Le
métier d’historien est parfois pénible et frustrant. Autant qu’on veuille bien élucider
un mystère, le manque de sources ou la difficulté d’y avoir accès peut ériger
des obstacles qui ne sont pas facilement surmontables. Prenons l’exemple de
Jean-François Bernier.
Qui
est-il? J’aimerais bien le savoir!
La Nouvelle-France et le Pays des Illinois (encadré orange) Source : BAnQ |
Remontons
d’abord à la genèse de l’intérêt pour cet illustre inconnu. Il m’arrive parfois
de voyager entre l’Illinois et le Missouri pour visiter le Pays des Illinois. Cette
ancienne colonie qui dépendait du gouvernement de La Nouvelle-Orléans se
situait approximativement entre la rivière des Illinois et la rivière de
l’Ohio. Au printemps 2013, j’ai eu l’occasion de visiter à nouveau le joli
village de Sainte-Geneviève. Fondé quelque temps dans les années 1750, ce petit
patelin est rapidement devenu un des joyaux de la colonisation française au
cœur de la vallée du fleuve Mississippi. Toujours aujourd’hui, nous y trouvons
parmi les plus beaux exemples d’architecture créole du XVIIIe siècle
(lorsque je parle de « créole », il s’agit du contexte de colon
français né dans le Pays des Illinois, et non d’une personne née d’un mariage
mixte. Tout comme le terme « Canadien » à l’époque désigne un
Français né dans la colonie du Canada.). Accompagné de ma copine et d’amis de
Québec, j’ai eu le bonheur de revisiter certaines maisons historiques, dont la
maison Bolduc qui est aujourd’hui un lieu patrimonial. Cependant, grâce à
l’amabilité de notre guide Bonnie Samuelson, nous avons aussi eu le privilège
de faire une visite guidée de plusieurs résidences privées, normalement clos au
public. Notre dernier arrêt n’était nul autre que l’ancienne maison de
Jean-François Bernier.
Construite
en 1787, la maison a presque succombé aux flammes lorsqu’un incendie s’y est
déclaré en juin 2010. Heureusement, par pure coïncidence, les membres des
pompiers bénévoles de Sainte-Geneviève étaient tous rassemblés pour leur
réunion mensuelle ce même soir. Ils ont donc pu combattre le feu avant qu’il ne
consomme le bâtiment entier. Abandonné comme tel pendant quelques années, c’est
au mois de mai 2013 que le couple Ed et Lauren Moore l’achète pour le rénover.
La maison François Bernier Sainte-Geneviève, Missouri |
Un brin d'histoire bien caché... |
La
scène intérieure, toutefois, est désolante : le sinistre n’a pas achevé la
maison, mais tout comme. Suffise de dire qu’après les flammes et l’extraction
de matériel irrécupérable, il ne reste que la charpente de la maison à base de
poteaux sur sole. Tout est à refaire, tout en essayant de conserver le plus de
poteaux originaux que possible (sauf exception des pièces carbonisés). C’est un
dur travail de rénovation qui attend les Moore. Heureusement, leur passion sera
sans doute à la hauteur!
Un patrimoine endommagé... |
Cela
dit, nous revenons à notre énigme initiale : Ed et Lauren veulent
connaître la biographie du premier propriétaire de leur nouvelle maison. Je me
suis donc offert pour les aider de mon mieux. J’ai commencé mes recherches à
partir de ces trois indices : selon la tradition locale, Bernier était originaire
de Cap-Saint-Ignace; ses enfants sont tous nés après 1780 et nous savons qu’il
est mort à Sainte-Geneviève. Me servant de la base de données du Programme derecherche en Démographie Historique, j’ai retracé tous les François Bernier nés
dans le coin. Éliminant un à un tous les individus décédés dans la région, il ne
me restait que Jean-François Bernier, né en 1738, et un François-Xavier
Bernier, né le 3 avril 1710. Le PRDH n’a pas pu retracer leurs lieux de décès.
Toutefois, il est évident qu’on peut éliminer François-Xavier qui ne porte pas
le bon prénom et qui, sans doute, n’a pas eu d’enfants si tard.
À
partir d’ici, il est facile de trouver l’acte de baptême original de Jean-François.
Nous savons donc qu’il est né le 27 février 1738 à Cap-Saint-Ignace, et qu’il a
été baptisé le 4 mars de la même année dans la paroisse Saint-Ignace-de-Loyola.
