Jusqu’ici,
mes pérégrinations américaines ont été menées surtout sur l’ancien territoire
de la Nouvelle-France. Cette fois-ci au lieu, j’ai eu le plaisir de visiter une
ancienne colonie britannique : la Virginie. Spécifiquement, j’ai visité le
« triangle historique », une région de l’état qui permet de faire un tour
complet de son histoire coloniale ainsi que celle des États-Unis. De sa
fondation à Jamestown, en passant par le 18e siècle à Williamsburg,
pour enfin rejoindre la naissance de la nouvelle république avec la victoire américaine
à Yorktown, c’est tout près de 175 ans d’histoire qu’on peut visiter dans une
circonférence faisant moins d’une heure de route.
Mon petit
compagnon de voyage était le livre L’Amérique
avant les États-Unis par Bertrand Van Ruymbeke, publié chez Champs,
collection Histoire. Pour mes lecteurs curieux d’en apprendre plus sur l’histoire
coloniale anglaise/britannique, je vous suggère cette excellente synthèse.
D’ailleurs, l’auteur peut s’enorgueillir du fait que je n’ai toujours pas
réussi à trouver un homologue de son livre de même qualité en anglais.
La première
chose que j’ai remarquée sur la route est la végétation complètement différente
à celle laquelle je suis habitué dans le Nord. C’est peut-être un peu naïf de
ma part, mais je trouve ça très intrigant et charmant de me sentir dépaysé par
la végétation. Ici, ce n’est plus le conifère qui est maître, mais le
feuillu : d’innombrables arbres que je ne saurais nommer parsèment les
montagnes de la Pennsylvanie et de la Virginie. Les paysages, en effet, sont
magnifiques : on doit d’ailleurs se méfier sur la route d’être trop distrait
par l’attrait des alentours, souvent à couper le souffle. Et tentez de les
photographier tant que vous voulez, les photos ne pourront jamais capturer la pleine
grandeur magnifique des Appalaches.
Notre arrivée
à destination avait pris plus de temps de prévu, puisque Cathrine, la
conductrice, insistait de passer en marge des grandes villes au lieu de suivre
la route la plus directe. Je dois d’ailleurs proposer que même en suivant la
route la plus courte, il est préférable de diviser son déplacement entre deux
jours afin d’éviter les mêmes mauvaises surprises que les nôtres. La
circulation était souvent imprévisible, même à l’extérieur des grandes villes
comme Baltimore et Washington. Dans notre cas, avec notre détour, ça nous a
pris 20 heures de route.
Cabane au KOA |
Pour
épargner, nous avons logé au KOA
de Williamsburg. C’était un plaisir de se reposer le soir auprès d’un bon
feu de camp, à siroter une bière locale. J’ai même droit de me venter que nous n’avons
jamais utilisé d’allumettes pour allumer notre feu, mais plutôt le batte-feu et
le silex, comme à l’époque! Le soir, on s’amusait à admirer les chauves-souris qui
menaçaient les insectes attirés par le lampadaire sur le chemin menant à notre
cabane. Un hibou ululait et on se sentait à l’aise. Il ne restait plus qu’une
bonne nuit de repos avant de visiter ce que nous étions venus voir.
Je recommande
à quiconque veut visiter la Virginie de se payer une
passe pour le « Historic
Triangle ». Au lieu d’acheter une entrée pour chaque attrait
historique individuel, cette passe générale vous fait épargner sur l’ensemble. D’ailleurs,
si vous restez dans un KOA, achetez votre billet sur place pour bénéficier d’un
rabais de plus. Normalement vendu à environ 100$ américains taxes incluses, le
billet nous a plutôt coûté 87$ chacun. Il vaut certainement la peine: il s’agit
d’une passe de 7 jours qui vous permet de visiter tous les musées et sites
reliés à Jamestown; Williamsburg et ses musées; et enfin le parc national de
Yorktown et le musée de la Révolution américaine.
Cathrine au College of William & Mary |
Le lendemain,
c’était le rendez-vous avez notre première destination : le College of
William & Mary. Fondé en 1693 par des membres de l’Église anglicane, il s’agit
d’une des plus vieilles universités en Amérique. J’accompagnais Cathrine qui
espère y poursuivre le doctorat. En effet, son programme d’archéologie ainsi
que son programme d’histoire sont parmi les plus prestigieux aux États-Unis.
