06 January 2025

Rions un peu

Rien de bien sérieux pour ce premier billet de 2025: je vous partage le "bêtisier" de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. L'équipe de BAnQ s'est vraiment dépassée l'an dernier à vous produire des capsules informatives. Voici quelques extraits des prises "ratées" lors du tournage. Peut-être y reconnaîtrez-vous quelqu'un de loufoque? ;)

N.B. Faites-vous un cadeau cette année, abonnez-vous aux fil des réseaux sociaux de BAnQ! (Si vous ne l'avez pas encore fait!)


31 December 2024

La chasse-galerie

La chasse-galerie
(Collection personnelle)

Bien assis dans ma nouvelle chaise berçante, je sirote paisiblement un bon thé noir. Entre deux gorgées, je dépose ma plus récente lecture des Fêtes : The Dead of Winter: Beware of the Krampus and Other Wicked Christmas Creatures, de l’historienne Sarah Clegg. Comme l’indique son titre, l’ouvrage porte un œil historique sur les légendes européennes du temps des Fêtes. Alors que je continue de me bercer, je fixe l’œil sur la neige qui recouvre à peine ma petite cour arrière et je me mets à réfléchir sur notre propre patrimoine folklorique des Fêtes. En particulier, les recherches de Clegg au sujet de la légende de la « Wild Hunt » (chasse fantastique, chasse aérienne, ou chasse sauvage) me font immédiatement penser à notre bonne vieille chasse-galerie.

La Chasse-Galerie selon C. Lepine
L'Opinion publique, le jeudi 19 août 1875, p. 394.

Ceux qui me connaissent savent que j’adore la légende de la chasse-galerie. D’ailleurs, ma première bière fut une Maudite, attiré comme je l’étais par son étiquette reprenant la légende de damnés volant dans le ciel dans un canot enchanté par le Diable en personne. Je viens également de m’acheter une sculpture de chasse-galerie chez Sculpteur Flamand dans le Petit-Champlain à Québec. En somme, j’aime beaucoup la chasse-galerie. Mais au fait, il faudrait plutôt parler des légendes de la chasse-galerie!


En effet, sa légende, telle qu’on la connaît de nos jours, est en quelque sorte fossilisée : la mémoire populaire ne retient que la version mise sur papier par Honoré Beaugrand en 1891, dans les pages du journal La Patrie (vol. XIII, No. 260, 31 décembre 1891, p. 1-2). La popularité de cette version a fait oublier à peu près toutes les versions orales qui circulaient déjà au xixe siècle, elles-mêmes des versions de la chasse-galerie originale qui remonte jusqu’au Moyen Âge. Il faut quand-même rendre à César ce qui revient à César : peut-être sans le savoir, Beaugrand avait tout de même sut sauvegarder la mémoire de la chasse-galerie à une époque où les cercles intellectuels cherchaient à la faire disparaître ainsi que toutes les autres superstitions populaires. Citons qu'un seul exemple de la première moitié du xixe siècle :

« Dans ce siècle philosophe, impie, voltairien en effet, on ne croit plus ni au sabbat, ni aux sorciers, ni aux incubes, ni aux succubes, ni aux revenans, ni aux loups-garoux, ni aux grands veneurs (ce qu’on appelle ici chasse-galleries) ni aux vampires; et l’on croit que les feux follets sont tout simplement des exhalaisons de la terre et par conséquent un phénomène très naturel, Quant à moi je me réjouis que toutes ces folles croyances disparaissent. Le sort de la pauvre humanité est déjà assez triste sans le rendre encore plus mauvais par la foi dans ces extravagances, qu’on doit encore au moyen âge. » Signé B., Compté de H., le 24 décembre 1849. [« Dimes », L’Avenir. Journal républicain, le jeudi 17 janvier 1850, p. 1. https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/4334611 ]

J. Grignon qui nous rappelle des traditions canadiennes.
Le Journal des Trois-Rivières, le lundi 20 novembre 1882, p. 1.
Très peu d’histoires de chasse-galerie existent à l’imprimé : pour la plupart du temps dans les périodiques du xixe siècle, la légende n'est nommée que de nom, évoquée par nostalgie ou, curieusement, souvent comme outil de critique politique. Je peux me vanter toutefois — en tant que « ti-gars » originaire du Nord de l’Ontario — que la plus ancienne version de la légende imprimée dans un livre ne provient pas du Québec, mais de la frontière entre l’Ontario et le Michigan! Je cite mon ancien professeur de folklore à l’Université de Sudbury, Marcel Bénéteau, au sujet de l’autrice qui nous a préservé cette version :

