29 August 2013

Le mystérieux Jean-François Bernier

Le métier d’historien est parfois pénible et frustrant. Autant qu’on veuille bien élucider un mystère, le manque de sources ou la difficulté d’y avoir accès peut ériger des obstacles qui ne sont pas facilement surmontables. Prenons l’exemple de Jean-François Bernier.
Qui est-il? J’aimerais bien le savoir!
La Nouvelle-France et
le Pays des Illinois (encadré orange)
Source : BAnQ
Remontons d’abord à la genèse de l’intérêt pour cet illustre inconnu. Il m’arrive parfois de voyager entre l’Illinois et le Missouri pour visiter le Pays des Illinois. Cette ancienne colonie qui dépendait du gouvernement de La Nouvelle-Orléans se situait approximativement entre la rivière des Illinois et la rivière de l’Ohio. Au printemps 2013, j’ai eu l’occasion de visiter à nouveau le joli village de Sainte-Geneviève. Fondé quelque temps dans les années 1750, ce petit patelin est rapidement devenu un des joyaux de la colonisation française au cœur de la vallée du fleuve Mississippi. Toujours aujourd’hui, nous y trouvons parmi les plus beaux exemples d’architecture créole du XVIIIe siècle (lorsque je parle de « créole », il s’agit du contexte de colon français né dans le Pays des Illinois, et non d’une personne née d’un mariage mixte. Tout comme le terme « Canadien » à l’époque désigne un Français né dans la colonie du Canada.). Accompagné de ma copine et d’amis de Québec, j’ai eu le bonheur de revisiter certaines maisons historiques, dont la maison Bolduc qui est aujourd’hui un lieu patrimonial. Cependant, grâce à l’amabilité de notre guide Bonnie Samuelson, nous avons aussi eu le privilège de faire une visite guidée de plusieurs résidences privées, normalement clos au public. Notre dernier arrêt n’était nul autre que l’ancienne maison de Jean-François Bernier.
Construite en 1787, la maison a presque succombé aux flammes lorsqu’un incendie s’y est déclaré en juin 2010. Heureusement, par pure coïncidence, les membres des pompiers bénévoles de Sainte-Geneviève étaient tous rassemblés pour leur réunion mensuelle ce même soir. Ils ont donc pu combattre le feu avant qu’il ne consomme le bâtiment entier. Abandonné comme tel pendant quelques années, c’est au mois de mai 2013 que le couple Ed et Lauren Moore l’achète pour le rénover.

La maison François Bernier
Sainte-Geneviève, Missouri
De l’extérieur, nous n’aurions jamais deviné qu’il s’agissait d’une maison coloniale française. Seule indice : quelques planches arrachées du revêtement extérieur qui révèlent la construction en poteaux. (D’ailleurs, David MacDonald, un de mes amis américains qui nous accompagnait, aime blaguer qu’il aimerait bien se promener dans Sainte-Geneviève avec un levier pour voir quelles autres maisons créoles se cachent derrière des revêtements modernes…)

Un brin d'histoire bien caché...
La scène intérieure, toutefois, est désolante : le sinistre n’a pas achevé la maison, mais tout comme. Suffise de dire qu’après les flammes et l’extraction de matériel irrécupérable, il ne reste que la charpente de la maison à base de poteaux sur sole. Tout est à refaire, tout en essayant de conserver le plus de poteaux originaux que possible (sauf exception des pièces carbonisés). C’est un dur travail de rénovation qui attend les Moore. Heureusement, leur passion sera sans doute à la hauteur!

