « Épistémologie de la frontière coloniale », présidée par Catherine Desbarats (Université McGill). Ma présentation, qui portait sur la cartographie de la vallée de l’Ohio à des fins diplomatiques entre 1749 et 1754, fut très bien reçue.
Le banquet de l'IHAF est lancé par la valeureuse co-organisatrice Marie-Claude Thifault! #ihaf2019 pic.twitter.com/CTyM2Rm631— IHAF (@IHAF_RHAF) October 19, 2019
Lors du banquet, j’ai eu l’extrême plaisir de découvrir que
ma soumission pour le concours de Photovoix fut l’affiche gagnante. L’effort
m’a mérité un prix de 250$. Vous pouvez voir ma contribution ci-dessous.
Enfin, à l’extérieur du colloque, j’ai pu me reposer à l’auberge internationale
d’Ottawa, située dans l’ancienne prison de la ville (1862-1972). Bien
entendu, comment ai-je pu résister de choisir « l’expérience
authentique », soit une cellule à moi tout seul de 9 pieds de profondeur
sur 3 pieds de large. Malgré sa réputation d’être hantée, j’ai tout de même très bien dormi à l'auberge. Franchement, j’ai tellement aimé mon expérience que je
songe dorénavant y rester chaque fois que j’ai affaire à Ottawa.
Bref, j’ai eu une fin de semaine magnifique en compagnie de
collègues fantastiques provenant d’une poignée de pays différents. Le tout s’est
terminé avec mon retour à Québec avec mon directeur Alain Laberge alors que
nous admirions en chemin les feuilles d’automnes de l’Outaouais. Au plaisir de
vous revoir l’an prochain à l’édition 2020 de l’IHAF à Sherbrooke!
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