Photo: Rendez-vous d'histoire de Québec 2019 |
Dans le cadre des Rendez-vous d’histoire de
Québec, j’ai eu le plaisir de partager la scène avec mon directeur de thèse,
Alain Laberge, ainsi que mes collègues et amis Michel Thévenin, Dave Noël, Louis
Lalancette et Louise Lainesse, présidente de la séance. L’événement intitulé « Quand
mémoire et histoire s’entrechoquent: la guerre de la Conquête et la recherche
scientifique au Québec » eut lieu à la chapelle des Jésuites/du Musée de l’Amérique
francophone à Québec.
Comme le titre le suggère, la table ronde portait sur la
pertinence et la pérennité de la recherche sur la Conquête et son effet sur la
mémoire populaire. J’aimerais reprendre ici mes réflexions partagées sur scène.
D’abord, un petit retour sur l’historiographie s’impose—c’est-à-dire,
comment les historiens au fil des années ont-ils étudié et traité cette guerre?
Au Canada français, La guerre de la Conquête
de Guy Fégault est publié en 1955 et donne son nom au conflit. Il s’agit encore
aujourd’hui de la seule synthèse d’importance écrite par un Québécois. Dans le monde
anglophone, le livre Montcalm
and Wolfe de Francis Parkman
était depuis 1884 la seule synthèse sur cette guerre et son déroulement sur l’ensemble
de l’Amérique du Nord. Il a fallu attendre la publication en 2000 du livre Crucible
of War de Fred Anderson
avant d’avoir une nouvelle synthèse incontournable. Il faut retenir toutefois
que depuis Frégault, il semblait (au Canada français tout le moins) qu’il n’y
avait plus rien à tirer de l’étude de la guerre de Sept Ans en Amérique. Et
pourtant en 2009, le 250e anniversaire de cette guerre a bel et bien
démontré le contraire : des historiens tant du Québec, du Canada anglais,
de la France, de l’Angleterre et des États-Unis ont organisé de nombreux
colloques qui ont produit de nouvelles anthologies d’études importantes.
Chacune de ces publications a démontré qu’il y avait de nombreux angles morts
dans la recherche sur la Conquête. De plus, ce ne sont pas que les nouveaux
sujets qui méritent l’attention des chercheurs, mais il y a également lieu de
revisiter chaque événement de cette guerre pour les réévaluer comme le démontre
très bien le livre Braddock’s Defeat
de David Preston, par exemple. Pendant longtemps, la stagnation de l’étude de
la Conquête a pu être liée en grande partie au stigmate lié à « l’histoire
bataille », c’est-à-dire le stéréotype d’une histoire purement
événementielle qui ne s’intéresse qu’au nombre de participants d’une guerre,
les victoires et le nombre de tués. Pourtant, cette nouvelle recrudescence d’intérêt
démontre que l’étude de la Conquête dépasse ce cadre restreint et cynique :
ce conflit devient un nouveau prisme par lequel voir entre autres une nouvelle
histoire sociale du 18e siècle en temps de crise, une histoire économique
mondiale, un retour sur la place de la Nouvelle-France dans la conscience
internationale, une réévaluation de l’agency
des Autochtones comme acteurs à part entière, etc.
Comme l’avait soulevé Alain Laberge, ces nouvelles études
avaient été menées par des historiens non-spécialistes de cette guerre. Depuis,
ces mêmes historiens se sont mis à diriger une nouvelle génération de jeunes
chercheurs (moi inclus!) qui se servent de ce conflit comme tremplin
intellectuel et qui en deviennent les nouveaux spécialistes. Comme quoi, il y a
encore tellement à déterrer, réévaluer et revisiter par rapport à la guerre de
Sept Ans qu'il y a aujourd'hui lieu d'avoir des professionnels dédiés à part entière à ce conflit seul.