Les écrits de Marie Caroline Watson Hamlin nous offrent une perspective privilégiée sur le folklore des Pays d’en haut [Note de JG : Lire, la région des Grands Lacs], montrant à la fois des liens évidents avec la culture de la vallée laurentienne et des innovations et des adaptations typiques de la vie à l’intérieur du continent. Décédée à l’âge de trente-cinq ans, Watson Hamlin n’a laissé qu’un ouvrage important – Legends of le Détroit (1884), un recueil de 31 récits et légendes portant sur les Canadiens français des deux rives de la rivière Détroit – ainsi qu’un seul article, « Old French Traditions », texte d’une allocution livrée aux membres de la Wayne County Pioneer Society en 1878 et publié plus tard dans le Report of the Pioneer Society of the State of Michigan (1883). Descendante d’une famille pionnière du Détroit, Watson Hamlin fait partie de l’élite bilingue de l’époque et fonde plusieurs de ses récits sur les traditions orales circulant dans sa famille. Elle livre, entre autres, la plus ancienne version publiée de « La chasse-galerie » en Amérique du Nord. En plus des légendes qu’elle rapporte, ses écrits foisonnent de détails ethnologiques concernant les coutumes des fêtes calendaires et des rites de passage, les croyances populaires et la culture matérielle de la région du Détroit. Bien que son public ait été largement états-unien et anglophone et qu’aucune traduction française de ses légendes n’ait paru avant la fin du xxe siècle (Watson Hamlin, 1991, 2000), elle mérite sans aucun doute une place parmi les préfolkloristes du Canada français. [Marcel Bénéteau, « Le folklore des Pays d’en haut au xixe siècle : le témoignage de Marie Caroline Watson Hamlin », dans Francophonies d’Amérique no 40‑41 (2015), p. 163.]

Il est possible d’acheter une traduction française de cette version de la chasse-galerie auprès de la Société d’histoire du Nouvel-Ontario ici (#88-89 : Le Détroit des légendes). Néanmoins, je vous fais un petit cadeau de fin d’année : une transcription de l'édition anglaise originale de « LA CHASSE GALERIE: A Legend of the Canadian Shore », tirée du livre de Watson Hamlin Legends of Le Détroit (pages 126-133).

Je vous souhaite santé et prospérité pour 2025! À la vôtre!

LA CHASSE GALERIE
A Legend of the Canadian Shore

THERE is a strange resemblance in the legends of the different countries which leads one to believe that they derive their source from the same fountain. History places its signet on some, mythology throws its classic veil over others, while the rest, like floating islands which ever and anon appear as bits of stray fairy-land in our large bodies of water, dazzle us by their beauty, charm us by their uniqueness, and glide away as magically as they came, to seek a sheltered nook in some picturesque haven. So with regard to many of these legends once current along “La Cote du Nord”* history is silent. [* “La Cote du Nord.” The name by which that section lying east of what is now Woodward avenue was called.]

The charming ideas conveyed in them seem akin to the classic, but it is only in the memory of some old habitante who has outlived her age and generation that they find a revered niche. Seated by the side of one of these, whose hair the frosts of ninety years have bleached, and who has never left the banks of the beautiful lake where she first drew the breath of life, one can pick up many of these legends, carelessly thrown aside by this progressive age.

Among the traditions related by this survivor of a past generation, the best known and oldest is that of “La Chasse Galerie,” or “The Spectral Aerial Hunt.” Many honest, upright people still living will testify to having seen this phenomenon at some period of their lives. It does not always appear under the same form. Sometimes a canoe is visible, manned by twelve men, and in its prow is a dog whose incessant barking attracts the attention or the person who is to see the vision. Always to the north flies the phantom boat. At other times, dogs of a shaggy black, with drooping ears, are constantly seen running on the water, barking as if in the scent of game. Once in seven years a solitary horseman, with gaunt, bronzed face, rifle in hand, followed by his pack of dogs, is seen in the sky after sunset. He who sees the “chasse galerie”* knows that it betokens death either to himself or to others dear to him. [* Galerie is a corruption of galere [sic], a low, flat built vessel with one deck, and propelled by sails or oars.]