La maison du gouverneur |
House of Burgesses, l'assemblée de la Virginie coloniale. |
Thomas Jefferson |
Si Jamestown
mérite l’éloge de premier lieu d’établissement anglais, c’est toutefois la
capitale, Williamsburg, qu’on peut qualifier comme étant l’homologue du Vieux-Québec,
à une exception près : ici, non seulement la vieille ville a-t-elle été
reconstituée et préservée, mais elle fait l’objet d’une reconstitution
historique poussée avec d’innombrables acteurs recréant la vie au 18e siècle.
En effet, au tournant du siècle, la capitale fut déplacée de Jamestown à Williamsburg,
jugé mieux protégé à l’intérieur des terres. Au début du XXe siècle, John D. Rockefeller
Jr. s’est laissé persuadé d’investir des sommes importantes pour la
préservation et la reconstruction partielle de la ville. Aujourd’hui, la ville
est un fleuron important parmi les sites historiques des États-Unis.
Si la
reconstruction de Williamsburg peut toutefois parfois sembler un peu
Disney-esque, il ne faut pas se leurrer: plusieurs reconstituteurs présents sur
place sont de véritables experts du domaine qu’ils représentent. Par exemple, Cathrine
et moi avons eu beaucoup de plaisir à parler avec un spécialiste des textiles
d’époque, ainsi qu’avec un charron. Il faut se rappeler d’ailleurs que
Williamsburg s’agit du plus grand musée plein air en Amérique, tout comme
Louisbourg au Canada. Ses collections sont souvent utilisées comme référence chez
d’autres musées et ses bâtiments sont souvent utilisés comme arrière-plan pour
de nombreuses séries télévisées (dont le récent Turn).
Ne ratez surtout pas le musée d'art de Williamsburg! Il s'agit à la fois d'un musée d'histoire. |
Je n’ai qu’une
recommandation importante à faire pour quiconque planifie visiter Williamsburg :
ne ratez surtout pas le musée d’art. Nous avons fait l’erreur d’attendre à la
dernière minute pour le visiter, sans savoir que nous aurions pu aisément y
passer une journée entière. Son art colonial et ses objets d’époque vont
envoûter les amateurs du 18e siècle.
À l'intérieur d'un des navires reconstruits. |
Le site du "Jamestown Settlement", une reconstitution du fort James datant de 1607. |
Après deux
jours passés à Williamsburg, ce fut un plaisir de découvrir le site
archéologique de Jamestown; en effet, les vestiges de la première colonie
anglaise permanente en Amérique datent de 1607, un an avant la fondation de
Québec par Champlain. J’ai été stupéfié de découvrir que Jamestown ne compte
pas un, pas deux, mais trois musées
dédiés à la fondation de la colonie, ceci alors que Québec annonce la fermeture
du seul petit musée dédié à la Place Royale. C’est vraiment une honte pour le
Québec et le Canada de ne pas investir autant dans leur histoire que le fond
les Américains.
Les fouilles archéologiques sont en continue à Jamestown. Leur programme de rayonnement publique est un des meilleurs au monde. |
Une représentation de Matoaka, alias Pocahantas. |
John Smith, dont la réputation a récemment été réévaluée par les historiens. |
Il y a
techniquement deux sites à visiter pour Jamestown: le « settlement » et le site archéologique.
Le premier comporte un musée extraordinaire et une reconstitution du site avec
de nombreux interprètes. Ce site possède également des répliques des trois
premiers navires à s’être accostés lors de la fondation. Mais de loin, la
meilleure partie de cette visite est le musée récemment rénové. En tant
qu’historien spécialiste des XVIIe et XVIIIe siècles, j’ai été épaté
d’apprendre du nouveau, ce qui n’arrive pas souvent. Un aspect du musée que
j’aimerais applaudir en particulier est l’exposition sur les esclaves noirs
apportés à Jamestown. Les concepteurs du musée ne se sont pas contentés de
conter leur histoire qu’à partir de leur arrivée, mais ont pris la peine de
récapituler le contexte de leur capture en Angola. En plus, le musée entier se
consacre à expliquer aux visiteurs les trois cultures présentes à
Jamestown : les Anglais, les Africains et, bien sûr, les Powatans. Le
produit final est une expérience révélatrice qui réussit à bien nous introduire
aux enjeux sociaux, politiques et souvent personnels soulevés par la rencontre (lire :
choc) des trois cultures.
Artefacts tels qu'ils ont été trouvés dans un puits. |
Le deuxième site
s’agit de l’emplacement réel du fort James, découvert en 1994. Si le musée qui
introduit le lieu n’est pas aussi impressionnant que l’immense musée au Settlement, le musée d’archéologie, lui,
est à ne pas manquer. L’Archaearium,
ainsi nommé, expose de nombreux artéfacts découverts sur le site. Je n’ai
jamais vu un aussi beau musée dédié à l’archéologie. Et pour les plus frileux,
sachez qu’une section est dédiée aux dépouilles retrouvées sur le site, dont celle
d’une jeune anonyme baptisée Jane, victime de cannibalisme durant l’hiver 1609.
