Le parc des Braves Photo: Joseph Gagné, 25 avril 2021 |
Aujourd’hui marque l’anniversaire de la bataille de Sainte-Foy. Comme on s’en souvient tous, après s’être replié à Montréal après la désastreuse bataille des plaines d’Abraham le 13 septembre 1759 et la capitulation de la ville cinq jours plus tard, le chevalier de Lévis — qui prend la relève du défunt Montcalm — mène une nouvelle offensive en avril 1760 contre les Britanniques terrés dans la ville. Ce qui suit est essentiellement la même bataille qu’à l’automne, mais avec les positions inversées.
Déjà au 31 mars, il n'y avait presque plus de glace sur le fleuve Saint-Laurent. |
Ce qui me frappe toutefois en relisant les témoignages contemporains est la constatation que le climat était totalement différent de ce qu’il est aujourd’hui. Il est difficile de trouver les mesures météorologiques précises pour l’hiver 1759-1760 : comme l’écrit Yvon Desloges, « Durant les premières décennies après la cession du pays, la documentation se fait plus parcimonieuse quant aux observations météorologiques. » (Desloges, Sous les cieux de Québec, p. 84.) Toutefois, l’hiver précédent était rigoureux. Celui de 1759-1760 semble l’avoir été tout autant. Avril, cependant, demeurait un mois plutôt misérable avec ses glaces sur le fleuve Saint-Laurent, sa terre gelée, et les pluies printanières froides et parfois violentes. Depuis mon arrivée à Québec en 2008, j’ai certainement remarqué que la neige et les glaces disparaissent de plus en plus tôt. À mon souvenir, la dernière fois que j’ai vu des glaces sur le Saint-Laurent cette année était au mois de mars. Voyez vous-mêmes sur mes photos prises cette semaine l’état de la nature et de la « neige », tant sur les plaines d’Abraham, qu’au parc des Braves où a eu lieu une bonne partie de la bataille.
Le 27 avril 2021, il fallait vraiment chercher pour trouver de la neige sur les plaines d'Abraham. |
L’histoire climatique et environnementale de la Nouvelle-France augmente en intérêt avec la montée de nos propres préoccupations en ce qui concerne le réchauffement de la planète. Il ne s’agit que de penser au récent livre de Christopher M. Parsons, A Not-So-New World: Empire and Environment in French Colonial North America (University of Pennsylvania Press, 2018). Il est dorénavant impensable de négliger de parler de l’effet humain sur le climat en abordant l’Ancien régime, même si cette période précède le plein envol de l’ère industrielle au xixe siècle.
Je vous
laisse donc avec ces quelques témoignages contemporains, sans ordre
particulier, au sujet des conditions pendant le mois d’avril 1760.
Anonyme
« La
plupart des rivières étant encore glacées, les troupes ne purent arriver que le
24 à la Pointe-aux-Trembles, où étoit le rendez-vous de la petite armée. Elles
furent même obligées d’y débarquer sur les glaces qui n’avoient encore laissé
de libre que le milieu du fleuve. »
26 avril
1760 : « Un autre incident leur avoit donné connoissance parfaite de
notre mouvement. Quelques-unes des glaces qui bordoient le fleuve, s’étant
détachées le 26 au matin, entraînèrent des bateaux d’artillerie il y en eut de
submergés. Quelques canonniers y périrent. Un d’eux fut porté sur un glaçon
jusqu’à Québec, et le gouverneur anglois ayant appris de lui le mouvement que
nous faisions par le marais, fit ses dispositions pour n’être pas
surpris. »
[Anonyme, « Relation de l’expédition
de Québec aux ordres de M. le chvalier de Lévis, maréchal des camps et armées
du roi, en 1760 », dans Casgrain
(dir.), Relations et journaux…, p. 225 et 229.]
Vauquelin
20 avril
1760 : Vauquelin mentionne que les hauteurs du lac Saint-Pierre sont libres
de glaces.
