Les historiens le disent tous : la patate (ou la pomme de terre) n'était pas des plus appréciés en Nouvelle-France. Toutefois, je trouve ça curieux que personne n'ait porté plus d'attention qu'il faut à cet extrait des archives. Certes, il est clair qu'on s'en est servis dans les écrits portant sur l’alimentation coloniale, mais je trouve que la lecture entière de la source est fascinante et mérite un second coup d’œil en entier. Je vous présente donc la lettre du gouverneur Vaudreuil et l’intendant Bigot au sujet de leurs efforts d’implanter ce savoureux tubercule (opinion personnelle!) en Nouvelle-France :
Canada. À Québec Le 8 aoust 1758
M.rs De Vaudreuil [et] Bigot
Monseigneur,
Nous répondons à la lettre dont vous nous avés honorés le 24. fevrier dernier, par laquelle vous nous faites part d’un avis qui vous a été donné à l’occasion de la culture des patates ou pommes de terre. Elles sont Connües En Canada; mais l’habitant n’en a jamais cultivé, parce qu’il est accoutumé au pain de froment. Un Seul Particulier en a fait venir de France, qu’il a semé sur sa terre, il a reconnu qu’elles produisent beaucoup avec très peu de soin, M. Bigos en a eû de lui quelques Centaines, il les a distribuées aux accadiens Établis sur des terres, ils en connaissent l’utilité car ils les ont plantées.
Cette plante produiroit une ressource En Canada si on la cultivoit en certaine quantité, les habitans n’en mangeroient point dans les commencement par l’habitude où ils ont toujours été d’avoir de bon pain; mais ils en feroient usage pour leurs bestiaux; Si la disete continue à se faire sentir, ils seroient bien forcés d’y avoir recourt.
Legrand point seroit d’en repandre dans la colonie Et il faudroit pour cela En Envoyer de france une quantité, M. Bigot en comprendra sur son Etat de demandes. Les habitans Etablis sur des terres nouvelle en viveroient en attendant qu’ils puissent avoir du défrichement pour semer des grains.
On ne doit pas craindre que l’habitans néglige la culture du blee pour celle de la patate. il ny aura que les misérables qui vivront de la derniere en attendant qu’ils puissent faire mieux, d’ailleurs la patate ne procurera jamais d’argent aux habitants et comme il leur en faut, ils donneront toujours La préferance à la culture du blee, qui a une valeur assurée.
Vous nous recommandés, Monseigneur, d’Examiner s’il conviendrait de laisser introduire la culture des patates chés les nations Sauvages par la crainte qu’Elles ne se détachassent de nous, Cette Culture qui ne demande aucun soin pouvant les faire vivre sans nôtre secours.
Nous ne pensons pas que cette Culture pût leur occasionner de se Séparer des françois, Ce n’est pas le besoin des Vivre qui nous les attache, puisque dans les Postes et dans leurs Villages ils ne vivent que de leur pêche ou de leur chasse ou du maïs qu’ils Sement : ils n’ont recours à nous que pour les munitions de Guerre Et leur habillement, Et ils ne nous demandent des vivres, pour Eux et leur familles, que lors qu’ils Sont employés pour le Service du Roy, ou qu’ils viennent dans les villes pour affaires.Nous sommes avec un profond respect,
Monseigneur,
Vos très humbes et très
obéïssants serviteurs,[signé :] Vaudreuil [&] Bigot
Source : Archives des Colonies, Série C11A, Vol. 103, F°6 à 7v.
N.B. Je rappelle au lecteur que la patate était déjà adoptée par les Britanniques. À l’appuis, voici une autre source trouvée accidentellement alors que je cherchais de quoi qui n’a rien à voir avec l’alimentation : PRO, War Office 34, Vol. 2, F°45v. Thomas Gage à Amherst. À Montréal, le 23 janvier 1762. Gage y mentionne qu’il a fait envoyer des patates aux troupes, mais qu’elles ont été ruinées par le gel.
N.B. #2 Pour les intéressés, je vous suggère la lecture de ces quatre livres au sujet de l’alimentation en Nouvelle-France :
AUDET, Bernard. Se nourrir au quotidien en Nouvelle-France, Québec, GID, 2001. 367 p.
BIZIER, Hélène-Andrée et Robert-Lionel Séguin. Le menu quotidien en Nouvelle-France, Montréal, Art Global, 2004. 124 p.
DESLOGES, Yvon. À table en Nouvelle-France : Alimentation populaire, gastronomie et traditions alimentaires dans la vallée laurentienne avant l’avènement des restaurants. Québec, Septentrion, 2009. 232 p. (Le meilleur titre à lire sur le sujet)
FOURNIER, Martin. Jardins et potagers en Nouvelle-France : Joie de vivre et patrimoine culinaire. Québec, Septentrion, 2004. 243 p.