Pierre Berthiaume, Voyage au Canada dans le nord de l’Amérique septentrionale fait depuis l’an 1751 à 1761 par J.C.B. : L’imposture, Québec, Septentrion, 2021. 116 p.
Il est
difficile de faire une meilleure recension de ce livre que ce qui a déjà été
fait par mon cher collègue Michel Thévenin, doctorant, sur son blogue Tranchées & Tricornes. Néanmoins, j’aimerais partager à mon tour mes
propres impressions complémentaires de cette récente publication aux éditions
du Septentrion (éditeur de mon premier livre, soit dit en passant par souci de
transparence).
Sur une
centaine de pages, Pierre Berthiaume analyse et évalue l’authenticité du
journal de J.C.B., le seul témoignage publié d’un soldat en Nouvelle-France.
Certes, il existe de nombreux mémoires d’officiers métropolitains de passage
dans la colonie, mais ces écrits ne nous offrent qu’une perspective vue du
« haut » de la hiérarchie militaire. L’importance du journal de
J.C.B., publié à Québec en 1887 et édité par
l’abbé Casgrain,
est qu’il est notre plus important témoignage de l’autre extrémité de cette
échelle.
Berthiaume,
cependant, nous met en garde contre le texte. Avec raison, il soulève qu’il
comporte de nombreux emprunts d’autres écrits contemporains. Plus problématique
encore, le texte contient d’innombrables erreurs factuelles et chronologiques.
Cependant, il n’y a rien de nouveau en soi dans l’avertissement de l’auteur :
les historiens savent déjà que le livre est truffé d’erreurs. Comment
s’étonner, alors que le manuscrit a très probablement été écrit trente ans
après les faits, s’appuyant sur des notes incomplètes? Voilà donc aussi ce qui
explique les nombreux emprunts d’autres ouvrages sur le Canada. Loin d’être un
plagiat comme tel, c’est une pratique commune à l’époque à la fois dans les
mémoires et les traités militaires.
L’innovation
de Berthiaume est d’avoir cherché à pousser l’identification de ces emprunts et
ces erreurs. Bien qu’il soit intéressant de lire les nombreuses pistes
soulevées par l’auteur pour analyser le côté factuel du texte, l’argumentaire
quant à lui est beaucoup moins étoffé et même très diffus, voire confus.
Lui-même admet dans sa (trop brève) conclusion : « nous avons relevé
nombre de faits qui mettent en jeu l’authenticité de “Voyage au Canada”, sans
pour autant parvenir à démontrer hors de tout doute qu’il s’agit d’un faux. »
(p. 105). Comment alors justifier le titre, elle-même une imposture alors? De
plus, je ne peux m’empêcher de penser qu’en se concentrant sur les arguments
plus concrets et moins circonstanciels, L’imposture
aurait fait un meilleur article scientifique au lieu d’un livre.
De plus, la
majorité des sources secondaires citées sont datées. Ce n’est pas un péché en
soit (un vieux livre n’est pas nécessairement désuet), mais où sont les plus
récentes études sur lesquelles s’appuyer et avoir une meilleure idée des dires
de J.C.B.? Pour ne donner qu’un seul exemple, je ne comprends pas l’inclusion
d’ouvrages de la première moitié du xixe
siècle pour aborder l’histoire de la vallée de l’Ohio, alors qu’il existe de
nombreux incontournables plus récents comme les livres d’Eric Hinderaker.
Le
problème central dans cette évaluation du texte de J.C.B. est que Berthiaume,
comme l’explique sa notice biographique, est un « professeur émérite de
l’université d’Ottawa et spécialiste de la littérature française du xviiie siècle et des
relations de voyage en Amérique du Nord », sans pour autant être
spécialiste de la littérature militaire
du xviiie siècle. En
effet, un coup d’œil rapide sur la liste de ses publications, aussi admirable
soit-elle, confirme le fait. Il arrive donc qu’un spécialiste de la guerre de
Sept Ans puisse avoir des impressions contraires à celles de Berthiaume. Par exemple, un tel spécialiste ne trouverait pas étrange de trouver autant d'emprunts intertextuels, discutés plus haut. Autre exemple, Berthiaume cite certains passages
qu’il accuse de n’être que des « épisodes romanesques ». Pourtant,
celles-ci font écho à d’autres anecdotes vérifiées dans les sources. Au
contraire, il accorde plus d’importance à certains détails qu’un spécialiste
militaire aurait traités comme étant banals (le chien de J.C.B, par exemple).
Je dois
également souligner que dans sa liste d’éditions du mémoire de J.C.B., Berthiaume
cite la traduction de 1941, mais pas la version de 1993 augmentée de notes et
éditée par Andrew Gallup (Andrew Gallup,
Memoir of a French and Indian War Soldier, Westminster MD, Heritage
Books, 2007 (1993). 240 p.)
Au final,
l’ouvrage n’est pas inintéressant en soi. Il a certainement son utilité pour
quiconque s’intéresse davantage à J.C.B. de manière académique. Cependant, par
les méandres qui tournent parfois en rond (sans être trop sévère : le défi
que Berthiaume cherche à relever n’est pas facile, après tout), nous avons plus
l’impression de lire une réflexion à voix haute qu’une analyse finale bien
assise. Il est d’autant plus étrange que ce livre soit publié sous l’égide de
la Collection V des éditions du
Septentrion puisque
celle-ci est composée justement d’éditions critiques de sources premières. Or,
ce livre n’est pas une édition
critique. Contrairement à son titre qui peut confondre, il ne s’agit que d’une
critique, tout simplement, sans le texte analysé... L'exercice de Berthiaume est
louable dans sa tentative, mais méritait une plus longue maturation du projet.
Il aurait également été plus intéressant, par exemple, de pousser l’exploration
du contexte historique entourant le récit de J.C.B. Pourtant, il n’y a aucune
discussion sur les Troupes de la Marine ni de la guerre de Sept Ans au-delà de
ce que soulève J.C.B. à la base.
Paradoxalement,
c’est d’ailleurs là la plus grande faiblesse de l’ouvrage : Berthiaume
passe souvent tellement de temps à citer les propos de J.C.B. pour les remettre
en question qu’on se met à se demander pourquoi on n’est pas en train de lire
l’original au lieu, tant qu’à faire. L’analyse aurait donc mieux servi en étant
intégrée dans une édition critique de « Voyage au Canada ». Compte
tenu de la juste remarque de Berthiaume que l’édition de 1887 de Casgrain comporte de nombreuses erreurs de
transcription, pourquoi ne pas avoir justement repris le manuscrit disponible en ligne
depuis 2019 et en
faire une édition solidement éditée et commentée? Épaulé par un co-auteur
spécialiste de la guerre de Sept Ans et des écrits militaires du xviiie siècle, Berthiaume
aurait eu un produit final plus intéressant et plus étoffé non seulement pour
le monde académique, mais plus aussi pour le grand public en général. Pour
terminer sur une note plus positive, L’imposture
sera certainement un point d’ancrage important pour quiconque (Berthiaume
lui-même?) se lancera dans la création de cette édition critique tant
désirable.
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