Extrait du journal personnel que je tiens pendant la pandémie.
7 avril
2021
Il y a
quelque chose de magique que de marcher sur les plaines d’Abraham recouvertes
de brouillard. La ville s’efface et il ne reste plus que le son des oiseaux et
de ses propres pas. On oublie le xxie
siècle et on se mêle aux fantômes du passé.
Après un
long moment de marche sans mes écouteurs pour mieux apprécier le silence, les
bruits de la ville étant étouffés par la forte humidité ambiante, je remets mon
casque d’écoute. La musique de Bear McCreary (Outlander) ne fait qu’accentuer
l’aura surnaturelle du matin. Nous sommes en avril. On s’approche du
deux-cent-soixante-et-unième anniversaire de la bataille de Sainte-Foy. J’y
songe longuement alors que je marche rapidement, haletant avec l’exercice. Je
me perds dans mon imagination, tout comme mon regard se perd dans le brouillard
alors qu’il cherche l’horizon en vain. Avec la cornemuse plaintive à l’oreille,
mes yeux me jouent des tours. Du haut du glacis de la citadelle, je crois voir dans l’instant des figures d’Écossais à la course pour rejoindre le front
contre l’armée de Lévis qui s’approche, défiant le sort du 13 septembre. Ou
peut-être n’était-ce que de simples joggeurs...
Je ne crois
pas nécessairement aux fantômes, mais je suis présentement hanté par l’émotion. Ma digue interne
qui contrôle mes excès commence à céder. J’ai les yeux humides. Mon cœur bat,
j’ai le rythme de mes pas dans mes tympans, comme un battement de tambour alors
que des hommes du passé se préparent à revivre leur affrontement à nouveau, le
souvenir public refusant de laisser ces spectres se reposer enfin. L’émotion
continue de s’accumuler dans ma poitrine. Est-ce du brouillard qui m’entoure ou
bien de la fumée de la guerre? Je sens le roc du cap sous mes pieds. J’oublie
l’asphalte moderne. Deux larmes me coulent sur les joues pour se perdre dans ma
barbe, déjà rendue moite par l’humidité ambiante. Tout comme mon imagination se
laisse confondre entre le passé et le présent, je me demande, dans un bref
moment de lucidité, si mes émotions se confondent entre la lourde angoisse de
mes revenants imaginés, intimidés par l’idée d’avoir survécu Culloden et les
plaines d’Abraham rien que pour se faire tuer dans une nouvelle bataille, ou
bien si c’est ma fatigue de la pandémie qui remonte à la surface.
Je me
laisse emporter dans le temps. Le brouillard m’enveloppe. Le jeu d’ombres et de
lumières danse comme autant d’apparitions. Je suis comme ivre, titubant entre
le mirage d’un passé que je n’ai jamais vécu, mais qui m’habite et me possède,
et la réalité devenue aussi intangible qu’un distant appel...
...jusqu’à
ce que je me retrouve immobile, debout à côté du canon solitaire de la pointe
du sentier pédestre. Le Saint-Laurent est soudainement visible. Et il n’est pas le seul. Je tourne
la tête et vois que le brouillard s’est presque complètement levé. Au loin, les
ponts et les gratte-ciels sont visibles à nouveau. Le brouillard est parti si
rapidement, j’aurais cru à un rêve. Sans être ensoleillé pour autant, le jour,
complètement levé, me dépouille de mes phantasmes et je reprends ma marche vers
la banalité de mon quotidien.
Je suis impressionné et ému devant vos réflexions d'historien se retrouvant en un lieu aussi symbolique. On voit que vous avez vraiment la fibre de l'Histoire.
ReplyDeleteJean-Pierre LECLERC
Quel beau texte... et quelle belle émotion! Merci du partage.Lise
ReplyDeletetiens!? Il y a longtemps que je ne me suis pas promené sur les Plaines. Merci pour le rappel. :)
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