[« Extraits
du journal de M. Vauquelin », dans Casgrain
(dir.), Relations et journaux…, p. 263]
Malartic
23 avril
1760 : « Le 23 vent de nord-est et pluie. »
26 avril
1760 : « Vers les 5 h. il s’est élevé un orage violent suivi d’une
forte pluye. »
27 avril
1760 : « Tous les officiers l’ont faite à pied, et ont eu à souffrir
ainsi que leurs soldats de la pluye, de la neige, ainsi que de l’incommodité de
marcher dans l’eau jusqu’à demi-jambe. »
29 avril
1760 « Les Anglois ont inquiété nos travailleurs qui ont peine à enlever la
terre qui est encore gelée. »
[Malartic, Journal des Campagnes au
Canada…,
p. 314, 315 et 321]
Lévis
20 avril
1760 : « On trouva à l’entrée du gouvernement de Québec le fleuve
encore plein de glaces, ce qui joint au grand froid et au risque paroissoit
devoir arrêter l’armée. »
26 avril
1760 : « On descendit en bateau jusqu’à Saint-Augustin où l’on
travailla à les traîner sur les glaces, pour les mettre à terre [...]. »
« Il
fit une nuit des plus affreuses, un orage [pluie et éclaires] et un froid
terribles, ce qui fit beaucoup souffrir l’armée qui ne put finir de passer que
bien avant dans la nuit. » [Le mauvais temps – pluie – continue le
lendemain.]
10 mai
1760 : « La nuit fut très pluvieuse [...]. »
[Lévis, Journal…, p. 258, 259, 260 et 278.]
Johnstone
« Nous
aurions selon toutes les apparences enlevè [sic] Quebec par surprise sans un de
ces Caprices de la fortune qui souvent ont autant de Part aux Evenemens de la
Guerre que le Genie de plus grands Generaux. Un Batteau d’Artillerie ayant été
coulé à fond visav’s le Cap Rouge par les Glaces, dont le Fleuve en charioit
encor beaucoup, Un Cannonier se sauva sur un Glaçon, et le Courant emporta le
Glaçon avec le Cannonier dessus sans qu’il fut possible de le retirer de là. Le
Glaçon étant descendû œvisavis [sic] de Quebec par le courant, les Anglois appercevant de la
Ville ce Malheureux Cannonier au Milieu du Fleuve en eûrent Compassion, et
firent sortir tout de suite des bateaux à son Secours, que le tirerent de là avec
beaucoup de Peine ; Il étoit alors sans Connoissance et sans Signe de Vie, mais
1’ayant rechauffé avec des Cordiaux qu’on lui donna Il revint peu à peu a
luimeme [sic]. Sitôt qu’Il fût en Etat de parler, on lui demanda d’où Il
venoit? Le Cannonier répondit avec Naiveté et innocemment, qu’Il venoit de l’Armée
françoise au Cap Rouge. Dabord ou [sic] le crût dans la Délire : Mais 1’ayant
examiné plus amplement Ils reconnûrent qu’Il parloit sans detour, et on peut
juger de leur Etonnement. Sans cette Avanture Extraordinaire, M. de Lévis
auroit pû se rendre Maitre de la Ville de Quebec [...]. »
[Johnstone,
« Mémoires… », p. 160-161.]
Knox
Les Highlanders à la bataille de Sainte-Foy, tels qu'imaginés par l'artist Steve Noon. (Osprey Publishing) |
« We had violent thunder and lightning this evening, surpassing any thing of the kind that has been known in this country for many years; and was succeeded by a most tremendous storm of wind and rain, threatening desolation to trees, houses, &c. the river was so agitated by this uncommon storm, which came from the south-east quarter, as effectually to tear up and disperse all the remaining ice ».