There once dwelt at Askin Pointe, on the Canadian shore, a Nimrod of the forest called Sebastien Lacelle. So devoted to the chase was he that his friends said that he was born with a gun in his hand, and no persuasion of theirs could induce him to join them in other sports. For weeks at a time he would be gone, and then return laden with game. After one of these excursions it was noticed that Sebastien was more silent than usual, had little to say of his hairbreadth escapes, nor did he boast, as was his wont, of the fruits of his trusty rifle.

The mystery was soon solved. One day, tired and weary, baffled by a deer he was pursuing, Sebastien came to a cabin in the woods. A young girl was caressing a deer and deftly dressing a wound in its side. Sebastien recognized it as the one at which he had shot. She was Zoé de Mersac, who had accompanied her father to help him extract the maple syrup from the trees. In the magic witchcraft of her smile Sebastien buried his heart. Zoé admired the strong arm and the vigorous manhood which could shield her from the rough blasts of the world.

It was on a glorious September day that Sebastien and Zoé were strolling along the beach, discussing the morrow, which was to be their wedding day. Zoé was possessed of a highly nervous organization which, like the Æolian harp, is played upon by each passing zephyr, and is peculiarly susceptible to superstition. She was telling her lover how she feared her happiness could not last and spoke of that serrement du cœur which seemed prophetic of evil. Sebastien, in the superb enjoyment of his healthy physique, could not sympathize with her, and only laughed at her fears.

What had presentiments to do with him, he thought; would he not be obliged to relinquish his bachelor habits and become a serious, home-staying man? An unconscious sigh escaped him. Raising his eyes, he abruptly left Zoé. He returned shortly afterwards accompanied by several men, guns in hand, whom he had called from the “seines” near by, and followed by Sebastien’s dog, Chasseur. Whilst his friends were loosening the boat from its moorings Sebastien joined his fiancée who asked him to explain the cause of his sudden departure. He pointed to a flock of ducks flying towards the flats (an unusual occurrence at that season) and said he was going for a farewell hunt. As soon as she heard this she hid her face in her hands, and the slender, girlish figure was convulsed. In accents tremulous with unshed tears, she besought him not to leave her, for if he did, he would never return. Sebastien tried to reason with her, but it was of no avail. He petted her and tried those arts in which the lover is so proficient. She told him that she had heard the past night the screech-owl in the willow tree near her window, at the same time the barking of dogs and ringing of bells in the air— doleful foreshadowings of approaching disaster.

Sebastien gazed tenderly into the upturned face, so pathetic in its tearful appeal, and felt his resolve melting away. But the impatient call of his friends and a shy feeling of being laughed at prompted him to hastily say good-bye to his promised bride. “When shall you return?” asked Zoé. “To-morrow at dawn, dead or alive, sure,” he jestingly added, to quiet her fears. Soon the hunters were off. Sebastien waved the end of his red sash and Chasseur barked a jubilant farewell, for he seemed to share his master’s love of the chase.

At early dawn Zoé came to the shore to welcome the returning hunters. She seated herself on one of the great boulders which are strewn upon the shores of the lake, thrown there by the Indian spirit Manabozbo, who cast them at his father in his memorable combat. Seldom had so glorious a scene burst on her view and all was in harmony with her nature. The dark forests melted with azure softness, the magical veil of misty golden haziness hung over everything, transforming the scene into a sea of gold dissolved in rainbow tints. Lake, sky, land, all seemed flooded and transfigured. The indescribable shades flowed into each other with a beauty which, while enchanting, was the despair of the artist. The girl drank in the delicious draught of loveliness, and thought if this was the dawn of a perfect earthly day which must die in all its splendor, what must be that of the eternal one in its undying beauty. To-day was her wedding day! Why did Sebastien tarry? Had he not a loving impatience to meet his bride? Hour after hour she waited, sending forth her petitions to Ste. Anne, the patroness of mariners, to guide her Sebastien back. Others whose husbands and brothers had gone with Sebastien joined her in her weary watchings. Night came but brought no returning hunters. Day after day Zoé still came to the beach, questioning the vast waters and the horizon for Sebastien. Winter passed, spring again hung her bright blossoms on the trees, but Sebastien came not to gladden the sorrow-haunted heart of the girl. Yet she seemed cheerful, as if buoyed up by some inward hope. She constantly said that her lover would return to claim her,—he had promised and he had never deceived any one. Once, shortly after he left, she had heard Sebastien’s voice, and looking up saw him in a boat in the clouds. Chasseur was with him, and Sebastien said: “I will come for you in a year and a day.” Then towards the north the mystic apparition glided and the voice died away in the moaning wind.

