2018 marque le 300e anniversaire de La Nouvelle-Orléans! Photo: Cathrine Davis 2018 |
Cet article devait paraître dans les pages du Devoir. Un imprévu familial m’a obligé de le mettre de côté. Je remercie le journal de m’avoir permis de le récupérer et de le partager ici. J'aimerais du même souffle remercier le Centre de la francophonie des Amériques qui m'a permis cet automne de voyager en Louisiane afin d'y donner quelques communications et de retourner visiter La Nouvelle-Orléans pour son 300e anniversaire.
La Nouvelle-Orléans est célébrée entre autres pour sa musique. Photo: Joseph Gagné 2012 |
La Louisiane, colonie française. Photo: Joseph Gagné 2018 |
La guerre de la Ligue d'Augsbourg freine le développement de la colonie |
Pierre Le Moyne d’Iberville 1661–1706 Toile de Rudolph Bohunek, c1933. Louisiana State Museum |
Jean-Baptiste Le Moyne, Sieur de Bienville Fondateur de La Nouvelle-Orléans 1680–1767 Toile de Rudolph Bohunek, 1910. Louisiana State Museum |
Le retour de la paix ne sera pas le seul facteur à
influencer la Couronne française à s’intéresser à nouveau à la Louisiane :
l’Angleterre la louche aussi. Il faut donc consolider les réclamations
françaises et occuper le territoire. Le ministre Jérôme Phélypeaux de
Pontchartrain confie la mission à nul autre que Pierre Le Moyne d’Iberville,
célébré pour ses déprédations contre les Anglais sur les côtes de Terre-Neuve
et le long de la Baie d’Hudson. Il est accompagné entre autres de son cadet (19
ans de différence!) Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville. Sitôt arrivés dans la
baie de La Mobile le 31 janvier 1699, Bienville se fait confier la mission de
reconnaître les côtes et les rivières de la région environnante. La
Nouvelle-Orléans, bien entendu, n’apparaît pas de manière spontanée : les
Français vont d’abord tâter le terrain, fondant divers forts dont Biloxi et La
Mobile d’où poursuivre leurs explorations du territoire. Fidèle à la tradition
familiale, Bienville va même intercepter des Anglais près d’où il fondera La
Nouvelle-Orléans 19 ans plus tard. Ses explorations et ses exploits lui valent
d’ailleurs le poste de commandant à l’âge de 21 ans.
Bayous, chaleur et alligators menacent le projet de Law. Photo: Joseph Gagné 2018 |
Sauvages Tchaktas matachez en Guerriers qui portent des chevelures Alexandre de Batz c1730. Original: Peabody Museum, Harvard University |
Une nouvelle capitale nommé en honneur de Philippe d’Orléans, 1674–1723. Toile de Jean-Baptiste Santerre, 1717 |
Comment peupler cette nouvelle colonie? À l’aide
d’une propagande massive encourageant quelque 6 000 civiles à migrer.
Contrairement à ce qui a été publicisé, ce n’est pas le paradis : Marcel
Giraud, le grand historien de la Louisiane, estime que 60% d’entre eux meurent
pendant le trajet ou peu après leur arrivée. À cette population naissante
s’ajoutent environ mille soldats, ainsi que des centaines d’indésirables,
hommes et femmes, kidnappés des rues de la métropole. Ces derniers sont si
nombreux à se faire enlever que Paris doit émettre une loi en 1720 pour stopper
les activités des « bandouliers du Mississippi »!
Les nouveaux migrants vont exploiter divers
produits, dont l’indigo, le tabac et la canne à sucre. Contrairement au Canada,
la traite des fourrures ne représente à cette période que 10 à 15% des
exportations. Le développement de la colonie dépend malheureusement de la main
d’œuvre d’esclaves africains : de 1719 à 1743, pas moins de 5 700 esclaves
sont importés dans la colonie.
