J'allais oublier de vous partager ce vidéo que nous avions préparé pour l'Halloween!
Vous pouvez d'ailleurs consulter le document que je présente ici (cote: TP1,S777,D117).
J'allais oublier de vous partager ce vidéo que nous avions préparé pour l'Halloween!
Vous pouvez d'ailleurs consulter le document que je présente ici (cote: TP1,S777,D117).
La reconstitution de Plymouth au XVIIe siècle Plimoth Patuxet Museums |
Quoi de mieux avant le grand départ qu’un
petit (gros) déjeuner au Buffet de l’antiquaire sur la rue Saint-Paul à Québec!
Après une dernière gorgée de café avalée goulûment et un dernier coup d’œil
préparatif sur nos cartes routières, nous voilà en route vers la Beauce pour
rejoindre la frontière avec le Maine.
Suivant essentiellement la rivière Kennebec, nous traversons enfin la frontière. Je confirme : l’atmosphère et l’environnement du Maine reflètent très bien l’État tel qu’imaginé par Stephen King. Ne me méprenez pas : je ne dis pas que le Maine est laid et lugubre, mais il est tout de même vrai que les heures passées à y conduire dans la pluie, entouré d’épinettes, stimulent facilement n’importe quelle imagination avec le moindre penchant pour le macabre.
Photo: Rénald Lessard |
Une fois ma nouvelle garde-robe d’automne
achetée, nous nous dirigeons à Newmarket, au New Hampshire, pour y dormir chez
une amie.
Strawbery Banke |
Pitt Tavern |
Le site historique de Strawbery Banke a
également le mérite de bien expliquer la menace que pose le changement
climatique sur sa pérennité. En effet, le site est à risque d’inondations.
Pire, en l’absence d’intervention, il peut tout aussi bien se retrouver sous l’eau
avec la montée des niveaux des océans. Présentée en tandem avec une réflexion
sur l’importance de conserver un tel site, l’exposition à ce sujet est à émuler
chez nos propres sites historiques menacés par les changements climatiques (je
songe à Louisbourg, entre autres).
Photo: Rénald Lessard |
À la rencontre des Pilgrims... |
Départ pour Plymouth, Massachusetts. C’est
où, en 1620, les 102 passagers du Mayflower
fondèrent une nouvelle colonie. Surnommés les Pilgrims, ceux-ci (comprenant plus d’une trentaine de puritains
séparatistes) sont de loin les plus célèbres « fondateurs » des
colonies anglaises en Amérique. Leur place dans la mémoire populaire américaine
occulte même la fondation de Jamestown, qui a pourtant lieu 13 ans plus tôt en
Virginie.
Nous avons le bonheur d’être accueillis et
hébergés chez le cousin de notre amie. Celui-ci s’avère tout un ambassadeur
pour sa ville. La fierté qu’il lui accorde est contagieuse, et avec raison :
je découvre rapidement que l’idée que je m’étais faite de Plymouth tombait
complètement à côté de la coche.
Il faut comprendre que, grâce aux émissions
américaines à la télé, j’ai grandi en toute connaissance du poids symbolique et
historique accordé aux Pilgrims par les Américains. Cette révérence est
particulièrement vraie à l’approche de leur Thanksgiving
au mois de novembre. Par la même,
j’étais également devenu familier avec les excès de ce qu’on peut appeler (en
empruntant le terme anglais) le pageantry
de la mythologie fondatrice des États-Unis.
Et pourtant! D’une part, je ne connaissais
rien à rien de l’actuelle ville de Plymouth, mais de l’autre, je m’attendais
certainement à me trouver plongé dans un décor de kitch bleu-blanc-et-rouge,
entouré de chapeaux de Pilgrims boboches, de dindons disneyfiés et, enfin, de
médiocres stéréotypes d’Autochtones dans chaque vitrine de commerce… L’image
parfaite de la mythistoire américaine selon les mentalités des années 1950,
quoi.
L'histoire autochtone retrouve sa place. |
Plymouth, à l'intersection de l'histoire et la "mythistoire". |
Monument dédié aux Pilgrims morts pendant l'année de fondation de Plymouth. |
Plimoth Patuxet Museums |
Des reconstituteurs historiques exceptionnels... |
...et de la poutine douteuse! |
Le Mayflower II |
Plymouth Rock peut laisser l'impression d'être un peu moins grandiose que sa légende... |
La pierre pèse tout de même dix tonnes! |
L'emplacement de Plymouth Rock aujourd'hui. |
Le tracé du village original. |
La maison Jabez Howland |
Le foyer impressionnant de la maison |
Le cimetière de Plymouth |
Pilgrim Hall Museum |
Exposition sur les possessions des Pilgrims. |
Exposition sur l'histoire des Pilgrims. |
Une des nombreuses représentations imaginées de l'arrivée des Pilgrims sur Plymouth Rock (décidément plus gros que son incarnation moderne!). |
National Monument to the Forefathers |
Un monument dédié à l'émission "Ma sorcière bien-aimée", érigée à Salem en 2005, non sans soulever une légère controverse alors que la ville jongle déjà avec son identité de "Witch City". |
Le Peabody Essex Museum (Photo: Rénald Lessard) |
Exposition sur le procès de sorcellerie de 1692. |
"Trial of George Jacobs, August 5, 1692" Par Tompkins Harrison Matteson, 1855. Peabody Essex Museum. |
Détail de "Examination of a Witch" Par Tompkins Harrison Matteson, 1853 Peabody Essex Museum |
Avant de quitter le Peabody Essex Museum,
je fais mes habituels achats de livres. Pour quiconque s’intéresse au procès
des sorcières de Salem, je recommande fortement le livre A Storm of Witchcraft d’Emerson W.