It was a year and a day. The pale cheek with its hectic flush, the fragile figure, the transparent hand told that this was a blossom for the grave.

Zoé desired that she should be dressed as a bride and carried to the beach to watch for her bridegroom. Her chair was brought to the place she designated. The scene was by a strange coincidence of nature, nearly the same as on the bright day she waited Sebastien’s return. Nature seemed anxious that the dying girl should take the sweetest and most beautiful memories of earth with her. The wakening waves chanted their low matins as they broke at her feet, the birds greeted her with jubilant notes and the soft, balmy air played hide and seek through the meshes of her hair.

The maiden heeded not the beauty of the scene; her eyes were intently fixed on a spot in the skies. Suddenly an ecstatic expression crept over her face, and raising herself up she exclaimed, “See! see! there is Sebastien in the boat; he beckons to me, and Chasseur is barking so joyously! Did I not tell you he would come for me? Sebastien, I come, I come.” And the pure spirit of the girl leaped from its mortal tenement to rejoin that of her spirit bridegroom. Her awe-stricken friends looked where she pointed and saw a phantom boat drifting on a billow of clouds and distinctly heard the echo of a barking dog as the vision melted into the boundless blue.

Lectures suggérées :

  • Beaugrand, Honoré. La chasse-galerie. Montréal, Bibliothèque québécoise, 1991. 105 p.
  • Bénéteau, Marcel. « Le folklore des Pays d’en haut au xixe siècle : le témoignage de Marie Caroline Watson Hamlin », Francophonies d’Amérique, No. 40‑41 (2015), p. 163‑184. En ligne : https://doi.org/10.7202/1043702ar.
  • Clegg, Sarah. The Dead of Winter: Beware the Krampus and Other Wicked Christmas Creatures, First edition. Chapel Hill, North Carolina, Algonquin Books of Chapel Hill, 2024. 193 p.
  • Gonthier, Claude et Bernard Meney (dir.). Treize Contes Fantastiques Québécois: Anthologie. XYZ editeur/XYZ Publishing, 2006. 294 p.
  • Janelle, Claude (dir.). Le XIXe siècle fantastique en Amérique française. Québec, Éditions Alire, 1999. 366 p.
  • Watson, Marie Caroline Hamlin. Legends of le Détroit, Deuxième édition. Détroit, Thorndike Nourse, 1884. 317 p. En ligne : https://archive.org/details/legendsofledtr00haml/mode/2up. 

28 December 2024

2024: l’oublie d’un anniversaire


Ça y est : l’année 2024 achève et on se souhaite une année 2025 pas trop rocambolesque compte tenu du climat politique courant. Néanmoins, je me sentirais coupable de laisser l’année s’écouler sans soulever une dernière fois le grand absent de la mémoire populaire du Canada français : le 500e anniversaire du voyage de Giovanni da Verrazzano, l’explorateur qui baptisa l’Amérique française la Nouvelle-France.

Dans un précédent billet de blogue portant sur ma récente visite de New York j’écrivais :

[…] à ma demande, notre guide Émilie pointe du doigt le Verrazzano-Narrows Bridge (ou pont du détroit de Verrazano) au loin. Pour une raison inexplicable, Verrazzano est un nom à peu près absent du paysage commémoratif du Canada français. Pourtant, Giovanni da Verrazzanorite une célébrité aussi grande que celle de Jacques Cartier. Non seulement est-il le premier navigateur français à explorer la côte de l’Amérique du Nord à la solde du roi François Ier (sans oublier que Cartier fit très probablement partie de son équipage), mais c’est au cours de son expédition de 1524 qu’il baptise la Nouvelle-France. Ainsi, 2024 marque également le 500e anniversaire de l’aventure française en Amérique, une date charnière qui malheureusement semble passer presque complètement sous silence dans nos médias. Pour cette raison seule, je suis très heureux de constater que les New-Yorkais, au moins, ont choisi de commémorer l’homme en baptisant un pont en son honneur et, qui plus est au moment de son ouverture en 1964, le plus long pont suspendu au monde.