Un patrimoine endommagé...
Cela dit, nous revenons à notre énigme initiale : Ed et Lauren veulent connaître la biographie du premier propriétaire de leur nouvelle maison. Je me suis donc offert pour les aider de mon mieux. J’ai commencé mes recherches à partir de ces trois indices : selon la tradition locale, Bernier était originaire de Cap-Saint-Ignace; ses enfants sont tous nés après 1780 et nous savons qu’il est mort à Sainte-Geneviève. Me servant de la base de données du Programme derecherche en Démographie Historique, j’ai retracé tous les François Bernier nés dans le coin. Éliminant un à un tous les individus décédés dans la région, il ne me restait que Jean-François Bernier, né en 1738, et un François-Xavier Bernier, né le 3 avril 1710. Le PRDH n’a pas pu retracer leurs lieux de décès. Toutefois, il est évident qu’on peut éliminer François-Xavier qui ne porte pas le bon prénom et qui, sans doute, n’a pas eu d’enfants si tard.
À partir d’ici, il est facile de trouver l’acte de baptême original de Jean-François. Nous savons donc qu’il est né le 27 février 1738 à Cap-Saint-Ignace, et qu’il a été baptisé le 4 mars de la même année dans la paroisse Saint-Ignace-de-Loyola. Ses parents sont Louis Bernier (baptisé le 2 septembre 1707 à Cap-Saint-Ignace, décédé le 1er mars 1794 à L’Islet) et Marguerite-Françoise Lemieux (baptisée le 14 septembre 1710 à Cap-Saint-Ignace, décédée le 28 janvier 1782 à L’Islet), mariés le 17 avril 1730. Enfin, Jean-François est le sixième de quatorze enfants. Ce nombre élevé de frères et de sœurs complique la division de la terre familiale, expliquant donc en partie pourquoi Jean-François a choisi de s’installer aux Illinois.
L’internet nous offre quelques autres dates ayant rapport à François et sa famille (dont ici : https://familysearch.org/pal:/MM9.2.1/STD8-DHY). Toutefois ces données sont criblées d’erreurs. Certains sites vont même donner un tout autre nom à sa femme. Comment s’y retrouver sans les documents originaux pour double vérifier? Bibliothèque et Archives nationales du Québec m’offraient deux perspectives potentielles intéressantes. D’abord, PISTARD, le moteur de recherche des archives.
Rien.
Ensuite, la base de données Parchemin, qui énumère tous les actes notariés de la vallée du Saint-Laurent
Non plus.
Je me suis tourné à l’index du fonds Kaskaskia Manuscripts, c’est-à-dire les actes notariés de Kaskaskia.
Échec à nouveau.
Enfin, j’ai vérifié le recensement espagnol de 1766 de Sainte-Geneviève.
Nada.
Décidément, soit que François Bernier arrive plus tard au Pays des Illinois ou bien il est recensé dans un autre document que je ne connais pas.
Bref, impossible de déterminer à partir de BAnQ quand François quitte le Canada pour la Haute-Louisiane (autre nom donné au Pays des Illinois). Est-ce que cela veut dire pour autant que je dois abandonner la recherche? Non. Il nous reste quelques options qui devront attendre un voyage hors du pays : par exemple, je pourrai peut-être trouver des indices au Missouri History Museum parmi les French and Spanish Archives de 1763-1841. Il ne faut pas négliger non plus les archives paroissiales de Sainte-Geneviève et d’autres sources d’actes notariés, trouvées aux États-Unis.
Voilà donc qui illustre les problèmes que nous, historiens, pouvons rencontrer lors de nos recherches. Remarquez, ma recherche au sujet de François Bernier n’a duré qu’une journée. Avoir plus de temps à me concentrer sur ce problème, sans doute je pourrais dégager plus d’information. Aussi, j’ai dû dépendre des outils de recherche à ma disposition. Qu’importe la qualité de l’outil ou de l’index utilisé, il se peut toujours qu’un document ou une information y échappe. Qui dit bon historien dit souvent historien chanceux : on trouve souvent des documents importants par accident. J’ajouterais toutefois que tout bon historien est un historien patient et débrouillard : certes, je n’ai rien trouvé de plus pour l’instant, mais j’ai certainement l’intention de garder l’œil ouvert pour François Bernier dans mes futures pérégrinations archivistiques.
Entre-temps, souhaitons à Ed et Lauren Moore autant de chance et de patience dans la restauration de la maison François Bernier!

[I would like to thank Ed and Lauren Moore for their help and permission in writing this blog post. It was a pleasure meeting you and I hope to see the fruit of your labours soon!]

Acte de baptême de Jean-François Bernier
(transcription ci-dessous)
Bat. de Jean françois Bernier 
L’an Mil Sept cent trente huist le quatriesme jour du mois de mars a Été baptisé dans l’Eglise de S.t ignace Par nous soussigné missionaire Jean françois né le vingt septiesme du mois Precedent fils de Louis Bernier habitant de La Paroisse de nôtre dâme de Bon secour Et de Marguerite Lemieux Sa femme, le Parein a Eté Jean françois morneaux Et La Mareine Elizabeth Cloutier fille de deffunt Guillaume Cloutier Lesquels ont tous déclarés ne sçavoir Signer [de ce] interpellée suivant l’ordonance
Frère Simon foucault [recollet]
Liens et lectures suggérés :

26 August 2013

Ça arrive d'être fatigué...

Leçon importante. Parfois, il est bon de s'arrêter d'écrire avant de faire des coquilles du moins... intéressantes. Exemple : le soir où j'ai mal écrit « guerre de Sept Ans » en travaillant sur mon mémoire de maîtrise. Ma copine américaine refuse de me laisser l'oublier... 


21 August 2013

Caricature de Champlain

Que voulez-vous... pendant les colloques et les réunions, je gribouille...