Ses parents sont Louis Bernier (baptisé le 2 septembre 1707 à Cap-Saint-Ignace,
décédé le 1er mars 1794 à L’Islet) et Marguerite-Françoise Lemieux (baptisée
le 14 septembre 1710 à Cap-Saint-Ignace, décédée le 28 janvier 1782 à L’Islet),
mariés le 17 avril 1730. Enfin, Jean-François est le sixième de quatorze enfants.
Ce nombre élevé de frères et de sœurs complique la division de la terre
familiale, expliquant donc en partie pourquoi Jean-François a choisi de s’installer
aux Illinois.
L’internet
nous offre quelques autres dates ayant rapport à François et sa famille (dont
ici : https://familysearch.org/pal:/MM9.2.1/STD8-DHY).
Toutefois ces données sont criblées d’erreurs. Certains sites vont même donner
un tout autre nom à sa femme. Comment s’y retrouver sans les documents
originaux pour double vérifier? Bibliothèque et Archives nationales du Québec m’offraient
deux perspectives potentielles intéressantes. D’abord, PISTARD, le moteur de
recherche des archives.
Rien.
Ensuite,
la base de données Parchemin, qui énumère tous les actes notariés de la vallée
du Saint-Laurent
Non
plus.
Je
me suis tourné à l’index du fonds Kaskaskia Manuscripts, c’est-à-dire les actes notariés de Kaskaskia.
Échec
à nouveau.
Enfin,
j’ai vérifié le recensement espagnol de 1766 de Sainte-Geneviève.
Nada.
Décidément,
soit que François Bernier arrive plus tard au Pays des Illinois ou bien il est
recensé dans un autre document que je ne connais pas.
Bref,
impossible de déterminer à partir de BAnQ quand François quitte le Canada pour
la Haute-Louisiane (autre nom donné au Pays des Illinois). Est-ce que cela veut
dire pour autant que je dois abandonner la recherche? Non. Il nous reste
quelques options qui devront attendre un voyage hors du pays : par
exemple, je pourrai peut-être trouver des indices au Missouri History Museum parmi les French and Spanish Archives de 1763-1841. Il ne faut pas négliger
non plus les archives paroissiales de Sainte-Geneviève et d’autres sources d’actes
notariés, trouvées aux États-Unis.
Voilà
donc qui illustre les problèmes que nous, historiens, pouvons rencontrer lors
de nos recherches. Remarquez, ma recherche au sujet de François Bernier n’a
duré qu’une journée. Avoir plus de temps à me concentrer sur ce problème, sans
doute je pourrais dégager plus d’information. Aussi, j’ai dû dépendre des
outils de recherche à ma disposition. Qu’importe la qualité de l’outil ou de l’index
utilisé, il se peut toujours qu’un document ou une information y échappe. Qui
dit bon historien dit souvent historien chanceux : on trouve souvent des
documents importants par accident. J’ajouterais toutefois que tout bon
historien est un historien patient et débrouillard : certes, je n’ai rien
trouvé de plus pour l’instant, mais j’ai certainement l’intention de garder l’œil
ouvert pour François Bernier dans mes futures pérégrinations archivistiques.
Entre-temps,
souhaitons à Ed et Lauren Moore autant de chance et de patience dans la restauration
de la maison François Bernier!
[I would like to thank Ed and Lauren Moore for their help and permission in writing this blog post. It was a pleasure meeting you and I hope to see the fruit of your labours soon!]
Acte de baptême de Jean-François Bernier (transcription ci-dessous) |
Bat. de Jean françois BernierL’an Mil Sept cent trente huist le quatriesme jour du mois de mars a Été baptisé dans l’Eglise de S.t ignace Par nous soussigné missionaire Jean françois né le vingt septiesme du mois Precedent fils de Louis Bernier habitant de La Paroisse de nôtre dâme de Bon secour Et de Marguerite Lemieux Sa femme, le Parein a Eté Jean françois morneaux Et La Mareine Elizabeth Cloutier fille de deffunt Guillaume Cloutier Lesquels ont tous déclarés ne sçavoir Signer [de ce] interpellée suivant l’ordonance
Frère Simon foucault [recollet]
Liens et lectures suggérés :
- Francois Bernier House c.1790 sur Restorie.com
- François Bernier House, page Facebook
- The Foundation for Restoration of Ste. Genevieve : http://historicstegen.org/
- Official Tourism Site of Ste. Genevieve : http://www.visitstegen.com/