Depuis la date de cette publication, j’espérais bien voir davantage de mentions de Verrazzano dans nos médias francophones. Finalement, presque rien : seule une dizaine — une misérable dizaine — d’articles chétifs se trouve sur le portail francophone de Google News (et pas tous datant de 2024!).

Le temps m’ayant manqué pour faire de quoi digne pour souligner cet anniversaire (qui plus est : un 500e anniversaire, soit un demi-millénaire!), je me contente ici de partager quelques documents d’intérêts tirés de nos collections chez Bibliothèque et Archives nationales du Québec :

02 November 2024

La bête du Gévaudan dans la Gazette de Québec

Illustration : Le loup-garou, par Charles Walker Simpson,
tiré du livre Légendes du Saint-Laurent, Canadien Pacifique, 1925.
[Disponible numériquement chez BAnQ]

La semaine dernière, j’ai eu le plaisir d’être invité à l’émission de radio de Guy Nantel pour y parler du loup-garou de Kamouraska. J’ai également eu le plaisir de parler de cette fameuse créature sur les réseaux sociaux de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. En somme, j’explique que la Gazette de Québec, le premier périodique du Québec fondé en 1764, décide de publier deux articles en 1766 et 1767 portant sur un loup-garou qu’on aurait supposément vu rôder entre la capitale et Kamouraska. D’où vient ce monstre? Les éditeurs de la gazette ont certainement été inspirés par la célébrité de la bête du Gévaudan en France (la nommant, d’ailleurs!). Comme l’explique l’excellent livre de Jay Smith, Monsters of the Gévaudan: The Making of a Beast, la « bête » est elle aussi un produit médiatique. Suivant une vague d’attaques mortelles par des loups en temps de disette entre 1764 et 1767 dans cette région de l’ancienne province du Languedoc, les périodiques français ont amplifié la rumeur qu’il s’agissait d’actes commises par un seul monstre terrifiant.

En revisitant le sujet du « loup-garou de Kamouraska » dans la Gazette de Québec, j’ai réalisé qu’il y existait une poignée d’articles au sujet de la bête du Gévaudan. Je vous les partage donc dans ce billet! Bonne lecture! [Note critique: ces articles furent trouvés à l'aide du moteur de recherche de BAnQ numérique. La reconnaissance de texte étant limitée par la qualité des images, il se peut très bien qu'il se trouve d'autres articles à identifier manuellement. Par exemple, le mot clé « Gévaudan » n'a pas trouvé l'article portant sur le loup-garou de Kamouraska, pourtant bien connu!]

La Gazette de Québec, numéro 43, le jeudi 11 avril 1765, page 1. [lien]


La Gazette de Québec, numéro 48, le jeudi 16 mai 1765, page 1. [lien]

La Gazette de Québec, numéro 69, le jeudi 10 octobre 1765, page 2. [lien]

Tant qu’à faire, voici aussi un retour sur l’histoire de la bête dans le tome 78, numéro 5651, daté du samedi 16 janvier 1841, page 1. [Lien]

08 September 2024

Les lucioles en Nouvelle-France


Source : Inconnue.

La rentrée est peut-être bien enclenchée, mais il ne faut pas oublier que l’été prend fin officiellement le 22 septembre. Quoique je suis moi-même pressé de retrouver la fraîcheur automnale, j’aimerais faire un dernier clin d’œil à la saison estivale. L’été dernier, j’avais produit un billet sur les moustiques en Nouvelle-France. Cette année, j’aimerais célébrer un insecte qui m’a toujours fasciné depuis mon enfance : la luciole[1]. Tout comme le « Ti-Jos » que j’étais s’émerveillait dans son Nord ontarien natal devant l’apparition la nuit de ces flammèches vertes, les visiteurs et les habitants de la Nouvelle-France ne manquaient pas non plus de noter ces créatures remarquables.