La Conquête sonne le glas du Régime français tant
pour le Canada que pour la Louisiane. Il faut se rappeler que la guerre de Sept
Ans (autre nom donné à ce conflit) éclata dans les colonies deux ans avant l’Europe,
soit en 1754. À la source de cette hostilité se trouve la vallée de l’Ohio—représentant
aujourd’hui l’état de l’Ohio et une partie de la Pennsylvanie, la Virginie de
l’Ouest et l’Indiana—où coulent plusieurs rivières qui raccourcissent le lien
entre le Canada et la Louisiane, mais lorgné par les colons britanniques. Si le
front de guerre fini par se concentrer sur la Vallée du Saint-Laurent, la
Louisiane—ayant jusqu’ici évité une invasion britannique—souffre néanmoins de
l’absence de ravitaillement à cause des déprédations sur la marine française et
sera finalement amputée à la France par les négociations de paix.
Pourquoi? Rappelons que l’Espagne rejoint la
guerre contre les Anglais tardivement en 1762. Toutefois, les forces
britanniques se démontrent plus puissantes que prévu : l’Espagne perd La
Havane en août après deux mois de siège, ainsi que la Floride, au profit des
Britanniques. La perte de ces deux dernières a un effet dévastateur sur l’avenir
de la Louisiane. Lors des négociations de paix, la France négocie à la fois
pour elle-même et l’Espagne. L’Angleterre accepte de restituer La Havane en
échange du territoire à l’est du fleuve Mississippi. Toutefois, la prise de la Floride
est vu comme la consolidation de l’emprise britannique sur la côte est de
l’Amérique. L’Angleterre refusera donc de la rendre à l’Espagne. La France,
pour faire passer la pilule, offre secrètement à l’Espagne le territoire à
l’ouest du Mississippi, incluant La Nouvelle-Orléans, en compensation. Le tout
sera confirmé par le traité de Paris en février 1763. Mais l’aventure française
en Louisiane ne se termine pas là… D’ailleurs, suivant le traité, deux vagues
d’immigrants acadiens arrivent en Louisiane, la première entre 1765-1769
comprenant environ 800 Acadiens qui étaient exilés chez les colonies
britanniques et la deuxième, en 1785, composée de 1 600 individus arrivant
de la France, soit les trois quarts de la population acadienne qui s’y trouvait.
En tout, c’est environ 3 000 Acadiens qui fondent des communautés en
Louisiane et deviennent les ancêtres des Cajuns d’aujourd’hui. Sans oublier que
la Louisiane redeviendra française pendant trois brèves années avant 1803—mais
ça, c’est une histoire pour une prochaine fois!
Il ne s’agit ici que d’un bref retour sur
l’histoire de La Nouvelle-Orléans et de la Louisiane sous le Régime français.
Mais on peut bien se demander : que reste-t-il aujourd’hui de ce régime? Autant
l’architecture britannique finit par dominer la ville de Québec, autant
l’architecture espagnole le fait à La Nouvelle-Orléans. En effet, l’incendie de
1788 rase la ville presque entière. Aujourd’hui, seuls quelques exemples de
constructions françaises survivent. Outre le monastère des Ursulines—le seul
bâtiment datant du Régime français—se trouvent la maison Madame John’s Legacy
et la Lafitte Blacksmith Shop, construits à la manière créole à la fin du xviiie siècle. Néanmoins,
l’esprit français continue de percer même après 300 ans : la toponymie
locale témoigne des gouverneurs français et des noms originaux de certaines
rues. La culture française, le plus célèbre exemple étant le Mardi gras, est toujours
célébrée. Si la langue française reprend un nouveau souffle de vie après 1804 avec
l’arrivée d’immigrants d’Haïti (l’ancien Saint-Domingue), en 2000 le français était
parlé par 4,6% de la population de la Louisiane.
Si elle fait aujourd’hui partie des États-Unis, La
Nouvelle-Orléans incarne en réalité plutôt la limite nordique des Caraïbes (en
effet, sous le Régime français, elle entretenait des liens plus étroits avec La
Havane qu’avec le Québec—rappelons que d’Iberville est inhumé à Cuba!). En
déambulant le long de ses rues, le visiteur ressent son histoire liée à quatre régimes
successifs (autochtone, français, espagnol, et américain). La ville est une
enclave culturelle et historique unique qui, paradoxalement, appartient aux
États-Unis tout en y étant à part. Aujourd’hui célébré pour son architecture, sa
musique et sa gastronomie, rien à l’époque pourtant ne prédisait que ce petit
poste du Mississippi allait devenir un boulon économique et culturelle d’Amérique.
Comme on dit à La Nouvelle-Orléans, « Laissez
les bons temps rouler! »
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