Source : Inconnue. |
La rentrée est peut-être bien enclenchée,
mais il ne faut pas oublier que l’été prend fin officiellement le 22 septembre.
Quoique je suis moi-même pressé de retrouver la fraîcheur automnale,
j’aimerais faire un dernier clin d’œil à la saison estivale. L’été dernier, j’avais
produit un billet sur les moustiques
en Nouvelle-France. Cette année, j’aimerais célébrer un insecte qui m’a
toujours fasciné depuis mon enfance : la luciole[1].
Tout comme le « Ti-Jos » que j’étais s’émerveillait dans son Nord
ontarien natal devant l’apparition la nuit de ces flammèches vertes, les
visiteurs et les habitants de la Nouvelle-France ne manquaient pas non plus de
noter ces créatures
remarquables.
Le Jeune
On note très tôt l’existence de lucioles dans la colonie. Dans mon billet portant sur les moustiques en Nouvelle-France, je citais un extrait de la relation de 1632 du jésuite Paul le Jeune qui décrit les insectes irritants de la colonie. Admettant lui-même qu’elle est inoffensive, il consacre cette ligne à notre chère luciole : « les mouches luisantes ne font point de mal, vous diriez la nuict que ce sont des estincelles de feu; elles jettent plus de lumiere que les vers luisants que j’ay veus en France : tenant une de ces mouches & l’appliquant aupres d’un livre je lirois fort bien[2]. »
Lalement
Dans sa relation de 1645-1656, le jésuite Jérôme Lalement
écrit : « On a bien parlé les années precedentes de quelques mouches
qui brillent la nuit pendant l’Esté : comme des estoiles ou de petits
flambeaux : si vous en prenez une par sa petite aile, & si vous la
passez doucement [171] sur un livre, vous lirez dans le fond de la nuit, comme
au milieu du jour. Il est vray que ce flambeau se cache & paroist selon le
mouvement de ce petit animal[3]. »
Dollier de Casson
Dans son histoire de la fondation de
Montréal, le sulpicien François
Dollier de Casson décrit le souvenir d’une messe à l’été 1642 :
« […] on avait point de lampes ardentes devant le St. Sacrement, mais on
avait certaines mouches brillantes qui y luisaient fort agréablement jour et
nuit étant suspendues par des filets d’une façon admirable et belle, et toute
propre à honorer selon la rusticité de ce pays barbare, le plus adorable de nos
mystère[4]. »
Nicolas
Pour toutes les créatures fantastiques
qu’il inclut dans son célèbre Codex Canadiensis, le fascinant jésuite manqué Louis Nicolas ne manque pas
d’inclure la luciole parmi les bêtes parfois fantastiques de son bestiaire de
la Nouvelle-France.
"mouche luisante qu'on voit a milier, sur le soir d'un beau jour sur les rives du fleuve s.t Laurent en amerique" - Louis Nicolas |
Kalm
Lors de son passage à Baie-Saint-Paul, le
Suédois Pehr Kalm
note la présence de lucioles. (« On trouve aussi des mouches-à-feu en cet
endroit[7]. »)
Il les notera à nouveau entre Québec et Trois-Rivières, les comparants au ver
luisant européen. « Des lampyres, en nombre peu considérable, jettent dans
les bois leurs lueurs éphémères. Ces insectes portent, ici, le nom de mouches-à-feu[8]. »
Dumont de Montigny
Les militaires aussi remarquent le charmant
insecte. Jean-François-Benjamin Dumont de Montigny est un officier qui nous
lègue ce témoignage en Louisiane : « Après une longue sécheresse,
lorsque le tems dispose à la pluie, on apperçoit vers les bois dans l’obscurité
de la nuit des espéces de mouches, qui répandent une grande lumiere en volant :
on leur donne le nom de mouches à feux; aussi croiroit‑on à les voir, que ce
seroit quelqu’un qui avec un tison allumé - rempliroit l’air d’étincelles &
de flammes : les forêts en paroissent quelquefois tout en feu. Ces mouches