Baker.
La Rope's Mansion, célèbre grâce au film Hocus Pocus (1993) |
La "Witch House", maison du juge Corwin. |
Intérieur de la maison. |
Alors qu’on quitte Salem pour remonter vers
le nord, je me promets de revenir. Le centre-ville est peut-être un gros
attrape-touriste en effet, mais Salem mérite quand même un peu de temps passé
sur place (à la condition de trouver un hébergement beau-bon-pas-cher pour au
moins deux jours). Avec un peu de recherche à l’avance, il est possible de voir
le côté historique de la ville qui se cache derrière son visage de Witch City.
Départ dans la chaleur naissante. Direction Ouest, s’éloignant de Newport où nous avons passé une dernière nuit. En chemin, nous prenons plaisir à écouter du Gordon Lightfoot et du CANO. Notre dernière destination est Deerfield, au Massachusetts. Le lieu a une place privilégiée dans l’histoire des rivalités franco-anglaises grâce à un triste événement qui y a eu lieu en 1704. Pour citer Gilles Havard et Cécile Vidal dans leur Histoire de l’Amérique française (p. 112) :
Si la neutralité iroquoise, décrétée en 1701, permit au New York de ne pas subir de raids meurtriers pendant la nouvelle guerre [de Succession d’Espagne], il n’en fut pas de même pour les autres régions. Les Français attaquèrent les établissements anglais de Terre-Neuve depuis leur base de Plaisance et, surtout, ils continuèrent de harceler les frontières de la Nouvelle-Angleterre pour protéger l’Acadie qui, en dépit de l’alliance des Abénaquis et des Micmacs, était le maillon faible de l’Empire français. En février 1704, par exemple, 48 soldats et miliciens français [dirigés par Jean-Baptiste Hertel de Rouville] et 200 Indiens (des Abénaquis de Saint-François, des Iroquois de Kahnawake, près de Montréal, et des Hurons de Lorette, près de Québec) attaquèrent la petite ville de Deerfield, tuant une cinquantaine d’hommes et emportant 112 captifs. Parmi eux, la jeune Eunice Williams, sept ans, qui sera adoptée et passera le reste de sa vie parmi les Iroquois de Kahnawake. Cette « petite guerre » radicalise l’hostilité des colons anglo-américains, qui en appellent au soutien de la reine Anne.
Arrivée à Deerfield. Il y fait 32 degrés. Je
vis mal la chaleur en général, mais me voilà assez inconfortable alors que le
préposé au centre d’accueil nous explique médiocrement ce qu’il y a à voir sur
le site. Je ne connaissais déjà rien au sujet de ce qui nous attendait, et une
fois que l’homme a terminé, j’ai l’impression d’en connaître à peine plus.
Photo: Rénald Lessard |
Cette caricature me fait bien sourire! |
J’espère ne pas avoir été trop chiâleux par
rapport à la température : décidément, j’étais sur le bord d’un coup de
chaleur. Le souper, un repos bien mérité à l’hôtel et une plongée dans sa
piscine règlent rapidement mon problème.
Levée vers 7h30. Excellent déjeuner à l’hôtel
(saucisses, œufs, etc.). Remarque : le yogourt américain est excessivement
sucré.
Nous passons un matin agréable à discuter sur
l’histoire comparative entre la Nouvelle-France et la Nouvelle-Angleterre.
La porte de la Maison Sheldon a résisté aux attaquants de 1704. |
Le retour sur le site de
Deerfield a été grandement profitable et plus riche que la visite d’hier. Au
fait, notre voyage entier fut la somme de belles coïncidences, de corrections de
parcours et d’improvisations qui ont été agréables et profitables.
En somme, cette visite de la
Nouvelle-Angleterre a grandement nourri mon imagination et mes réflexions sur l’histoire
comparative et le choc entre l’histoire et la mémoire. Longer la rivière
Kennebec sur l’aller et ensuite la rivière Connecticut sur le retour m’ont
également permis de baliser dans mon esprit les connaissances géographiques
nécessaires pour mieux comprendre de nombreux événements des xviie et xviiie siècle.
J’arrive enfin à mon appartement vers 22h.
Il y fait 29 degrés. Dieu merci pour l’air climatisé. Déballant mes souvenirs
et ma pile de nouveaux livres pour les admirer une dernière fois avant de me
reposer, je m’écrase dans mon lit, heureux et satisfait. Du moins, jusqu’à mon
prochain voyage!
