Capitaine Perdu, Tome 1.
Par Jacques Terpant
Glénat BD
2015
56 pages
Jacques Terpant, l’auteur de BD, vient de lancer sa plus
récente création, Capitaine Perdu. Imaginez
ma fébrilité en apprenant qu’il s’agit de l’histoire des derniers jours du fort
de Chartres aux Illinois vers 1765. Si l’ouvrage est maintenant disponible en Amérique, j’ai eu toutefois le plaisir de le retrouver en format
Kindle sur Amazon.com (néanmoins, j’avertis le lecteur que ce format ne
fonctionne bien qu’avec une tablette. Sinon, les images risquent d’être un peu
trop petites).
Je vous partage donc mes impressions.
D’abord, il faut mentionner qu’il est rafraîchissant de
trouver une BD qui s’éloigne des principaux personnages de la Nouvelle-France
pour se pencher sur des personnages plus obscurs, ceux qui n’ont pas
nécessairement été élevés au panthéon de la mémoire populaire, mais dont les
vies ont été tout aussi aventureuses. Il s’agit ici d’autant plus d’une région
et d’une période fascinante du Régime français qui méritent une plus grande
attention tant en France, au Québec et aux États-Unis (même si j’admets
volontiers que je suis un peu biaisé du fait qu’il s’agit de ma période et ma
région d’étude).
L’ouvrage comprend d’abord une préface signée de Jean
Raspail qui reprend l’interprétation mythique comme quoi les Français ont été
pacifistes et bons ententistes avec les Amérindiens. L’œuvre ne cache pas d’ailleurs
qu’il fait écho à cet extrait de Francis Parkman : « La civilisation
espagnole a écrasé l’Indien; la civilisation anglaise l’a méprisé et négligé;
la civilisation française l’a étreint et chéri. ». Si cette maxime est
réductrice et simpliste, il en demeure néanmoins qu’en cette période de la fin
du Régime français en Amérique, les peuples amérindiens avaient réalisé amplement
que l’équilibre du pouvoir venait d’éclater avec le retrait de la France de l’Amérique
continentale. Comme l’illustre la guerre dite de Pontiac, les anciens alliés
français (et quelques nouveaux alliés) se sont battus pendant trois années suivant
la signature du Traité de Paris pour tenter à tout le moins de chasser les
Britanniques de leurs terres, et au plus, encourager le retour de la puissance française.
C’est sur cette période trouble et ses événements que porte le récit de la BD. Terpant
démontre assez adroitement à quoi ont pu ressembler les rassemblements qui ont
eu lieu au fort de Chartres pour chercher l’appui du commandant de la place, Louis
Saint-Ange de Bellerive.
Le héros de la BD: Louis Saint-Ange de Bellerive |
Si l’ouvrage est agréable à lire, il n’échappe pas à quelques
erreurs historiques. La première et la plus évidente à souligner porte
justement sur Saint-Ange de Bellerive, le personnage principal que Terpant
dénomme le « Capitaine Perdu ». Perdu, en effet, car après de
nombreuses années au service de la couronne française, ce commandant s’était vu
obligé de soumettre son fort aux Britanniques et de se replier à Saint-Louis,
récemment fondé sur la rive opposée du Mississippi, en territoire espagnol. L’artiste
dépeint l’officier avec la physionomie d’un solide gaillard âgé tout au plus de
la quarantaine. Or, Saint-Ange de Bellerive est né à La Prairie en 1702.
Entre 1764 et 1765, période où a lieu l’action de la BD, il avait donc environ
62 ans! Il est mort d’ailleurs en 1774. Selon ses propres paroles, Terpant dit
qu’il y a très peu d’information sur Saint-Ange de Bellerive, alors il a fait
« acte de création ». Néanmoins, pour mes chers lecteurs qui veulent
s’informer davantage sur ce fascinant personnage, je vous réfère au récent
livre de Carl Ekberg et Sharon K. Person, St.
Louis Rising : The French Regime of Louis St. Ange de Bellerive.
Je m’arrête également
sur ces quelques détails qui méritent néanmoins d’être mentionnés. Au niveau du
transport fluvial, les convois se faisaient le plus souvent à l’aide de bateaux
à fond plat. L’omniprésence de canots dans la reconstitution de Terpant éclipse
également le fait que la pirogue était, dans cette région, le mode de transport
habituel chez les Amérindiens et les Français. L’inclusion de plusieurs
personnages à barbe relève également de l’anachronisme : d’abord, sur le
plan de la mode du siècle, mais également sur le plan des relations
amérindiennes — ceux-ci voyaient la pilosité faciale comme étant répulsive.