Le Jeune


On note très tôt l’existence de lucioles dans la colonie. Dans mon billet portant sur les moustiques en Nouvelle-France, je citais un extrait de la relation de 1632 du jésuite Paul le Jeune qui décrit les insectes irritants de la colonie. Admettant lui-même qu’elle est inoffensive, il consacre cette ligne à notre chère luciole : « les mouches luisantes ne font point de mal, vous diriez la nuict que ce sont des estincelles de feu; elles jettent plus de lumiere que les vers luisants que j’ay veus en France : tenant une de ces mouches & l’appliquant aupres d’un livre je lirois fort bien[2]. »

Lalement

Dans sa relation de 1645-1656, le jésuite Jérôme Lalement écrit : « On a bien parlé les années precedentes de quelques mouches qui brillent la nuit pendant l’Esté : comme des estoiles ou de petits flambeaux : si vous en prenez une par sa petite aile, & si vous la passez doucement [171] sur un livre, vous lirez dans le fond de la nuit, comme au milieu du jour. Il est vray que ce flambeau se cache & paroist selon le mouvement de ce petit animal[3]. »

Dollier de Casson

Dans son histoire de la fondation de Montréal, le sulpicien François Dollier de Casson décrit le souvenir d’une messe à l’été 1642 : « […] on avait point de lampes ardentes devant le St. Sacrement, mais on avait certaines mouches brillantes qui y luisaient fort agréablement jour et nuit étant suspendues par des filets d’une façon admirable et belle, et toute propre à honorer selon la rusticité de ce pays barbare, le plus adorable de nos mystère[4]. »

Nicolas

Pour toutes les créatures fantastiques qu’il inclut dans son célèbre Codex Canadiensis, le fascinant jésuite manqué Louis Nicolas ne manque pas d’inclure la luciole parmi les bêtes parfois fantastiques de son bestiaire de la Nouvelle-France.

"mouche luisante qu'on voit a milier, sur le soir
d'un beau jour sur les rives du fleuve s.t Laurent
en amerique" - Louis Nicolas
« Enfin je vous parleray de la mouche de feu, ou de la mouche luysante, et je vous la fairay voir dans l’horreur des tenebres de la nuit […].[5] » […] « De la Mouche A feu ou de la Mouche luyzante [.] Parmy les choses qui sont admirables sur les terres de l’Amerique, je trouve que la Mouche a feu ny doit pas tenir le dernier rang : car a la bien considerer, on diroit que [c’est] un astre vivant qui emporté de son propre mouvement au milieu des ténèbres de la nuit brille sans recevoir la lumiere du bel astre du jour. Il faut néanmoins que cet astre volant rende hommage au soleil ne paroissant jamais le jour que comme une mouche du comun. L’on est fort souvant agreablement surpris : lorsque sans y penser on s’imagine voir autant de petits éclairs qu’on voit de ces insectes qui étendant et resserrent presque en même [temps] leurs ailes font paroitre, et font cacher en un moment leur agreable feu avec lequel on peut lire dans une chambre si on prend la peine d’en tenir un, et de le conduire successivement tout le long de la ligne qu’on veut lire, qui si ayant une bouteille de verre on y enferme 15 ou 20 de ces mouches a feu elles servent de chandelles 8 jours durant[6]. »

Kalm

Lors de son passage à Baie-Saint-Paul, le Suédois Pehr Kalm note la présence de lucioles. (« On trouve aussi des mouches-à-feu en cet endroit[7]. ») Il les notera à nouveau entre Québec et Trois-Rivières, les comparants au ver luisant européen. « Des lampyres, en nombre peu considérable, jettent dans les bois leurs lueurs éphémères. Ces insectes portent, ici, le nom de mouches-à-feu[8]. »

Dumont de Montigny

Les militaires aussi remarquent le charmant insecte. Jean-François-Benjamin Dumont de Montigny est un officier qui nous lègue ce témoignage en Louisiane : « Après une longue sécheresse, lorsque le tems dispose à la pluie, on apperçoit vers les bois dans l’obscurité de la nuit des espéces de mouches, qui répandent une grande lumiere en volant : on leur donne le nom de mouches à feux; aussi croiroit‑on à les voir, que ce seroit quelqu’un qui avec un tison allumé - rempliroit l’air d’étincelles & de flammes : les forêts en paroissent quelquefois tout en feu. Ces mouches lumineuses sont grosses comme nos mouches à miel; elles sont vertes par le bas, & ont des deux côtés de la tête deux taches de couleur violette : quelques–uns prétendent que ce sont des cantharides. Dans les bois, & le long des sentiers qui traversent les prairies, on voit encore la nuit des vers luisans. J’en ramassai un jour une certaine quantité dans une fiole assez grande & d’un verre assez fin ; & je puis assûrer qu’ils m’éclairoient non-seulement à lire, mais même à écrire : cette clarté dura peu; comme j’ignorois de quoi je devois les nourrir, ils moururent[9]. »

