On sent une certaine inspiration d'Assassin's Creed… |
Il y a quelques
semaines, l’émission Points de repères
diffusait un épisode sur le siège de Québec. Un ami français m’a
généreusement prêté une copie à écouter (puisque je ne n’ai pas trouvé manière
de l’écouter ici au Canada). M’ayant demandé mon opinion, j’ai décidé de lui
répondre directement sur mon blogue afin de la partager avec mon lectorat
aussi.
Comme d'habitude, les pauvres Amérindiens
semblent tous souffrir d'une courbature de la colonne vertébrale… Arthrite précoce? Ou le poids des stéréotypes? |
J’admets que j’ai
adoré le traitement très stylisé du sujet. Au lieu de s’embourber dans les
détails des costumes et de l’environnement, les réalisateurs utilisent des
animations rappelant d’une part un spectacle d’ombres chinoises et de l’autre, Assassin’s Creed. Si l’idée d’épurer et
distiller les événements pour s’en tenir aux faits saillants me plaît au niveau
de bonne vulgarisation, n’empêche que quelques maladresses se glissent. Voici,
très brièvement, mes quelques critiques :
·
En intro,
on présente la question de la campagne de Québec ainsi : « Un petit
grain de sable va décider du sort de la Nouvelle-France… » Un petit grain
de sable? C'est vraiment faire exprès d'ignorer les milliers de soldats impliqués
dans cette guerre et les immenses efforts militaires, économiques et politiques
des deux belligérants!
·
La
trame schizophrénique porte à confusion… On introduit Jacques Cartier pour
ensuite parler de George Washington et ensuite le siège de Québec, avant de recommencer
le tout avec les Vikings… vous suivez? Ça aurait été plus intéressant de s’en
tenir à une mise en situation plus brève pour passer plus de temps à
contextualiser la guerre de Sept Ans. Sur ses 26 minutes, le documentaire
gaspille énormément de temps sur les débuts de la colonie alors que son but est
de parler de sa fin.
·
« L'hiver
dure 5 mois. Les températures peuvent descendre en dessous de -40 degrés. »
Pas faux. Toutefois, je m'amuse à imaginer la face horrifiée de tous ces
Français à l'écoute qui s'imaginent mal « survivre » un tel climat!
·
Encore
une fois, on évoque le fameux mythe du Canadien, « pas tout à fait
Français ». En réalité, le Canadien est tout aussi Français que ne l’est
le Breton, le Normand, le Parisien. D’ailleurs, au seuil de la Conquête, jamais
n’a-t-il été aussi semblable que ses confrères métropolitains.
·
Point boni
: avoir mentionné la variété de cultures amérindiennes.
·
Point retiré
: généralisation de la société égalitaire chez les Amérindiens. Il y a tout de
même des nuances et des exceptions importantes entre nations.
·
Le
terme « coureur des bois » n'est plus aussi important au 18e siècle
qu'il ne l'était au 17e. Le documentaire se confond avec les Voyageurs. D'ailleurs,
ils ne « courent » pas littéralement les bois comme illustrés ici. On
fait plutôt référence à leur statut d’homme libres. Je simplifie énormément,
mais j’en profite pour insérer une bonne « plogue » et vous inviter à
lire Histoire des coureurs de bois de
Gilles Havard à ce sujet.
·
Le
drapeau britannique est schizophrénique : tantôt c'est le bon drapeau pour
1759, tantôt c'est le drapeau d’aujourd’hui.
·
On
tombe encore une fois dans le piège de traiter de la petite guerre comme étant
une invention purement nord-américaine. En réalité, elle est utilisée en Europe
(même Montcalm s'en est servi pendant la guerre de la Succession d'Autriche
(1740-1748)!). De plus, en l'attribuant seulement aux Canadiens, le documentaire
néglige de mentionner les nombreuses compagnies de Rangers au service de
l'Armée ennemie. Pensez Robert Rogers!
·
Point boni
: mention de l'importance de la marine dans ce conflit.
·
Encore
une fois, Montcalm n'a pas à se faire donner de leçons sur la petite guerre :
il comprend c'est quoi et possède de l'expérience!
·
Les
miliciens ne sont pas aussi redoutables que le suppose le documentaire : ils
sont surtout une masse importante de main d'œuvre plutôt que de réels combattants.
·
Je ne
suis pas spécialiste de la Marine, mais je serais curieux de demander à un
spécialiste son avis sur le segment à ce sujet.
·
*Sniff*
Une larme pour Saunders, négligé au profit de Wolfe raclant toute la gloire de
la remontée du Saint-Laurent.
·
Oh ho,
grossière présupposition… le documentaire déclare que si Montcalm s'en était
tenu à la petite guerre, la Nouvelle-France aurait survécu. Décevante
conclusion, puisque de 1) Montcalm a bien su défendre la colonie avec les
moyens à sa disposition. 2) Le rouleau compresseur démographique des Colonies
anglaises et de l'armée britannique aurait pris le dessus éventuellement. Sans
aller plus en détails, on pourrait même dire que n'était-ce de l'adoption des
tactiques et de l'expérience européenne à Carillon et à Québec, la colonie
aurait été prise beaucoup plus tôt. Bref, l’utilisation de la « guerre à l’européenne »
n’était pas imposée à cause d’une préférence subjective, mais par nécessité.
·
Minute…
les Canadiens doivent dorénavant parler anglais et devenir protestants?
Quelqu'un a oublié de le mentionner à Amherst lorsqu’il approuve les articles
de capitulation de Montréal alors…
·
Le
documentaire répète, en conclusion, le mythe comme quoi la guerre de Sept Ans
est le premier conflit « mondial ». Pourtant, pour citer l'historien
Jeremy Black, :
« cette affirmation ne
prend pas en compte la portée de la lutte entre la Hollande et l’Espagne, au
début du xvie siècle, qui s’était étendue de l’Europe à l’Amérique
du Sud, de l’Afrique de l’Ouest à l’océan Indien ». (Jeremy Black,
« La guerre de Sept Ans, un conflit mondial » dans Bertrand Fonck et
Laurent Veyssière, dir. La fin de la Nouvelle-France, Paris, Armand
Colin et Ministère de la Défense, 2013, p. 27.)
Bref, Points de repères fait une bonne
tentative d’expliquer la campagne de Québec, mais s’embourbe un peu dans une
historiographie traditionnelle et dépassée par les nouvelles études récentes.
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