Un élément important qui aurait surtout mérité une meilleure
recherche de la part de l’auteur est l’aspect architectural. Si le fort de
Chartres représenté dans la BD est celui reconstruit pendant le dernier siècle
(voir mon article à ce sujet ici),
l’architecture est néanmoins basée sur la reconstruction de Louisbourg, fidèle
aux sources [Erratum de ma part: il s'agit plutôt du fort Niagara -JG]. Ironiquement, Teprant traite la reconstruction moderne du fort de
Chartres de « Disneyland », alors qu’il s’agit d’un commentaire plus
approprié pour sa propre reconstitution de villages. En effet, celles-ci
demeurent très anachroniques. Les habitations du Pays des Illinois,
contrairement aux images de Terpant, n’étaient pas de pierre, et celles en bois
qui sont illustrées dans la BD sont plus typiques du XIXe siècle
avec l’arrivée de l’influence anglo-américaine.
La maison Bolduc à Sainte-Geneviève, Missouri, un excellent exemple d'architecture créole du Pays des Illinois. |
Il y a plusieurs autres petits détails que je pourrais soulever,
mais qui relèvent pour l’instant de débats historiques courants. On ne peut
donc critiquer l’artiste qui, selon les demandes d’un médium visuel destiné au
divertissement, a dû faire des choix et trancher ces questions. Enfin, sans
pour autant être une erreur, je ne peux m’empêcher de mentionner en passant que
le chef des Kaskaskias, Tamarou, a un air de famille avec Wes Studi, acteur
cherokee bien connu... ce qui m’a fait bien sourire.
Malgré ces quelques erreurs historiques, je dois souligner
que c’est un pur plaisir de prendre son temps à lire cette BD. Chaque case
déborde de détails. Si parfois l’auteur a mal interprété certains
accoutrements, ce n’est pas par manque d’avoir cherché à être le plus
authentique possible. Les erreurs de l’auteur témoignent du fait qu’il n’est
pas nécessairement un historien spécialiste de la culture matérielle, et non qu’il
a manqué d’une attention minutieuse aux détails. Par exemple, autant qu’on peut
se frustrer de l’inclusion de franges plus typiques du XIXe siècle
(un stéréotype malheureusement présent même dans plusieurs excellents musées,
d’ailleurs), on peut autant s’émerveiller des petites touches comme les
tatouages indiens conformes à la période. Après tout, comme l’auteur admet, la
plus grande difficulté est de documenter les Indiens. (Sur la question des
échanges culturels sur le plan vestimentaire au Pays des Illinois, se rapporter
à Sophie White, Wild Frenchmen and
Frenchified Indians.)
Jacques Terpant porte une attention particulière aux détails. |
Alors que l’épilogue fait un retour historique encore une
fois trop simpliste qui erre dans le cliché du Français « ensauvagé »,
on souligne néanmoins qu’à l’inverse, on y découvre que Terpant a tout de même
tiré inspiration de Richard White et de Gilles Havard dans ses recherches. Si
dans les menus détails on peut trouver plusieurs failles (qui est toujours le
cas, peu importe le médium artistique), la trame historique, dans ses grandes
lignes, est fidèle à la réalité. Il en est de même avec les principaux
personnages. Terpant capture bien l’appréhension des Amérindiens et des
Français face au changement de régime. L’esprit du temps est très bien englobé
et démontré entre les pages de cette BD. Et pour un ouvrage grand public, c’est
souvent l’aspect qui doit être prôné d’abord et avant tout. Pour cela, je
recommande l’ouvrage tant pour un public plus large que pour mes collègues qui
cherchent un moment de détente en compagnie de personnages réincarnés et
ressuscités à l’aide du pinceau de Jacques Terpant. Et selon les images tirés
du prochain volume en préparation, je peux dire que j’ai extrêmement hâte de
lire la continuation du récit que nous livre son auteur.
Lectures suggérées :
- Site officiel de Jacques Terpant : http://www.terpant.com/
- Entrevue avec Jacques Terpant : https://youtu.be/pkZHSB6RPFk
- Ekberg, Carl J. et Sharon K. Person. St. Louis Rising: The French Regime of Louis St. Ange de Bellerive. Urbana, University of Illinois Press, 2015. 326 p.
- Gagné, Joseph « Le fort de Chartres en Illinois », Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française, novembre 2011. En ligne : http://www.ameriquefrancaise.org/fr/article-663/Fort_de_Chartres_en_Illinois.html.
- White, Sophie. Wild Frenchmen and Frenchified Indians: Material Culture and Race in Colonial Louisiana. Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2012. 360 p.
Bonjour, merci de ce long article sur votre blog (Gilles Havard l'a lu aussi et m'a dit vous connaitre) vous l'avez compris j'ai fait "oeuvre" de fiction sur le sujet ma difficulté pour la documentation (que vous avez souligné) a principalement porté sur l'architecture des maisons et toutes les différences entre nations amérindiennes, documentation difficile pour moi en France (vous avez relevé avec ironie un petit commentaire "Disneyland" ,sur la restauration de fort de Chartres, j'admire le travail des gens qui animent ce lieu, la seule chose que je voulais dire était sur le système de construction, pierres et chaux qui ne sont pas monté comme on le faisait à l'époque, mais comme on se l'est imaginé dans la reconstruction (j'ai restauré plusieurs bâtiments du 12 eme au 18eme) merci à vous, de vous être intéressé à cet album ,je prépare le tome 2...
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