lumineuses sont grosses comme nos mouches à miel; elles sont vertes par le bas,
& ont des deux côtés de la tête deux taches de couleur violette :
quelques–uns prétendent que ce sont des cantharides. Dans les bois, & le
long des sentiers qui traversent les prairies, on voit encore la nuit des vers
luisans. J’en ramassai un jour une certaine quantité dans une fiole assez
grande & d’un verre assez fin ; & je puis assûrer qu’ils m’éclairoient
non-seulement à lire, mais même à écrire : cette clarté dura peu; comme
j’ignorois de quoi je devois les nourrir, ils moururent[9]. »
Aleyrac
Enfin, le 2 juillet 1757, en chemin pour le
fort Carillon, Jean-Baptiste
d’Aleyrac écrit : « Nous dûmes camper ce même jour à la Pointe aux Fers, à 11
lieues du fort St-Jean et à 2 lieues du lac Champlain. Il y avait une quantité
extraordinaire de mouches à feu[10]. »
Malgré sa nature brève, cette courte citation est ma préférée concernant nos
petits amis lumineux. Comme Aleyrac, j’ai vécu l’expérience de soirées passées
dans et autour du fort Carillon (ou Fort
Ticonderoga, dans l’État de New York). Comme Aleyrac, j’admirais les
lucioles locales et je m’émerveillais devant leur nombre. Ce n’est qu’après ces
séjours que je suis tombé sur son journal. Sur le coup, je sentais soudainement
disparaître les deux siècles et demi qui séparaient l’auteur et le lecteur, m’imaginant
presque à ses côtés, partageant le même bonheur de voir des lucioles illuminer
la nuit de mille petits feux-follets éphémères.
Comme quoi dans la vie, il y a certaines
choses qui heureusement ne changent jamais.
Notes et sources
[1] Je tiens à souligner que le Dictionnaire historique du français québécois a été d’une aide précieuse pour trouver certains extraits que je ne connaissais pas!
[2] Reuben Gold Thwaites, The
Jesuit Relations and Allied Documents: Travels and Explorations of the Jesuit
Missionaries in New France, 1610-1791. Vol. 5: Québec 1632-1633,
Cleveland, The Burrows Brothers Company, 1897, p. 36. [Lien]
[3] Reuben Gold Thwaites, The Jesuit Relations and Allied Documents:
Travels and Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, 1610-1791. Vol.
29: Iroquois, Lower Canada, Hurons. 1646, Cleveland, The Burrows Brothers
Company, 1898, p. 216 et 218. [Lien]
[4] François Dollier de Casson,
Histoire du Montréal. 1640-1672. Montréal, Eusèbe Senécal et Société
littéraire et historique de Québec, 1927 (1871), p. 22. [Lien]
[5] Bibliothèque nationale de
France. Département des Manuscrits,
Français 24225, Histoire naturelle ou la fidelle recherche de tout ce
qu'il y a de rare dans les Indes Occidantalles..., par M. L. N. P. [Louis
Nicolas], vers 1675, folio 165. [Lien]
[6] Bibliothèque nationale de
France. Département des Manuscrits,
Français 24225, Histoire naturelle ou la fidelle recherche de tout ce
qu'il y a de rare dans les Indes Occidantalles..., par M. L. N. P. [Louis
Nicolas], vers 1675, folio 166. [Lien]
[7] Pehr Kalm et Société historique de Montréal, Voyage
de Kalm en Amérique. Traduction. Tome 2, L.W. Marchand (dir.), Montréal, T. Berthiaume, 1880, p. 157.
[Lien]
[8] Pehr Kalm et Société historique de Montréal, Voyage
de Kalm en Amérique. Traduction. Tome 2, L.W. Marchand (dir.), Montréal, T. Berthiaume, 1880, p. 195.
[9] M. Dumont et M. L. L. M., Mémoires historiques sur
la Louisiane, vol. 1, 2 vol., Paris, Chez Claude Jean-Baptiste Bauche,
1753, p. 115-116. [Lien]
[10] Jean-Baptiste d’Aleyrac,
Aventures militaires au xviiie
siècle, d’après les Mémoires de Jean-Baptiste d’Aleyrac, Paris, Editions
Berger-Levrault, 1935, p. 53.
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