Bref, Jamestown et ses musées ne font pas que nous enseigner les événements de
la fondation de la Virginie, mais réussissent également à nous faire revivre
les vies et mœurs des gens qui s’y trouvaient et les épreuves qu’ils ont
souffert.
Thomas Jefferson |
La tombe de Thomas Jefferson |
Même s’il ne
figure pas dans le « package » du triangle historique de la Virginie,
nous avons fait 2 heures de route pour visiter Monticello, la maison construite
par Thomas Jefferson. Diplomate, francophile, troisième président des
États-Unis et l’auteur de la Déclaration d’indépendance, Jefferson est l’incarnation
même de l’esprit des Lumières et du 18e siècle. L’homme est également un
paradoxe : bien qu’il a prêché la liberté individuelle pour ses
concitoyens, à l’inverse il a toujours refusé de libérer ses esclaves et a opté
de confier la question d’émancipation à la prochaine génération de politiciens.
Sans l’exonérer pour autant à ce sujet, il faut tout de même lui rendre notre
admiration pour toutes ses autres réussites très progressistes pour son époque.
Pour quiconque s’intéresse à sa vie, un passage à Monticello est obligatoire. Visitez
également sa tombe, tout près: il ne s’agit pas ici tant d’une visite que d’un pèlerinage,
selon moi.
Une des rares commémorations des Français à Yorktown |
George Washington en bonne compagnie. |
La visite de
Yorktown fut rapide, puisque nous allions visiter à la fois le nouveau musée de
la Révolution américaine. Si le site vaut certainement la peine d’être visité,
je dois dire que j’étais un peu déçu du traitement de la mémoire des Français.
D’une part, les guides et les interprètes répétaient sans cesse que la victoire
finale des États-Unis contre la Grande-Bretagne revenait en réalité à la France, leur
allié; de l'autre, sur les lieux, peu de commémorations existent outre des
indications des emplacements des forces françaises. Si les morts américains
ont droit à un superbe cimetière d’état, les Français ont au plus
une petite croix blanche et une plaque qui soulève l’emplacement ambigu de
leur cimetière. La boutique n’offrait à peu près aucun produit ni livre
commémorant l’aide française, à part un petit drapeau français.
Le pistolet offert à Washington par Braddock se trouve au Smithsonian. |
L'écritoire de Thomas Jefferson sur laquelle fut écrite la Déclaration d'indépendance. |
Le chapeau et le fouet d'Indiana Jones. |
Lafayette |
National Archives, un 4 juillet! |
Le Hope Diamond aurait appartenu à Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. |
Non, je n'ai pas vu Trump... |
Au musée d'histoire naturelle de la Smithsonian. |
Musée d'histoire américaine. |
Nous avons eu
la chance de passer quelques jours à Washington chez de la parenté à Cathrine.
Si les guides indiquent que tous les arrêts touristiques intéressants
peuvent se faire facilement à pied, cela ne veut pas dire pour autant qu’il est
possible de tout visiter en deux jours. À preuve, j’ai dû me contenter de voir
le monument de Lincoln et celui de Jefferson qu’au loin en auto. Notre
priorité: marcher devant la maison blanche, visiter la place Lafayette, et
visiter deux musées Smithsonian, dont les musées d’histoire américaine et d’histoire
naturelle. Sans oublier une attente d’une heure pour voir les documents
fondateurs des États-Unis aux National
Archives, dont la Déclaration d’indépendance! (Et non, nous n’avons pas vu
Nicolas Cage dans le coin…) Deux jours, c’est vraiment court pour visiter la
capitale américaine!
Sur le chemin
du retour, nous avons jugé qu’il était préférable de diviser le voyage en deux.
Ceci nous a permis de visiter rapidement Gettysburg que nous avons croisé par
hasard. L’arrêt en vaut la peine, bien que Cathrine m’assure que choisir entre
le musée et le champ lui-même, vaut mieux voir ce dernier, ce que nous avons
fait en deux heures et demie. Effectivement, entre autres, j’ai eu le plaisir
de monter au haut d’une tour d’observation donnant une bonne vue d’ensemble du
point de vue de l’armée confédérée, en plus de visiter le point sensible
défendu par l’Union (Big Round Top et Little Round Top).