19 August 2013

Pilori vs Carcan

Photo: Cathrine Davis 2012

Je fouillais parmi mes vieilles photos des Fêtes de la Nouvelle-France des années passées, lorsque je suis tombé sur celle ci-dessus. Cela m’a fait rappeler que la plupart des gens se trompent entre le carcan et le pilori. Voici deux définitions que j’ai préparées pour un projet personnel (préparées entre autres grâce au Dictionnaire de l'Académie françoise, Quatrième édition, 1762.) :

Pilori
Instrument de punition utilisé pour exposer un criminel à l’humiliation publique. Habituellement composé de planches horizontales avec trois trous qu’on fixe de sorte à immobiliser les mains et la tête du condamné. Souvent confondu avec le Carcan. [Comme l'auteur ci-haut!]

Carcan
Instrument de punition composé d’un anneau de fer, qu’on fixe autour du cou, attaché à un poteau par une chaîne. La mise au carcan peut être accompagnée du port d’un écriteau où est inscrit la nature du délit. La personne châtiée est ainsi exposée à l’humiliation habituellement dans un endroit publique, comme le marché. Souvent confondu avec le Pilori. [Comme ci-dessous]

Carcan. Source: Gallica


14 August 2013

Le billard dans les bois

La partie de billards, par Jean-Baptiste Chardin, vers 1725.
Musée Carnavalet de Paris.
Source: Wikipaintings
Le billard se trouve parmi les passe-temps les plus populaires en Nouvelle-France. « En grande vogue en France » sous Louis XIV, selon Pierre-Georges Roy, « Les anciennes archives judiciaires de Québec et de Montréal contiennent de nombreuses pièces qui prouvent hors de tout doute possible que le billard était assez en vogue dans la colonie dès le milieu du dix-septième siècle. Dès les premières années du dix-huitième siècle, il y avait des salles de billard publiques à Québec et à Montréal. » (Roy, p. 244).

C’est le cas d’ailleurs dans le Pays d’en Haut. Détroit, par exemple, possède au moins un « billard », c’est-à-dire une salle de billards. Toutefois, des individus peuvent posséder leur propre table aussi, à y croire cette lettre d'un certain Pierre Monbron de Michilimackinac que j'ai trouvée aux archives du Chicago History Museum :
 Ma chere anfant 
J’espere vous donner encore de nos nouvelles bientost mais an attandant je profite de celle de Mr Laverandry pour vous souhaiter une scanté aussi parfaite que la nostre[.] j’ay remit un certificat a [d’etailly/d’etailles] et comme il est dans le chagrin pour la perte de son epouse voudray bien vous en charger et tachés de le faire payer sur qcoy je vous prie de m’envoyer trois ou quatre jeux de Bille de Billard coute que coute parce que n’a nayant pas cela me foit grand tord et si vous pouvez m’en envoyer davantage vous me feray encore plus de plaisir vous pranderay nostre payement et le reste vous pouray vous en servir jusqu’a nouvel ordre vous [m’en] [obligeray] [fort] si cela [se peu] vous [le] remetray a Mr Lamagdelaine ou a [guioffon/guiosson] je crois qu’il se feront un plaisir de san charger 
je finis en vous priant de faire nos compliment a Mr [Guivaud/Guivard] et a [Msd] Rabat et Getant et an attandant le plaisir de recevoir de nos nouvelles et en ambrassant nostre petite famille de tout nostre coeur a qui nous souhaitons aussi une parfaite santé nous sommes et seront toujours 
Vostre chere pere et mere Monbron [et cecile] cousinot 
De Michelimakinac ce 20 7bre 1756
Je n'ai pas pu identifier l'auteur de cette lettre, outre l'avoir retrouvé dans les registres paroissiaux du fort. Est-ce que sa commande est pour utilisation personnelle? Ou bien pour la revente au fort? Mystère.

Première page de la lettre de Monbron

Sources et suggestions de lecture :
  • Le 20 septembre 1756. Lettre de Pierre Monbron et de son épouse, à Michillimakinac, à leur fille. Chicago History Museum. French America Collection. Box 4. Folder 313.
  • BLAIS, Jean-François. 104 Histoires de Nouvelle-France, Épisode 008: Le billard en Nouvelle-France, baladodiffusion, le 24 novembre 2008. Lien.
  • MASSICOTTE, E.-Z., «Le jeu de billard sous le régime français», Bulletin de recherches historiques,Vol. XXIII, 1917, pp. 153-154. Lien. 
  • ROY, Pierre-Georges, «Le billard sous le régime français», dans Petites choses de notre histoire, Vol. III, Lévis, 1919, pp. 242-247. Lien.