Récemment,
nous apprenions que les « Musées de la civilisation de Québec (MCQ) ont
procédé, le 1er avril, au démantèlement complet de leur service de la recherche
et s’apprêtent, le 23 juin prochain, à fermer la salle de consultation de leurs
archives »1. Cette nouvelle a ébranlé non seulement le monde de
la production scientifique francophone, mais a aussi semé le désarroi chez nos
collègues anglophones2.
En
guise de réponse, Stéphan La Roche, le Directeur général des MCQ, a produit
cette lettre.
En somme, une question budgétaire est évoquée pour expliquer l’inexplicable. M.
La Roche tente par la suite de nous rassurer, sans réussir pour autant, en
tentant d’abord de justifier ces mesures et ensuite de nous démontrer en quoi
le service de recherche sera meilleur par son virement numérique…
À
quoi bon se targuer d’être une collection reconnue par l’UNESCO lorsqu’il n’est
pas permis à son contenu d’être mis en valeur par les chercheurs?
Si
mes collègues se sont déjà prononcés dans leur pétition à cet effet, j’aimerais
ici évacuer ma profonde inquiétude. Je suis en pleine session de recherche qui
doit être terminée pour 2017 alors que j’entamerai la période de rédaction de
ma thèse doctorale. Pour mes lecteurs qui ne sont pas au courant, je travaille
présentement sur le renseignement pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763).
Parmi les centres d’archives que je dois consulter, les collections du Centre
de référence de l’Amérique française des MCQ sont parmi les plus précieux. À
lui seul, le fonds
Viger-Verreau contient de nombreux journaux et correspondances militaires
nécessaires pour l'achèvement de ma thèse. Sans ces collections, elle sera non
seulement appauvrie par l’absence de ces riches sources, mais perdra aussi de
son originalité. Pour ne nommer que quelques fonds que je comptais consulter
cet été :
- Beauharnois,
Charles. Correspondance. 1741-1747.
- Boucher
de La Perrière, François-Clément. Documents militaires, correspondance avec
Varin, Vaudreuil et Bizon. 1694-1808.
- De
Muy, Pierre-Charles. Documents militaires et financiers, correspondance de
Hocquart, de D’Auteuil, et de Bigot. 1727-1799.
- Dubreuil,
François LaCorne. Correspondance de famille. 1760-1801.
- Le
Gardeur de Saint-Pierre, Jacques. Correspondance avec Beauharnois. 1731-1754.
- Margane
de Lavaltrie, Pierre. Correspondance avec Vaudreuil et Périnault. 1741-1794.
- Marin
De La Malgue, Pierre-Paul. Correspondance de Duquesne et de Joncaire. 1753-1755.
- Pécaudy
de Contrecœur, Pierre. Correspondance, documents relatifs à sa famille.
1720-1767.
Bref,
comment puis-je espérer avoir accès à ces documents qui me sont d’une
importance primordiale alors qu’on ferme les portes de ce trésor national et qu’on
demeure évasif sur le retour de leur consultation?
Je
profite également de ce billet pour dénoncer le changement d’horaire qui a eu
lieu l'hiver dernier au Musée de l’Amérique francophone, institution des MCQ.
Pour mes lecteurs qui ne le savent pas encore, la direction a cru bon de
limiter aux fins de semaine seulement les heures d'ouverture d’hiver de
l’institution, et pour les archives, un jour par semaine seulement. Ceci a eu
un impact considérable pour la ville de Québec. Chaque année, j’accueille chez
moi des collègues de l’Ontario et des États-Unis en visite pour consulter les
archives des MCQ. Les sujets qu’ils étudient sont nombreux : la guerre, la
mode, les maladies, la religion, la sorcellerie sous le Régime français, le
Pays des Illinois, le Pays d’en Haut, la Louisiane et j’en passe. Je peux
confirmer que certains collègues se sont vus forcés d’annuler leurs plans de
visiter Québec pendant l’hiver, leur seule période disponible pour voyager, en
constatant ces heures d’ouvertures limitées. Que dire donc de ces collègues qui
n’auront plus du tout accès, été comme
hiver, à leurs sources primaires? On peut facilement deviner l’impact que ces
heures d’ouverture limitées auront sur l’économie locale par l’étouffement du
tourisme historique et des séjours de recherche. Après tout, le tourisme à
Québec se fonde sur l’histoire et le patrimoine de la ville. Si on ne protège
pas ce patrimoine et qu’on ne le met pas en valeur, on se met à dos non
seulement nos visiteurs potentiels mais aussi la reconnaissance de l’UNESCO.
Compte
tenu du peu de temps qu’il me reste pour compléter ma recherche doctorale dans
la prochaine année, je prie Monsieur le Directeur et le conseil
d'administration des MCQ de réviser leur décision rapidement, car celle-ci a eu
un impact concret sur la recherche de professionnels d’ici et d’ailleurs. Du
même souffle, j’invite mes lecteurs à écrire non seulement aux MCQ pour appuyer
la réouverture des archives, mais également à leurs députés pour s’assurer d’un
financement adéquat de cette précieuse institution.
Joseph
Gagné
Historien
et doctorant à l’Université Laval
Notes
et sources :
- Hébert, Karine, Martin Pâquet et
Sophie Imbeault. « Les Musées
de la civilisation : une institution publique ou un entrepôt numérique? »
Argument 2016 - Exclusivités web 2016,
(juin 2016). En ligne : http://www.revueargument.ca/article/2016-06-07/672-les-musees-de-la-civilisation-une-institution-publique-ou-un-entrepot-numerique.html
- Peace, Thomas. « Shuttering Archives: A UNESCO Recognized Collection to
Close its Doors to the Public ». ActiveHistory.ca,
(6 juin 2016). En ligne : http://activehistory.ca/2016/06/closing-of-the-french-america-reference-centre/