Je ne pouvais
m’empêcher d’être sidéré : il est incroyable de songer que l’indépendance
américaine s’est jouée à Yorktown avec près de 19 000 combattants pour les
États-Unis contre 9 000 britanniques, avec environ 400 tués (deux côtés
confondus). Mais à Gettysburg, environ 80 ans plus tard, il se trouvait
104 000 combattants pour l’Union contre 75 000 Confédérés, avec plus
de 30 000 tués sur le champ de bataille, presque autant de morts que
pendant toute la guerre du Vietnam… Ce n’est qu’en pleine connaissance de ces
chiffres qu’on peut avoir une réelle appréciation de l’importance de ce qui
s’est déroulé sur ce champ, aujourd’hui paisible et dont on ne soupçonnerait
pas le passé n’était-ce des innombrables monuments et effigies. L’émancipation
que Jefferson hésitait à aborder un demi-siècle auparavant allait se régler à
prix de sang…
Au final, ce
voyage était non seulement une vacance bien méritée, mais aussi l’occasion de
regarder l’autre bord de la clôture et d’observer une fois de plus comment les
Américains commémorent leur histoire. Ce fut également l’occasion, pour un
historien de la Nouvelle-France, de découvrir davantage la culture et les mœurs
des colonies britanniques. En effet, il nous arrive trop souvent de traiter des
Britanniques à l’époque comme s’il s’agissait d’un monolithe homogène lorsque
la réalité était tout autre. Selon mon expérience, en comparant simplement Schenectady,
New York, à Williamsburg, Virginie, on découvre une importante différence entre
l’organisation spatiale, l’économie et la mentalité des deux régions. Si les
Canadiens ne prenaient pas nécessairement la peine de différencier entre Britanniques,
au contraire, ces derniers ne se faisaient pas de telles illusions sur leurs
identités régionales.
Pour
conclure, ce n’étaient ici que quelques observations et commentaires sur mes
nombreuses expériences vécues pendant ce voyage. Je vous souhaite d’en vivre
autant à votre tour!
#SWAG |
Pour plus
d’information :
- http://www.historyisfun.org/jamestown-settlement/
- http://historicjamestowne.org/
- https://www.colonialwilliamsburg.com/
- http://home.monticello.org/
- https://www.nps.gov/york/index.htm
- https://www.virginia.org/
Je suis jaloux !
ReplyDeleteComme je l'ai indiqué dans le post "Ticonderoga" je vais donc à Washington DC et philadelphie en avril 2020. j'ai déjà lu la bibliographie de Marcus Cunliffe sur George Washington, le Thomas Jefferson de Jon Meacham et je vais sans doute relire Bertand van Ruymbeke qui est venu dans ma ville et que j'ai raté.
Comment aller à Washington DC sans aller saluer notre ami francophile Thomas Jefferson à Monticello, pousser jusqu'à
Jamestown (dernièrement undocumentaire passé à la TV française a présenté les recherches récentes sur la jeune fille dévorée par les colons) et bien sur à Yorktown.
Yorktown !
"Pour la première fois depuis la bataille de Dorchester Heights, tout se passa pour lui (Washington) sans incident, comme si tous les participants avaient répétée la pièce au préalable. De Grasse atteignit les bouches de la Chesapeake un peu avant une escadre britannique, empêchant ainsi Cornwallis de s'échapper par le mer. En quelques jours, Washington, Rochambeau, La Fayette et de Grasse firent leur jonction. Dix sept mille soldats alliés , dont huit mille Français investirent Yorktown et, pour le moment, les Français étaient maîtres de la mer. c'était un miracle qui se réalisait, et il se réalisait dans un décor familier à Washington, car à quelques kilomètres de là se trouvait Williamsburg où, vingt-six ans plus tôt il était arrivé à cheval de l'Ohio pour prévenir Dinwiddie des empiétements des Français."
Cf "Georges Washington l'homme et la légende" de Marcus Cunliffe
Donc j'avais prévu de pousser jusqu'au triangle historique et j'avais même réservé une nuit à Williamsburg.
Et il fallait faire tout cela en deux jours ! Y aller en train depuis Washington DC ? Pas rapide les trains dans ce coin. Louer une voiture ? Mais comment sortir de Washington DC ?
Bref j'ai abandonné. Dommage je regrette.
J'irai me consoler en allant voir au Smithsonian le pistolet offert à Washington par Braddock !
Si jamais vous réussissez à trouver moyen de vous déplacer dans le triangle historique, rappelez-vous que ça revient moins cher d'acheter une passe pour les trois sites!
ReplyDeleteJe vous souhaite un merveilleux voyage et n'hésitez pas à partager vos plus belles photos!