Bombardement van Bergen op Zoom, 1747. Détail. Simon Fokke, d'après Cornelis Pronk, 1772. |
Nous avons tendance à oublier que les soldats qui arrivent dans la colonie pour la défendre pendant la guerre de Sept Ans ne sont pas tous de simples recrues. Plusieurs sont des vétérans de la guerre de Succession d’Autriche. Justement, je viens de tomber sur un individu en particulier qui a piqué ma curiosité. André Doreil, le commissaire ordonnateur des guerres en Nouvelle-France, écrit au ministre :
« J’ay l’honneur de vous envoyer cy joint l’Etat signé et apostillé de neuf grenadiers, Caporaux, oû soldats des seconds Bataillons des Régiments de la Reine, La Sarre, Guienne, et Béarn que leurs blessures et infirmités ont mis hors d’état de continuer leurs services, les quels sont proposés pour les Invalides, après avoir été scrupuleusement examinés par M. Le Marquis de Montcalm et par moy. Dans le nombre est le nommé Bellerose grénadier de la Reyne qui entre de droit à l’hôtel oû il avoit eté cydevant admis par un coup de feu qu’il avoit reçu au bras au siège de Berghopsoom [Berg-op-Zoom] étant dans le Régiment de Normandie : aprés avoir eté detaché de l’hôtel, il s’engagea au Régiment de la Reyne oû il a servi 8. ans consécutifs. C’est d’ailleurs un bon sujet. » [1]
Arrêtons-nous
ici deux instants pour nous rappeler que le siège Berg-op-Zoom a lieu pendant
la guerre de Succession d’Autriche. Cette ville des Pays-Bas en Europe est défendue
par plus de 16 000 hommes. Les
Français mettront plus de deux mois à l’assiéger avant de finalement pouvoir s’infiltrer
à l’intérieur de ses murs le 16 septembre 1747. Pour citer l’historien Michel
Thévenin, « C’est là que les Français, enragés par deux mois d’un siège
long et coûteux, déchaînent leur fureur. Une partie de la garnison est
massacrée, et la ville est mise à sac. Le déchaînement des Français à cette
occasion, et le pillage de la ville, choquent profondément l’Europe. » (Pour
en savoir plus sur cet épisode, je vous invite d’ailleurs à lire le billet de
blogue de mon cher collègue et ami en cliquant
ici.) Toujours est-il, de nombreux vétérans de cette campagne vont
participer au prochain conflit, la guerre de Sept Ans. Certains iront même au
Canada, dont le dit Bellerose.
Nous avons de la chance d’avoir une description physique de ce grenadier. Dans un état des blessés envoyés en France, on y lit :
« Claude François [Renoux/Kenoux] dt Bellerose. Grenadier, natif de Paris, P.sse [Paroisse] S.t Roch agé de 32. ans. Taille 5. p. 3. p. ½ cheveux, barbe et sourcils noirs, les ÿeux roux, le nés [nez] aquilin, le visage long, une cicatrice sur l’oeil gauche. // a servi cinq ans dans le Regiment de Normandie 18. mois aux invalides et 8. ans dans le Regiment de la Reine. // avoit reçu un coup de feu au bras au siege de Bergopzoom pourquoi il avoit eté admis à l’hôtel. Etant detaché au fort S.t Vincent en Provence il s’engagea dans la Reine, ayant obtenu un congé d’un an [en/et] plus. fort incommodé de douleurs aux reins. » [2]
Alors
que je perds sa trace (il ne semble pas inclus dans l’inventaire du Projet
Montcalm non plus), on peut déjà être heureux d’avoir ces rares
informations à son sujet. Comme mes lecteurs assidus le savent déjà, je
travaille présentement sur la présence des femmes qui accompagnent l’armée. Ce
projet courant a sa part de défis alors que les soldats eux-mêmes ont tendance
à être relativement anonymes dans les sources. Le plus souvent, on ne parle que
d’effectifs et non d’individus. Voilà donc un grenadier qui devient un peu
moins anonyme à cause de ses blessures.
Notons
avant de terminer que le cas du dit Bellerose n’est pas unique : ces
informations ont été tirées d’une liste d’infirmes et de blessés renvoyés en France.
Ces documents sont l’occasion de mieux connaître d’autres individus et de
constater certains détails. Par exemple, Bellerose porte une barbe. Il n’est
pas le seul, d’ailleurs. Pourtant, le cliché veut que les hommes au xviiie siècle soient
imberbes, selon la mode de l’époque. S’agit-il ici d’un choix personnel?
Peut-être est-ce par esprit de corps? Après tout, certains corps militaires ont
pour tradition le port de la moustache. Mais encore : il est également
possible que cette pilosité soit directement attachée aux conditions difficiles
dans les camps militaires. En 1760, le chevalier de Lévis se plaint du manque
de savon à raser pour ses hommes.
Autant de
questions intéressantes soulevées par des sources tout aussi fascinantes!
N.B. Je ne
peux pas terminer ce billet sans noter que parmi les soldats qui doivent
retourner en France pour suite de blessures, Doreil mentionne qu’il « reste
également dans [cette] colonie [...] un bon soldat, [puisque] nous n’avons pas
pû refuser à la demande de M.rs de Vaudreüil et Bigot qui avoient
besoin d’un bon ramoneur pour les cheminées du Roy à Québec. »
Sources :
1. SHD, A1 3499, pièce 46. Québec. M. Doreil : situation des troupes; invalides et
soldats congédiés, 1er septembre 1758.
2. SHD, A1 3499, pièce 48. Québec. "État de neuf soldats… qui sont proposés pour
les Invalides…", 1er septembre 1758.