L’année
2013 marque le 250e anniversaire de la fin de la guerre de Sept Ans.
Ce conflit est sans aucun doute l’événement le plus marquant de notre
histoire : après tout, sa conclusion ampute à la France ses plus larges
possessions en Amérique du Nord. La Nouvelle-France n’est plus. Les frontières
du continent sont radicalement redessinées et réparties le long des nouvelles
possessions britanniques et espagnoles. Mais le conflit persiste : les
nouvelles tensions soulevées par la nouvelle répartition des pouvoirs coloniaux
mèneront entre autres à la transformation de la société canadienne. C’est la
genèse d’une nouvelle culture palpablement distincte de la France et de l’Angleterre.
Aujourd’hui, alors que le gouvernement Harper dépense (gaspille?) des millions
de dollars sur la commémoration de la guerre de 1812, il est désolant de voir
que la guerre Sept Ans passe presque entièrement sous silence.
Pourtant,
nos voisins du sud se donnent à cœur joie de commémorer cette guerre (connue chez
eux comme la « French & Indian
War »). Partout aux États-Unis, les lieux historiques liés à ce
conflit ont hébergé des reconstitutions historiques (« Reenacting » chez les Anglophones)
et des conférences publiques pour rappeler l’importance de cette « guerre
qui créa l’Amérique ». C’est d’ailleurs le titre donné à l’excellent
documentaire de la chaîne PBS, The War
That Made America. Pendant plusieurs semaines, l’auditoire de la télévision
publique américaine a eu la chance de se renouer avec la mémoire de cette
guerre trop souvent éclipsée par celle de leur révolution.
Aucun
engouement de la sorte au Canada. Bien sûr, les historiens ont fait leur part
de publier de nouvelles recherches et d’animer des conférences, mais le public
n’était pas au rendez-vous. Au Québec, la plaie laissée par le souvenir de la
Conquête saigne toujours, et au Canada anglais, l’ignorance crasse de l’histoire
canadienne-française relègue le tout aux oubliettes.
Tâchons
aussi d’oublier la commémoration malhabile de la Commission des champs de
bataille nationaux. Par un vrai manque de tact, les organisateurs ont raté l’occasion
parfaite de faire mieux connaître et comprendre l’importance de ce conflit
auprès du public à l’aide d’une reconstitution massive du siège de Québec sur
les plaines d’Abraham. Leur première erreur a été de n’avoir pas expliqué au
public ce qu’est le phénomène de reconstitution historique. Le passe-temps de « reenacting » est plus populaire
chez les Américains qu’ici : il n’est pas étonnant donc que la population
locale ait mal perçu l’intention derrière l’activité. Celle-ci, qui devait
faire appel à un nombre sans précédent de « reenactors » québécois et américains, a fini par être interprétée
(majoritairement par les souverainistes) comme une gifle contre l’honneur du Québec.
Au lieu de comprendre que les reconstituteurs historiques animent de telles
activités par amour de l’histoire,
certains ont même proféré des menaces de violence, comparant à tord le contexte de la reconstitution proposée à celui de recréer la Shoah pour les juifs. L’atmosphère était d’ailleurs plus tendue
du fait que les organisateurs donnaient à l’activité un air de célébration au
lieu de commémoration (les critiques s’étaient surtout accrochés aux publicités
illustrant un Montcalm et un Wolfe souriants, se donnant la main). Le tout, on
se rappel, s’est soldé par une annulation de la reconstitution et de la
création au lieu du Moulin à parole.
Bref,
le souvenir de la guerre de Sept Ans n’a pas fait le même objet de pompe que la
guerre de 1812, pourtant quasi insignifiante dans notre histoire. Ceci nous mène au vif de notre sujet d’aujourd’hui : comme nous
l’avions espéré, la Monnaie royale canadienne vient enfin de produire une pièce
commémorant la guerre de Sept Ans. Le résultat, toutefois, laisse à désirer. Voici
la description du design :
Œuvre
de l’artiste canadien Tony Bianco, le motif représente l’ensemble des peuples
qui ont pris part à la guerre de Sept Ans et qui y ont été exposés. Les
soldats britanniques et français, les peuples des Premières Nations et les
colons y sont représentés, de même qu’un enfant qui symbolise l’espoir en
l’avenir. Les personnes sont
tournées vers l’est, au-delà de l’océan Atlantique, en direction de l’ancien
monde. La carte à l’arrière-plan montre la région où le conflit a eu
lieu en Amérique du Nord, et les bannières et les décorations au haut et au bas
de la pièce reprennent les styles typographiques en vigueur dans les cartes et
les documents officiels des XVIIe et XVIIIe siècles.
