Image: courtoisie du Musée des Ursulines de Québec Collection du monastère des Ursulines de Québec Photo par François Lachapelle |
Entre
le 4 juillet et le 10 août dernier, le Musée des Ursulines de Québec tenait une
exposition intitulée Mission
Nouvelle-France. On y trouvait maints objets ethnographiques et historiques
en lien avec l’histoire de cette congrégation enseignante. De tous les objets
exposés, un en particulier a retenu mon attention : une gravure de ce qui
semble être une jeune amérindienne.
Sans
signature, sans description, l’image m’intriguait. Le seul indice de sa
provenance : le mot « Tab. II » en haut de l’illustration. Piqué
de curiosité, j’ai peu après contacté le musée afin de connaître la provenance
de cette représentation. Je tenais à le savoir afin de me servir de l’image
pour illustrer de futurs travaux potentiels. Après tout, comme le décrit la
revue Cap-aux-Diamants : « Les images qui représentent fidèlement les
Amérindiens sous le Régime français sont rarissimes. La plupart des artistes de
cette période ont donné libre cours à leur imagination pour représenter les
« sauvages » de l’Amérique. Cette gravure ancienne tranche avec cette
tendance, car elle est riche de renseignements crédibles, mais elle conserve
aussi un voile de mystère. »
Et
le mystère devait demeurer : on m’affirma que personne ne savait d’où avait
été tirée cette image. L’énigme avait d’ailleurs séduit Francis Back,
l’illustrateur historique. Il y consacre un article entre les pages de Cap-aux-Diamants
(lisez l’article ici). Selon lui, il s’agirait sans doute d’une poupée, entre
autres à cause du socle et de la raideur apparente des vêtements. D’ailleurs,
« La documentation historique et les artefacts confirment que des poupées
vêtues de costumes amérindiens étaient confectionnées dans la colonie pour
satisfaire la curiosité des métropolitains. » L’article de Back continue
en décrivant l’importance ethnographique de ces poupées et de celle-ci en
particulier pour les contemporains et pour nos historiens aujourd’hui. Malgré
l’analyse qu’il fait de l’habillement de cette « petite Amérindienne »,
Back ne peut que conclure* :
Il convient de laisser le débat ouvert sur l’identité culturelle de l’« Amérindienne » qui figure sur cette gravure, faute de certitudes. Mais espérons, en diffusant cette image accompagnée d’éléments de réflexion, qu’un lecteur puisse retracer la provenance de cette gravure afin de lui redonner sa pleine valeur documentaire.
C’est
justement la mission que je m’étais donnée en lisant cet article.
Mais
où commencer? Je n’avais que l’image tirée de l’article de Back comme référence.
En me servant de celle-ci, j’espérais retracer une version numérisée. Après
tout, l’informatique a fait en sorte que des efforts gargantuesques ont été
investis afin de numériser des bibliothèques entières de par le monde.
Premier
outil dont je me suis servi : Google
Image. Malheureusement, malgré son efficacité de par le passé, aucun
résultat recherché ne s’affichait.
Prise
deux : j’ai décidé de me tourner vers Gallica, la bibliothèque numérique
de la Bibliothèque nationale de France. En cherchant pour des mots clefs tels qu’« amérindienne »,
« sauvage », « sauvagesse », « algonquine »,
etc., j’espérais tomber sur la jeune amérindienne parmi les gravures du 17e ou
18e siècle.
Encore
rien.
Que
faire alors sans autres indices? J’ai donc laissé de côté cette affaire pour me
remettre à mes lectures doctorales. Mais cette petite Amérindienne ne cessait
de me revenir à l’esprit : d’où venait-elle? Qui avait gravé son image?
Pourquoi? Pour qui?
Je
suis donc revenu à la charge, déterminé à essayer une dernière fois de percer
ce mystère. J’ai contacté à nouveau le Musée des Ursulines pour faire la
requête d’une image numérisée directement à partir de la gravure originale.
Peut-être Google Image serait plus
efficace avec une image à haute résolution?
Moins
de trente secondes après avoir reçu le courriel contenant la copie numérique,
et puis j’avais ma réponse!
La
clef du mystère se trouve dans l’article North
America in the European Wunderkammer
Before 1750 de Christian F. Feest. L’auteur, qui s’intéresse aux
collections de genre « cabinets de curiosités » avant 1750, inclut
dans ses figures celle qui nous intéresse. Back avait raison d’estimer qu’il
s’agissait d’une Algonquine : selon Feest, il s’agit en fait d’une gravure
d’un mannequin (faut-il lire poupée, plutôt?) représentant une jeune Naskapie.
Le plus intrigant, cependant, est de découvrir qu’elle a un compagnon!
Les deux « mannequins » se trouvent en 1709 au musée Kircher (Museum Kircherianum) du Collège des jésuites à Rome. Selon l’article au sujet de ce musée sur Wikipedia, le musée ferme ses portes en 1773 avec la suppression de l’ordre des jésuites, ses collections dispersées par la suite. Impossible de savoir si ces deux représentations amérindiennes ont survécu… Leur souvenir survit, heureusement, grâce à leur gravure dans le catalogue du musée publié en 1709, dressé par son directeur Philippe (Filippo) Bonanni (lien). On peut retrouver ce catalogue en ligne (voir ci-dessous).
