24 February 2016

Lettre ouverte à la première ministre Kathleen Wynne

Le 22 février 2016, vous avez offert aux Francophones de l’Ontario des excuses au nom du gouvernement provincial pour le Règlement 17, paroles qui auraient dû être prononcées depuis longtemps par vos prédécesseurs. Je vous en félicite : mieux vaut tard que jamais, comme on dit. Mais des excuses, ça passe toujours mieux avec des fleurs, ou, dans ce cas-ci, une nouvelle université francophone. Doter les Franco-Ontariens de leur propre institution ferait office de réparation pour le tort causé par cette période de notre histoire.

Mon cheminement personnel en est toujours affecté : j’appartiens à la première génération de mon village à aller au secondaire en français. J’ai ensuite poursuivi mes études à l’Université Laurentienne en histoire, souhaitant me spécialiser dans l’histoire de l’Ontario sous le régime français (c’est-à-dire avant 1763). Toutefois, j’ai été obligé de m’exiler au Québec, loin des miens, pour poursuivre ma formation aux cycles supérieurs. Le doctorat en histoire n’est pas offert à l’Université Laurentienne, et il n’existe aucun spécialiste du Régime français à Ottawa. Aller au Québec m’a donc permis de me doter des outils de recherche et de côtoyer les spécialistes absents en Ontario. Enfin, à l’Université Laval, j’ai eu le plaisir de découvrir un milieu universitaire francophone, inexistant chez moi : dans les universités « bilingues », la vie francophone prend fin dès qu’on sort des classes. 

Mon cas n’est pas unique : plusieurs Franco-Ontariens se sont tournés vers l’extérieur pour pouvoir poursuivre leurs études en français. Les universités dites « bilingues » de l’Ontario ont donc échoué leur mandat. Entre elles, plusieurs programmes languissent à cause des postes laissés vacants après la retraite de plusieurs profs. De nombreux programmes ne sont offerts que partiellement en français et d’autres ne mènent pas au-delà du baccalauréat. Aujourd’hui, je ne pourrais plus avoir la même qualité de formation que j’ai reçue à la Laurentienne : son département d’histoire n’est plus que l’ombre de lui-même.

La situation s’empire. La communauté francophone de l’université a toujours eu les bâtons dans les roues, qu’il s’agisse d’organiser les horaires de classe, offrir une variété de cours et de programmes, obtenir un service dans sa langue, avoir accès au campus pour des évènements de grande envergure (comme la Nuit sur l’étang), et j’en passe. Dois-je également rappeler que les francophones sont minoritaires ou même absents des conseils des gouverneurs? Du corps professoral, seuls 5% des profs qui enseignent en français sont Franco-Ontariens. Bref, il nous faut notre université bien à nous.

Le 10 février 2015 avait lieu une conférence de presse à Queen’s Park pour demander votre engagement dans la création d’une nouvelle université francophone. Un an plus tard, le 18 février 2016, une manifestation étudiante a été tenue pour renouveler cette demande. J’appuie cette initiative.

Rappelons-nous que le Canada est un pays bilingue, ce qui signifie que nous avons le droit de vivre notre langue. Il est inacceptable que l’Ontario français n’ait pas sa propre université, alors que le Nouveau-Brunswick, avec une population francophone inférieure à la nôtre, a droit à une université de langue française. Sans oublier que les anglophones du Québec, une population de taille comparable aux Franco-Ontariens, ont droit à plusieurs institutions. Non seulement cela, mais alors que les Franco-Ontariens ont droit à 2% du financement aux universités, les Anglo-Québécois ont droit à 29%! Nous avons donc un retard institutionnel important sur les anglophones du Québec et les francophones de l’Acadie. Il est temps d’y remédier.

Le sommet de février 2015 a démontré que la société franco-ontarienne est au rendez-vous avec son avenir. Si nous voulons assurer la pérennité, l’épanouissement, et le rapatriement de la population franco-ontarienne, il faut se doter des outils sociaux nécessaires. Cela inclut notre propre université, soit une institution dirigée par des francophones pour des francophones. Une telle institution indépendante pourrait nous dégager de l’ombre de l’anglais sur le français dans les institutions bilingues, devenant un phare culturel et un bastion contre l’assimilation. Il s’agirait d’une arène des idées où on peut enfin avoir une main mise sur notre avenir collectif et individuel sans devoir toujours en demander la permission à la majorité en contrôle du volant de la machine universitaire. 

Je souligne d’ailleurs que la semaine dernière dans le Devoir, on y lisait : « Jeudi à Queen’s Park, la première ministre a encore mis en doute, en français, la nécessité d’une université physique. « Est-ce que c’est nécessaire d’avoir un édifice ? Je ne sais pas », a-t-elle dit [...]. » 

La réponse est oui

Pourquoi doit-on avoir notre propre campus? Nous avons besoin d’un carrefour, un lieu de rencontre et d’épanouissement. Cette nouvelle institution bien à nous s’agira d’un point d’ancrage pour l’unité franco-ontarienne, une base solide et tangible où mener à bien nos projets sociaux et culturels. Au-delà du pragmatisme, le symbolisme d’une institution physique ne doit pas être sous-estimé. Depuis l’abrogation du Règlement 17, il s’agira de notre plus grand accomplissement en tant que communauté et un baume important pour les relations franco-anglophones de la province.

Au plaisir de bientôt soumettre ma candidature comme prof d’histoire dans cette nouvelle université franco-ontarienne.

-Joseph Gagné
Originaire de Chapleau et doctorant en histoire, Université Laval





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