08 September 2024

Les lucioles en Nouvelle-France


Source : Inconnue.

La rentrée est peut-être bien enclenchée, mais il ne faut pas oublier que l’été prend fin officiellement le 22 septembre. Quoique je suis moi-même pressé de retrouver la fraîcheur automnale, j’aimerais faire un dernier clin d’œil à la saison estivale. L’été dernier, j’avais produit un billet sur les moustiques en Nouvelle-France. Cette année, j’aimerais célébrer un insecte qui m’a toujours fasciné depuis mon enfance : la luciole[1]. Tout comme le « Ti-Jos » que j’étais s’émerveillait dans son Nord ontarien natal devant l’apparition la nuit de ces flammèches vertes, les visiteurs et les habitants de la Nouvelle-France ne manquaient pas non plus de noter ces créatures remarquables.

Le Jeune


On note très tôt l’existence de lucioles dans la colonie. Dans mon billet portant sur les moustiques en Nouvelle-France, je citais un extrait de la relation de 1632 du jésuite Paul le Jeune qui décrit les insectes irritants de la colonie. Admettant lui-même qu’elle est inoffensive, il consacre cette ligne à notre chère luciole : « les mouches luisantes ne font point de mal, vous diriez la nuict que ce sont des estincelles de feu; elles jettent plus de lumiere que les vers luisants que j’ay veus en France : tenant une de ces mouches & l’appliquant aupres d’un livre je lirois fort bien[2]. »

Lalement

Dans sa relation de 1645-1656, le jésuite Jérôme Lalement écrit : « On a bien parlé les années precedentes de quelques mouches qui brillent la nuit pendant l’Esté : comme des estoiles ou de petits flambeaux : si vous en prenez une par sa petite aile, & si vous la passez doucement [171] sur un livre, vous lirez dans le fond de la nuit, comme au milieu du jour. Il est vray que ce flambeau se cache & paroist selon le mouvement de ce petit animal[3]. »

Dollier de Casson

Dans son histoire de la fondation de Montréal, le sulpicien François Dollier de Casson décrit le souvenir d’une messe à l’été 1642 : « […] on avait point de lampes ardentes devant le St. Sacrement, mais on avait certaines mouches brillantes qui y luisaient fort agréablement jour et nuit étant suspendues par des filets d’une façon admirable et belle, et toute propre à honorer selon la rusticité de ce pays barbare, le plus adorable de nos mystère[4]. »

Nicolas

Pour toutes les créatures fantastiques qu’il inclut dans son célèbre Codex Canadiensis, le fascinant jésuite manqué Louis Nicolas ne manque pas d’inclure la luciole parmi les bêtes parfois fantastiques de son bestiaire de la Nouvelle-France.

"mouche luisante qu'on voit a milier, sur le soir
d'un beau jour sur les rives du fleuve s.t Laurent
en amerique" - Louis Nicolas
« Enfin je vous parleray de la mouche de feu, ou de la mouche luysante, et je vous la fairay voir dans l’horreur des tenebres de la nuit […].[5] » […] « De la Mouche A feu ou de la Mouche luyzante [.] Parmy les choses qui sont admirables sur les terres de l’Amerique, je trouve que la Mouche a feu ny doit pas tenir le dernier rang : car a la bien considerer, on diroit que [c’est] un astre vivant qui emporté de son propre mouvement au milieu des ténèbres de la nuit brille sans recevoir la lumiere du bel astre du jour. Il faut néanmoins que cet astre volant rende hommage au soleil ne paroissant jamais le jour que comme une mouche du comun. L’on est fort souvant agreablement surpris : lorsque sans y penser on s’imagine voir autant de petits éclairs qu’on voit de ces insectes qui étendant et resserrent presque en même [temps] leurs ailes font paroitre, et font cacher en un moment leur agreable feu avec lequel on peut lire dans une chambre si on prend la peine d’en tenir un, et de le conduire successivement tout le long de la ligne qu’on veut lire, qui si ayant une bouteille de verre on y enferme 15 ou 20 de ces mouches a feu elles servent de chandelles 8 jours durant[6]. »

Kalm

Lors de son passage à Baie-Saint-Paul, le Suédois Pehr Kalm note la présence de lucioles. (« On trouve aussi des mouches-à-feu en cet endroit[7]. ») Il les notera à nouveau entre Québec et Trois-Rivières, les comparants au ver luisant européen. « Des lampyres, en nombre peu considérable, jettent dans les bois leurs lueurs éphémères. Ces insectes portent, ici, le nom de mouches-à-feu[8]. »

