24 November 2021

Un grenadier un peu moins anonyme

Bombardement van Bergen op Zoom, 1747. Détail.
Simon Fokke, d'après Cornelis Pronk, 1772.

Nous avons tendance à oublier que les soldats qui arrivent dans la colonie pour la défendre pendant la guerre de Sept Ans ne sont pas tous de simples recrues. Plusieurs sont des vétérans de la guerre de Succession d’Autriche. Justement, je viens de tomber sur un individu en particulier qui a piqué ma curiosité. André Doreil, le commissaire ordonnateur des guerres en Nouvelle-France, écrit au ministre :

« J’ay l’honneur de vous envoyer cy joint l’Etat signé et apostillé de neuf grenadiers, Caporaux, oû soldats des seconds Bataillons des Régiments de la Reine, La Sarre, Guienne, et Béarn que leurs blessures et infirmités ont mis hors d’état de continuer leurs services, les quels sont proposés pour les Invalides, après avoir été scrupuleusement examinés par M. Le Marquis de Montcalm et par moy. Dans le nombre est le nommé Bellerose grénadier de la Reyne qui entre de droit à l’hôtel oû il avoit eté cydevant admis par un coup de feu qu’il avoit reçu au bras au siège de Berghopsoom [Berg-op-Zoom] étant dans le Régiment de Normandie : aprés avoir eté detaché de l’hôtel, il s’engagea au Régiment de la Reyne oû il a servi 8. ans consécutifs. C’est d’ailleurs un bon sujet. » [1]

Arrêtons-nous ici deux instants pour nous rappeler que le siège Berg-op-Zoom a lieu pendant la guerre de Succession d’Autriche. Cette ville des Pays-Bas en Europe est défendue par  plus de 16 000 hommes. Les Français mettront plus de deux mois à l’assiéger avant de finalement pouvoir s’infiltrer à l’intérieur de ses murs le 16 septembre 1747. Pour citer l’historien Michel Thévenin, « C’est là que les Français, enragés par deux mois d’un siège long et coûteux, déchaînent leur fureur. Une partie de la garnison est massacrée, et la ville est mise à sac. Le déchaînement des Français à cette occasion, et le pillage de la ville, choquent profondément l’Europe. » (Pour en savoir plus sur cet épisode, je vous invite d’ailleurs à lire le billet de blogue de mon cher collègue et ami en cliquant ici.) Toujours est-il, de nombreux vétérans de cette campagne vont participer au prochain conflit, la guerre de Sept Ans. Certains iront même au Canada, dont le dit Bellerose.

Nous avons de la chance d’avoir une description physique de ce grenadier. Dans un état des blessés envoyés en France, on y lit :

« Claude François [Renoux/Kenoux] dt Bellerose. Grenadier, natif de Paris, P.sse [Paroisse] S.t Roch agé de 32. ans. Taille 5. p. 3. p. ½ cheveux, barbe et sourcils noirs, les ÿeux roux, le nés [nez] aquilin, le visage long, une cicatrice sur l’oeil gauche. // a servi cinq ans dans le Regiment de Normandie 18. mois aux invalides et 8. ans dans le Regiment de la Reine. // avoit reçu un coup de feu au bras au siege de Bergopzoom pourquoi il avoit eté admis à l’hôtel. Etant detaché au fort S.t Vincent en Provence il s’engagea dans la Reine, ayant obtenu un congé d’un an [en/et] plus. fort incommodé de douleurs aux reins. » [2]


Alors que je perds sa trace (il ne semble pas inclus dans l’inventaire du Projet Montcalm non plus), on peut déjà être heureux d’avoir ces rares informations à son sujet. Comme mes lecteurs assidus le savent déjà, je travaille présentement sur la présence des femmes qui accompagnent l’armée. Ce projet courant a sa part de défis alors que les soldats eux-mêmes ont tendance à être relativement anonymes dans les sources. Le plus souvent, on ne parle que d’effectifs et non d’individus. Voilà donc un grenadier qui devient un peu moins anonyme à cause de ses blessures.

Notons avant de terminer que le cas du dit Bellerose n’est pas unique : ces informations ont été tirées d’une liste d’infirmes et de blessés renvoyés en France. Ces documents sont l’occasion de mieux connaître d’autres individus et de constater certains détails. Par exemple, Bellerose porte une barbe. Il n’est pas le seul, d’ailleurs. Pourtant, le cliché veut que les hommes au xviiie siècle soient imberbes, selon la mode de l’époque. S’agit-il ici d’un choix personnel? Peut-être est-ce par esprit de corps? Après tout, certains corps militaires ont pour tradition le port de la moustache. Mais encore : il est également possible que cette pilosité soit directement attachée aux conditions difficiles dans les camps militaires. En 1760, le chevalier de Lévis se plaint du manque de savon à raser pour ses hommes.

Autant de questions intéressantes soulevées par des sources tout aussi fascinantes!

N.B. Je ne peux pas terminer ce billet sans noter que parmi les soldats qui doivent retourner en France pour suite de blessures, Doreil mentionne qu’il « reste également dans [cette] colonie [...] un bon soldat, [puisque] nous n’avons pas pû refuser à la demande de M.rs de Vaudreüil et Bigot qui avoient besoin d’un bon ramoneur pour les cheminées du Roy à Québec. »

Sources :

1. SHD, A1 3499, pièce 46. Québec. M. Doreil : situation des troupes; invalides et soldats congédiés, 1er septembre 1758.

2. SHD, A1 3499, pièce 48. Québec. "État de neuf soldats… qui sont proposés pour les Invalides…", 1er septembre 1758. 

 

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