Initialement,
avant de porter mon jugement final sur la pièce, j’avais consulté quelques
collègues et amis pour connaître leur avis. L’unanimité de leurs opinions reflétait
le mien. Je résume en paraphrasant une amie : le design nous laisse froids.
Bien
que nous ne doutions pas de l’effort de l’artiste d’avoir voulu être le plus
inclusif et neutre possible, cette représentation demeure toutefois qu’une « vision
d’artiste ». L’angoisse et le tumulte de la Conquête y sont effacés pour
faire place à une scène bénigne, dépourvue de la complexité réelle de la
situation.
Notons
d’abord les détails qui nous sautent aux yeux : reconnaissant
immédiatement le soldat britannique, le soldat français et l’Amérindien, on se
demande qui sont les deux autres personnages. L’explication officielle ne fait
que nous confondre d’autant plus : on les décrit comme un colon et « un
enfant qui symbolise l’espoir en l’avenir ». De quel colon s’agit-il?
Selon ses habits, il nous paraît être britannique… où se trouve donc le colon
de la Nouvelle-France, nouvellement annexé à la couronne britannique? Et que
dire de l’enfant, symbole « d’espoir »? Difficile de parler d’espoir
alors que les Habitants de la colonie canadienne doivent choisir entre rester
en Amérique sous l’égide d’une langue et d’une religion étrangère, ou de
quitter pour une France tout aussi étrangère par sa culture métropole… Sans
oublier les Acadiens qui continuent d’être déportés à mesure que les
Britanniques les trouvent. On ne peut non plus prétendre que la pièce commémore
la paix, car l’Amérindien qui y figure peut tout autant symboliser la guerre de
Pontiac qui va rager pendant trois autres années. Et quelqu’un peut-il bien m’expliquer
pourquoi le soldat français semble porter un demi-sourire?
« La
carte à l’arrière-plan montre la région où le conflit a eu lieu en Amérique du
Nord » : pourtant, on n’y voit que l’Acadie, et à peine l’entrée du
Saint-Laurent. Nulle part ne voit-on la vallée de l’Ohio ni le corridor du lac
Champlain et de la rivière Richelieu où a eu lieu la majeure partie de la
campagne militaire. Nous pouvons même critiquer des détails normalement anodins,
car on précise « les bannières et les décorations au haut et au bas de la
pièce reprennent les styles typographiques en vigueur dans les cartes et les
documents officiels ». En réalité, les décorations ont plus un semblant de
celles du XIXe siècle et ne ressemblent aucunement aux cartouches et
ornements des cartes de la guerre de Sept Ans.
À
l’inverse, il faut toutefois se demander : qu’aurait-t-on pu faire de mieux?
Encore une fois, je précise que la tâche de l’artiste en question n’était pas
facile. Comment évoquer une guerre dont la question de commémoration est si
délicate? Il ne faut pas chercher à vexer qui que ce soit, ni glorifier personne
en particulier. En cherchant à rendre tout le monde heureux, on peut finir par ne
pas satisfaire qui que ce soit. Peut-être que la clef de l’énigme est la
simplicité? Je reproduis ici le logo conçu par l’État de la Pennsylvanie dans
le cadre de ses propres commémorations : sobre, mais excitant, simple,
mais évocateur, il est neutre, mais permet à chacun d’y tirer sa propre
interprétation personnelle. Peut-être la Monnaie royale canadienne aurait pu s’en
inspirer?
Ma
conclusion finale : Bien que je sois un collectionneur de pièces de monnaie, je
vais m’abstenir d’acheter celle-ci, étant franchement déçu. Cette commémoration
est, comme disent les Anglais, « too
little, too late ».
Sources et suggestions de lecture :
- Dollar en argent épreuve numismatique édition limitée - 250e anniversaire de la fin de la guerre de Sept Ans. Monnaie royale canadienne. Lien.
- The Fine Art of Tony Bianco. http://tonybiancoart.com/
- French & Indian War Commemoration: 250 Years. (État de la Pennsylvanie). http://www.warforempire.org/
- « La reconstitution est annulée ». Radio-Canada. Le mardi 17 février 2009. Lien.