Dumont de Montigny

Les militaires aussi remarquent le charmant insecte. Jean-François-Benjamin Dumont de Montigny est un officier qui nous lègue ce témoignage en Louisiane : « Après une longue sécheresse, lorsque le tems dispose à la pluie, on apperçoit vers les bois dans l’obscurité de la nuit des espéces de mouches, qui répandent une grande lumiere en volant : on leur donne le nom de mouches à feux; aussi croiroit‑on à les voir, que ce seroit quelqu’un qui avec un tison allumé - rempliroit l’air d’étincelles & de flammes : les forêts en paroissent quelquefois tout en feu. Ces mouches lumineuses sont grosses comme nos mouches à miel; elles sont vertes par le bas, & ont des deux côtés de la tête deux taches de couleur violette : quelques–uns prétendent que ce sont des cantharides. Dans les bois, & le long des sentiers qui traversent les prairies, on voit encore la nuit des vers luisans. J’en ramassai un jour une certaine quantité dans une fiole assez grande & d’un verre assez fin ; & je puis assûrer qu’ils m’éclairoient non-seulement à lire, mais même à écrire : cette clarté dura peu; comme j’ignorois de quoi je devois les nourrir, ils moururent[9]. »

Aleyrac

Enfin, le 2 juillet 1757, en chemin pour le fort Carillon, Jean-Baptiste d’Aleyrac écrit : « Nous dûmes camper ce même jour à la Pointe aux Fers, à 11 lieues du fort St-Jean et à 2 lieues du lac Champlain. Il y avait une quantité extraordinaire de mouches à feu[10]. » Malgré sa nature brève, cette courte citation est ma préférée concernant nos petits amis lumineux. Comme Aleyrac, j’ai vécu l’expérience de soirées passées dans et autour du fort Carillon (ou Fort Ticonderoga, dans l’État de New York). Comme Aleyrac, j’admirais les lucioles locales et je m’émerveillais devant leur nombre. Ce n’est qu’après ces séjours que je suis tombé sur son journal. Sur le coup, je sentais soudainement disparaître les deux siècles et demi qui séparaient l’auteur et le lecteur, m’imaginant presque à ses côtés, partageant le même bonheur de voir des lucioles illuminer la nuit de mille petits feux-follets éphémères.

Comme quoi dans la vie, il y a certaines choses qui heureusement ne changent jamais.

Notes et sources

[1] Je tiens à souligner que le Dictionnaire historique du français québécois a été d’une aide précieuse pour trouver certains extraits que je ne connaissais pas!

[2] Reuben Gold Thwaites, The Jesuit Relations and Allied Documents: Travels and Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, 1610-1791. Vol. 5: Québec 1632-1633, Cleveland, The Burrows Brothers Company, 1897, p. 36. [Lien]

[3] Reuben Gold Thwaites, The Jesuit Relations and Allied Documents: Travels and Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, 1610-1791. Vol. 29: Iroquois, Lower Canada, Hurons. 1646, Cleveland, The Burrows Brothers Company, 1898, p. 216 et 218. [Lien]

[4] François Dollier de Casson, Histoire du Montréal. 1640-1672. Montréal, Eusèbe Senécal et Société littéraire et historique de Québec, 1927 (1871), p. 22. [Lien]

[5] Bibliothèque nationale de France. Département des Manuscrits, Français 24225, Histoire naturelle ou la fidelle recherche de tout ce qu'il y a de rare dans les Indes Occidantalles..., par M. L. N. P. [Louis Nicolas], vers 1675, folio 165. [Lien]

[6] Bibliothèque nationale de France. Département des Manuscrits, Français 24225, Histoire naturelle ou la fidelle recherche de tout ce qu'il y a de rare dans les Indes Occidantalles..., par M. L. N. P. [Louis Nicolas], vers 1675, folio 166. [Lien]

[7] Pehr Kalm et Société historique de Montréal, Voyage de Kalm en Amérique. Traduction. Tome 2, L.W. Marchand (dir.), Montréal, T. Berthiaume, 1880, p. 157. [Lien]

[8] Pehr Kalm et Société historique de Montréal, Voyage de Kalm en Amérique. Traduction. Tome 2, L.W. Marchand (dir.), Montréal, T. Berthiaume, 1880, p. 195.

[9] M. Dumont et M. L. L. M., Mémoires historiques sur la Louisiane, vol. 1, 2 vol., Paris, Chez Claude Jean-Baptiste Bauche, 1753, p. 115-116. [Lien]

[10] Jean-Baptiste d’Aleyrac, Aventures militaires au xviiie siècle, d’après les Mémoires de Jean-Baptiste d’Aleyrac, Paris, Editions Berger-Levrault, 1935, p. 53.

Champs de bataille : Édition 2024

Depuis les dernières quelques années, la Commission des champs de bataille nationaux à Québec organise à chaque début de septembre un événement commémoratif de la bataille des plaines d'Abraham. Vous y trouverez de nombreux reconstituteurs historiques démontrant la vie de camps. Je profite de l'occasion pour vous rappeller que j'ai un compte Instagram où vous pouvez voir des photos tirées de mon quotidien d'historien : je vous partage d'ailleurs ci-dessous quelques-uns de mes clichés préférés de ma fin de semaine passée en compagnie de collègues et d'amis formidables. Au plaisir de vous y voir l'an prochain!