01 December 2016

Grands personnages, petits moments...

Diorama « Le Chevalier de Lévis brûle ses drapeaux, 8 septembre 1760 »
Musée du Royal 22e Régiment, Citadelle de Québec.
Source: Wikipedia

Un de mes plus grands plaisirs lorsque je fais de la recherche dans les sources premières est de tomber sur des petits brins d’humanités.

Je m’explique.

Je travaille souvent avec la correspondance de personnages éminents de l’histoire canadienne-française. La société a élevé ces gens sur un piédestal de respect, de grandeur et franchement, de mythe. Prenons le chevalier de Lévis, par exemple. Le second de Montcalm, on le connaît comme celui qui a mené les Français à la victoire lors de la bataille de Sainte-Foy en 1760. La même année, il a refusé aux Britanniques la satisfaction de leur donner les honneurs de la guerre, optant plutôt de brûler les étendards français et cassant son épée. Ce sont là les ingrédients d’un culte de personnage historique : stoïque, borné, noble, Lévis est l’image même du héros de guerre.

Mais l’historien se méfie de partager ce même regard obnubilé de la mémoire populaire. Certes, Lévis et ses semblables ont porté des gestes dignes d’admiration, mais il ne faut pas oublier que ces héros de notre histoire nationale étaient des gens en chair et en os, non des demi-dieux dignes d’un panthéon romain.


Pourtant, rentrer dans l’intimité du vécu journalier de Lévis et ses frères d’armes peuvent parfois créer un paradoxe intéressant. D’une part, l’historien/ne déboulonne le mythe et le culte du personnage, mais de l’autre, il ou elle peut tout autant doubler d’admiration en découvrant des petits moments qui rendent ces mêmes personnages plus humains, plus rejoignables.

Je vous partage deux moments du genre au sujet de Lévis.

Le premier, une de mes anecdotes les plus amusantes à son sujet, lui arrive lorsqu’il mène une mission de reconnaissance sur une montagne du lac Champlain pour vérifier d’où est-ce que les Britanniques espionnaient le fort Carillon. Quelques jours plus tard, il dicte ce mot à l’intendant Bigot :
« Je ne vous écris pas de ma main, parce que, hier, j'ai été sur la montagne de l'autre côté de la rivière, vis-à-vis de notre camp, à l'endroit où sont venus les découvreurs ennemis; j'ai fait une chute je me suis foulé le poignet et j'ai été fort heureux de ne m'être pas cassé le col. » (Lévis à Bigot. Le 4 août 1756, dans H. R. Casgrain (dir.), Lettres du chevalier de Lévis concernant la guerre du Canada (1756-1760), Montréal, C. O. Beauchemin & Fils, 1889, p. 66.)
Quel délice mesquin que d’imaginer le pauvre Lévis, héros de nos livres d’histoire, piquer une méchante débarque, comme on dirait en bon canayen, l’ego meurtri plus qu’autre chose…

Nous avons aussi une petite fenêtre sur la façon qu’il percevait ses sous-officiers, du moins en ce qui concerne sa proche amitié avec un officier des troupes de la Marine, grâce à ces deux extraits :
« J'ai encore une autre grâce à vous demander qui est de vouloir bien accorder votre protection à M. de Fontbrune, capitaine réformé au régiment de la Marine. Il m'a suivi dans ce pays par amitié et par attachement; il m'est très utile; je lui ai bien des obligations. M. de Montcalm et moi demandons avec beaucoup d'instances à M. le marquis de Paulmy qu'il soit fait cette année chevalier de Saint-Louis; il mérite cette grâce par ses services. Je vous supplie d'avoir la bonté de lui en parler je serois bien satisfait si votre recommandation la lui procuroit. » (Lévis à Mme. de Mirepoix. À Montréal, le 24 septembre 1757, dans Casgrain (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, pp. 169-170.)
Malheureusement, cette grâce ne sera jamais accordée, comme l’explique Lévis :
« J'avois eu l'honneur de vous demander une augmentation d'appointements pour le sieur de Fontbrune, dans mes dernières lettres. Il est mort de maladie le mois dernier c'est une perte pour le service du Roi. Il étoit passé avec moi en Canada; je le regrette infiniment; il m'étoit attaché et je l'avois engagé de venir en Amérique. » (Lévis à Paulmy. Le 8 octobre 1757, dans Casgrain (dir.), Lettres du chevalier de Lévis…, p. 173.)
Comme quoi, même si ces braves héros de notre passé ont vécu entouré par la mort sur le champ de guerre, ils n’étaient pas moins soumis au deuil de la perte de proches.

Donc en rires ou en larmes, il est souvent possible de trouver matière à se rapprocher humainement de ces héros de la mémoire populaire, sans nécessairement faire abstraction de la rigueur historique.