Une gravure, deux livres |
Toutefois,
un autre mystère perdure. Juste avant de publier ce billet, j’ai remarqué que l’image
de Bonanni ne correspond pas exactement à l’image trouvée chez les Ursulines. Alors
que les deux sont quasiment identiques (l’une s’agissant d’une copie de l’autre),
on est intrigué de voir que notre indice initiale, la mention « Tab. II »
diffère de la version originale de Bonanni, où il y est marqué « 8 »
et « 250 ». Selon moi, la version des Ursulines s’agirait d’une
reproduction dans un livre français (le livre de Bonanni est en latin). Trouvera-t-on
l’identité de ce deuxième livre? Ça sera à quelqu’un d’autre de le découvrir,
peut-être!
Note :
Je remercie chaleureusement le Musée des Ursulines, en particulier Catherine Lévesque, qui ont aimablement offert
leur aide.
*Suivi: J'ai eu la chance de contacter Francis Back après la publication de ce billet. Comble de l'ironie: il avait déjà réussi à identifier cette image! Il en demeure, toutefois, que le mystère perdure en ce qui concerne l'identité du « deuxième » livre et à savoir si les deux « mannequins » existent toujours.
*Suivi #2: Après vérification auprès du Museo Nazionale Preistorico Etnografico en Italie qui avait hérité de la plupart des collections du musée Kircher, je confirme que la "poupée" n'y est pas. Triste nouvelle!
*Suivi: J'ai eu la chance de contacter Francis Back après la publication de ce billet. Comble de l'ironie: il avait déjà réussi à identifier cette image! Il en demeure, toutefois, que le mystère perdure en ce qui concerne l'identité du « deuxième » livre et à savoir si les deux « mannequins » existent toujours.
*Suivi #2: Après vérification auprès du Museo Nazionale Preistorico Etnografico en Italie qui avait hérité de la plupart des collections du musée Kircher, je confirme que la "poupée" n'y est pas. Triste nouvelle!
***
Texte
original du livre de Bonanni, p. 229, et la très mauvaise traduction par Google
(que j’ai à peine tenté de rectifier tant elle est approximative) :
Formes de vêtements, qui sont utilisées [par] chaque femme en Nouvelle-France, ou le Royaume du Canada. C’est en partie le rapport de Michel Antoine Baudran dans son lexique[. Le] plus vaste d'Amérique, la rivière du Canada, ou du Saint-Laurent s'étend au loin, [des] terres de l’Arctique au nord, et la mer du Nord au sud. Il y [dominé des Francs [Français]] de les cent cinquante ans, et en cela, ils ont un très grand nombre de colonies, [la capitale étant] Québec. L'homme et une femme de son pays sur l'onglet. Notre art. 7 et 8 présentaient. Parmi ceux qui sont dignes d'observation sont la coupe, ou les marques [sur le] front, les joues, coeterasque attente avilissantes parties. À l'âge [enfantine, à l’aide] de l’aiguille, [et de ] graisse empreinte d’une certaine sillon de couleur de peau, dans lesquelles les marques indélébiles restent.
SOURCES
BACK,
Francis. « Une mystérieuse poupée amérindienne », Cap-aux-Diamants, No. 67 (automne 2001),
p. 54. [ En ligne : http://www.erudit.org/culture/cd1035538/cd1044289/8273ac.pdf
] Consulté le 20 août 2014.
BONANNI, Philippe. Musaeum Kircherianum Sive
Musæum A P. Athanasio Kirchero In Collegio Romano Societatis Jesu Jam Pridem
Incœptum Nuper restitutum, auctum, descriptum, & Iconibus illustratum.
Rome, Georgius Plachus, 1709. 552
p. et planches. [ En ligne : http://books.google.ca/books?id=89BWAAAAcAAJ&pg=PP1#v=onepage&q&f=false
] Consulté le 21 août 2014.
FEEST, Christian F. « North America in the
European Wunderkammer Before
1750 », Archiv fur Volkerkunde
46 (1992), pp. 61-109. [ En
ligne : http://www.researchgate.net/profile/Christian_Feest2/publication/236584799_North_America_in_the_European_Wunderkammer_Before_1750/links/02e7e51811a738de86000000
] Consulté le 20 août 2014.
Je crois que les collections de poupées amérindiennes se trouve dans le quartier EUR, de Rome au musée national de la préhistoire et de l'ethnographie Luigi Pigorini.
ReplyDeleteUn véritable Sherlock Holmes de la Nouvelle-France ! Bravo ! La ténacité paye le savoir. Et nous on savoure ;)
ReplyDeleteLes hospitalières de l'Hôtel-Dieu de Qc confectionnaient ce genre de poupées. Il en est abondamment question dans les lettres de mère Marie-Andrée Duplessis de Sainte-Hélène, publiées dans la revue Nova Francia (années 1926 à 1931).
ReplyDeleteVincent Martel