De mon côté pour la table ronde, je portais mon regard sur
les « oubliés » de cette historiographie. Je rappelais, par exemple,
que les études sur l’impact de cette guerre sur la vie des civils peuvent se
compter sur les doigts d’une main… je songe entre autres à Louise Lainesse qui
a étudié les « presque veuves » de la Conquête, à Gaston Deschênes
qui a étudié les ravages britanniques contre la Côte-du-Sud en 1759, à Sophie
Imbeault et Jacques Mathieu qui ont porté un regard sur les civils à Québec en
1759 avec leur Guerre des Canadiens,
et enfin, à Dave Noël et sa maîtrise sur les civils. Pourtant, il y a beaucoup
plus d’histoires à découvrir au sujet des civils pendant cette guerre. Entre
autres, je m’intéresse à la présence des femmes dans les camps de l’armée. Ou
bien des réfugiés qui vont se rendre jusqu’en Louisiane pour fuir le front de
guerre… Justement, parlant de la Louisiane, l’historiographie a grandement
négligé cette dernière. Sur le coup, le seul ouvrage qui me vient à l’esprit à
ce sujet est l’ouvrage de Marc Villiers du Terrage, Les dernières années de la Louisiane française, publié en 1904… Même
si la colonie n’a pas vécu de front de guerre important comme au nord, elle a
tout de même été active pendant ce temps. Par exemple, il serait temps d’écrire
une étude sur les efforts de ravitaillement par la Louisiane en secours au
Canada.
Sans oublier que l’histoire des Autochtones est un terreau
fertile : comme Fred Anderson l’a très bien démontré, le dénouement de
cette guerre a été grandement influencé par la participation des alliés
autochtones. Pourtant, les études sont inégales. Autant on peut compter sur des
études au sujet des Cinq-Nations iroquoises et de leur participation, autant il
manque d’études sur la participation des Autochtones de l’Ouest…
Enfin, il ne faut pas oublier que notre table ronde s’est
également penchée sur la question de la périodisation et l’ampleur du conflit.
Par exemple, qu’on parle de la Conquête, de la guerre de Sept Ans, de la French & Indian War, etc., chaque
nom a son bagage géographique et chronologique avec ses forces et ses
faiblesses. D’abord et avant tout, comme l’a soulevé Louis Lalancette, faut-il
limiter l’étude de la guerre de Sept Ans entre 1754 et 1763 seulement? Déjà, j’ajouterais,
le terme « de 7 ans » ne représente pas bien le conflit en Amérique
où la guerre éclate sous couvert avant même l’Europe… Mais, pour reprendre les
propos de Lalancette qui sont également appuyés par de nombreux historiens, il
ne faut pas oublier que la guerre de Succession d’Autriche peut être perçue
comme la première moitié de cette guerre—après tout, la pause entre les deux
est considérée plus comme une suspension entre des belligérants essoufflés plutôt
qu’une paix réelle… Tout comme les dix-huitiémistes se servent du terme « le
long 18e siècle » pour mieux décrire les grandes tendances des
Lumières qui débordent sur le siècle précédent et suivant, doit-on trouver un
terme plus large qui insérerait la guerre de Sept Ans parmi d’autres conflits
semblables? Louise Dechêne parlait d’une guerre de 16 ans… moi-même, je préfère
m’éloigner des titres à chiffres, trop contraignants, pour utiliser un terme
moins chronologique et plus descriptif. Pourquoi pas la longue guerre d’hégémonie
américaine? Sans chercher à régler le nom et la chronologie ici même, j’espère
que ce nom, lancé impulsivement, illustre le type de terme parapluie nécessaire
pour évoquer la reprise de guerres impériales et coloniales des années 1740
(après une longue période de paix honnête) qui se termine avec la
reconfiguration totale des frontières nord-américaines suivant la Révolution
américaine. Et bien sûr, il sera à se demander si cette proposition sera assez
inclusive : j’entends déjà les spécialistes de l’histoire de l’Amérique
latine m’accuser de myopie et d’oublier les guerres entre le Mexique et les
États-Unis…
Bref, il ne s’agit ici que d’une très (et trop) brève
réflexion sur l’avenir des études sur la guerre de Sept Ans. Je me contenterai
de dire : nous avons bien du pain sur la planche!
NB Pour une discussion plus approfondie des noms donnés à ce conflit, je vous invite à lire mon collègue Michel Thévenin qui vient de publier un billet à ce sujet: https://micheltheveninhistorien.blogspot.com/2019/08/la-guerre-de-sept-ans-une-guerre-aux.html
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