Aleyrac

Enfin, le 2 juillet 1757, en chemin pour le fort Carillon, Jean-Baptiste d’Aleyrac écrit : « Nous dûmes camper ce même jour à la Pointe aux Fers, à 11 lieues du fort St-Jean et à 2 lieues du lac Champlain. Il y avait une quantité extraordinaire de mouches à feu[10]. » Malgré sa nature brève, cette courte citation est ma préférée concernant nos petits amis lumineux. Comme Aleyrac, j’ai vécu l’expérience de soirées passées dans et autour du fort Carillon (ou Fort Ticonderoga, dans l’État de New York). Comme Aleyrac, j’admirais les lucioles locales et je m’émerveillais devant leur nombre. Ce n’est qu’après ces séjours que je suis tombé sur son journal. Sur le coup, je sentais soudainement disparaître les deux siècles et demi qui séparaient l’auteur et le lecteur, m’imaginant presque à ses côtés, partageant le même bonheur de voir des lucioles illuminer la nuit de mille petits feux-follets éphémères.

Comme quoi dans la vie, il y a certaines choses qui heureusement ne changent jamais.

Notes et sources

[1] Je tiens à souligner que le Dictionnaire historique du français québécois a été d’une aide précieuse pour trouver certains extraits que je ne connaissais pas!

[2] Reuben Gold Thwaites, The Jesuit Relations and Allied Documents: Travels and Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, 1610-1791. Vol. 5: Québec 1632-1633, Cleveland, The Burrows Brothers Company, 1897, p. 36. [Lien]

[3] Reuben Gold Thwaites, The Jesuit Relations and Allied Documents: Travels and Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, 1610-1791. Vol. 29: Iroquois, Lower Canada, Hurons. 1646, Cleveland, The Burrows Brothers Company, 1898, p. 216 et 218. [Lien]

[4] François Dollier de Casson, Histoire du Montréal. 1640-1672. Montréal, Eusèbe Senécal et Société littéraire et historique de Québec, 1927 (1871), p. 22. [Lien]

[5] Bibliothèque nationale de France. Département des Manuscrits, Français 24225, Histoire naturelle ou la fidelle recherche de tout ce qu'il y a de rare dans les Indes Occidantalles..., par M. L. N. P. [Louis Nicolas], vers 1675, folio 165. [Lien]

[6] Bibliothèque nationale de France. Département des Manuscrits, Français 24225, Histoire naturelle ou la fidelle recherche de tout ce qu'il y a de rare dans les Indes Occidantalles..., par M. L. N. P. [Louis Nicolas], vers 1675, folio 166. [Lien]

[7] Pehr Kalm et Société historique de Montréal, Voyage de Kalm en Amérique. Traduction. Tome 2, L.W. Marchand (dir.), Montréal, T. Berthiaume, 1880, p. 157. [Lien]

[8] Pehr Kalm et Société historique de Montréal, Voyage de Kalm en Amérique. Traduction. Tome 2, L.W. Marchand (dir.), Montréal, T. Berthiaume, 1880, p. 195.

[9] M. Dumont et M. L. L. M., Mémoires historiques sur la Louisiane, vol. 1, 2 vol., Paris, Chez Claude Jean-Baptiste Bauche, 1753, p. 115-116. [Lien]

[10] Jean-Baptiste d’Aleyrac, Aventures militaires au xviiie siècle, d’après les Mémoires de Jean-Baptiste d’Aleyrac, Paris, Editions Berger-Levrault, 1935, p. 53.

Champs de bataille : Édition 2024

Depuis les dernières quelques années, la Commission des champs de bataille nationaux à Québec organise à chaque début de septembre un événement commémoratif de la bataille des plaines d'Abraham. Vous y trouverez de nombreux reconstituteurs historiques démontrant la vie de camps. Je profite de l'occasion pour vous rappeller que j'ai un compte Instagram où vous pouvez voir des photos tirées de mon quotidien d'historien : je vous partage d'ailleurs ci-dessous quelques-uns de mes clichés préférés de ma fin de semaine passée en compagnie de collègues et d'amis formidables. Au plaisir de vous y voir l'an prochain!