« About
two o’clock this morning the watch on board the Race-horse sloop of war
in the dock, hearing a distressful noise on the river, acquainted Captain McCartny
therewith, who instantly ordered out his boat, which shortly after returned
with a man whom they found almost famished on a float of ice; notwithstanding
all imaginable care was taken of him, it was above two hours before he was able
to give an account of himself; when the terrors of his mind had subsided, and
he could speak, he gave his deliverer the following intelligence: ‘That he is a
Serjeant of the French Artillery, who, with six other men, were put into a
floating battery of one eighteen-pounder; that his batteau overset in the great
storm above-mentioned, and his companions he supposes are drowned; that he swam
and scrambled, alternatively, through numberless floats of ice, until he
fortunately met with a large one, on which, though with great difficulty, he
fixed himself; that he lay on it for several hours, passed the town with the
tide of ebb, which carried him near to St. Lawrence’s church on the island of
Orleans; and was driving up again with the tide of flood, at the time that our
boat happily came to his relief.’ He added, ‘that the French squadron, consisting
of several frigates, armed sloops, and other craft, such as galiotes, floating batteries, and
batteaus innumerable, laden with ammunition, artillery, provisions,
intrenching-tools, and stores of all kinds, were coming down to the Foulon, at
Sillery; where they were to meet the army under M. de Levis and M.
Bourlemacque, amounting to twelve thousand men at least, though many people
computed them at fifteen. – That their fleet, particularly the small craft,
were separated by the storm, and he believes many of them are lost, by the
number of different articles which he saw floating down with him, and several
guns he heard, and supposes may be signals of distress from their larger
vessels.’ […] His story being told, Captain McCartney immediately
conducted him in a sailor’s hammock up to the Governor, to whom he recounted
all the foregoing particulars […]. »
« Moderate
weather, with a thick and cold misting rain. »
« In
the course of the action we were insensibly drawn from our advantageous
situation into low swampy ground, where our troops fought almost knee-deep in
dissolving wreaths of snow and water, whence it was utterly impracticable to
draw off our artillery under those unhappy circumstances [..]. »
[Knox, John. An
Historical Journal…, p. 289-291 et 294.]
Sources et lectures
suggérées
- Casgrain, H.R.
(dir.). Relations et journaux de différentes expéditions faites durant les
années 1755-56-57-58-59-60. Québec, L.-J. Demers &
Frères, 1895. 274 p.
Coll. « Manuscrits du maréchal de Lévis ».
- Coates, Colin,
et Dagomar Degroot. « «Les
bois engendrent les frimas et les gelées»: comprendre le climat en
Nouvelle-France », Revue d’histoire de l’Amérique française, Vol.
68, No. 3‑4 (2015), p. 197‑219.
- Desloges, Yvon. Sous
les cieux de Québec. Météo et climat, 1534-1831. Québec, Septentrion, 2016.
220 p.
- Johnstone, Chevalier de. « Mémoires de M. le chevalier de Johnstone », dans Part I Lady Durham’s Journal, Part II Memoires de M. le Chev. de Johnstone. Québec, Literary and Historical Society of Quebec and The Telegraph Printing Co., 1915. p. 63-199. En ligne : https://archive.org/details/ladydurhamsjourn00durhuoft
- Jonsson, Fredrik Albritton.
« Climate Change and the Retreat of the Atlantic: The Cameralist Context
of Pehr Kalm’s Voyage to North America, 1748–51 », The William and Mary
Quarterly, Vol. 72, No. 1 (2015), p. 99‑126.
- Knox, John. An
Historical Journal of the Campaigns in North-America, for the Years 1757, 1758,
1759, and 1760 [Etc.]. Vol. 2, Vol. 2. Londres, W. Johnston, 1769. 465 p.
En ligne : https://archive.org/details/historicaljourna02knox/page/n9
- Lévis,
François-Gaston de. Journal des campagnes du chevalier de Lévis en Canada de
1756 à 1760, Édité par H. R. Casgrain.
Montréal, C. O. Beauchemin & Fils, 1889. 340 p.
- Malartic, Gabriel de Maurès de (Édité par Paul Gaffarel). Journal des Campagnes au Canada de 1755 à 1760. Dijon, L. Damidot, 1890. 370 p.
- Parsons,
Christopher M. A Not-So-New World: Empire and Environment in French Colonial
North America. Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2018. 264 p.
- Williams, Linda. « The Anthropocene and the Long 17th Century 1550-1750 », dans Tom Bristow et Thomas H. Ford (dir.), The Cultural History of Climate Change. New York, Routledge, 2016. p.87‑107.
Intéressant. Comme toujours. merci.
ReplyDeleteMerci, ça me... réchauffe!
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