"Plan désignant l’endroit où se faisait la pêche aux marsouins dans une partie du fleuve Saint-Laurent en face de la seigneurie Verbois. On peut y voir le site de fréquentation des bélugas, l’emplacement de la pêche à la fascine, le relief et les limites de la marée haute, 1728. ARCHIVES NATIONALES À QUÉBEC (P600,S4,SS2,D25) AUTEUR : L. PEYRE." |
Cette semaine, j'ai le plaisir de vous partager mon tout premier article pour le Journal de Québec: "[EN IMAGES] Voici cinq choses à savoir sur l’évolution de notre relation avec le béluga". Vous pouvez lire l'article en visitant ce lien: https://www.journaldequebec.com/2023/10/08/levolution-de-notre-relation-avec-le-beluga
Bonne lecture!
[Je remercie Pierre Dubeau qui m’a inspiré l’idée de cet article de blogue après avoir lu un extrait des Relations des Jésuites qu’il partagea sur le groupe Facebook Nouvelle-France.]
« Leaf with thirteen mosquitoes », Anselmus Boëtius de Boodt, 1596-1610. Rijksmuseum [Lien] |
Qui dit été, dit vacances, soleil, barbecues et bien sûr… moustiques! Chez nous au Canada, nous parlons plutôt de « maringouins ». D’où vient cette différence avec le français standard? Selon le Grand dictionnaire étymologique & historique de Larousse, le mot maringouin provient du Brésil et serait une déformation de « mbarigui », terme tupi-guarani. Bref, il s’agit d’un nom bien américain. Le Dictionnaire de l’Académie françoise de 1762, quant à lui, nous donne ces deux définitions :
MOUSTIQUE. f. f. Petit insecte d’Afrique & d’Amérique, dont la piqûre est très-douloureuse, & laisse sur la peau une tache semblable à celle du pourpre. Les Moustiques sont en très-grand nombre sur les rivages de la mer, à l’abri des vents.[1]
MARINGOUIN. f. m. Sorte de moucheron qui ressemble au cousin, & qui est fort commun dans l’Amérique. Dans ce pays-là on est fort incommodé des maringouins.[2]
Quoique les deux termes soient utilisés sous le Régime français, un troisième l'est souvent également : on compare souvent nos petits vampires ailés
aux « cousins » retrouvés en France. Dans son histoire de la
Nouvelle-France de 1744, François-Xavier
Charlevoix indique que les moustiques « sont des Cousins un peu plus
gros que les nôtres » qui apparaissent « dès que l’Air commence à s’échauffer[3] ».
Et selon la région où l’air se chauffe particulièrement, le maringouin apporte
un autre lot de problèmes…
Les visiteurs de la Nouvelle-France sont unanimes :
par son nombre, l’insecte est un véritable fléau. Alors que le moustique est un
vecteur de maladies dans plusieurs pays, le Canada, par son climat froid, semble
heureusement largement épargné par les maladies qui sont typiquement associées aux
espèces plus tropicales. Pour citer l’historien Rénald Lessard :
Si le typhus constitue un fléau qui frappe à plusieurs reprises, surtout Québec et ses environs, il semblerait que la fièvre jaune, à l’opposé, n’ait touché le Canada qu’une seule fois. Le mode de transmission propre à cette maladie expliquerait sa relative absence du Canada et fait même douter d’une réelle présence. En effet, le vecteur de la fièvre jaune est la femelle d’un moustique (aedes aegypti) qui exige une température chaude et humide pour se développer. L’insecte ne peut vivre que quelques jours sans eau et ne pique que lorsque la température est supérieure à 17°C. Au Canada, le climat est un frein à la propagation de la maladie et le réservoir du virus ne peut être que l’homme ou le moustique lui-même. Or, l’homme ne peut contaminer le moustique que durant les trois à six jours qui suivent le début de l’infection, soit durant le temps où le virus se trouve dans le sang. La présence de l’insecte est essentielle pour transmettre la maladie d’un homme à un autre.[4]
Dans le sud de la Nouvelle-France, c’est
une tout autre question. En Louisiane, la fièvre jaune frappe régulièrement aux
xviiie et xixe siècles, et au moins une
fois sous le Régime français à La Nouvelle-Orléans en 1739[5].
Rappelons par la même que la fièvre jaune se propage plus facilement dans les colonies
britanniques[6]. En effet, pour s’en tenir qu’à un
seul exemple, rappelons qu’à la même époque, les maringouins irritent les
citoyens de Philadelphie. De plus,
selon le journal de Warren Johnson écrit en 1760, ils ne sont pas seuls :
« Flies & Musketoes are troublesome beyond Naming; the common flie,
worse than the horse fly with us, and continues to the End of November[7]. »
Revenant à la Nouvelle-France, nul besoin
de rejoindre le climat subtropical de la Basse-Louisiane non plus pour
retrouver les conditions favorables aux maladies transmises par les maringouins :
à partir du Pays des Illinois (couvrant de nos jours entre autres les États de
l’Illinois et du Missouri), le paludisme (malaria) frappe régulièrement les
populations locales. Par exemple, pour fuir cette maladie « et les
dépenses de rénovation excessives, toutes deux liées aux inondations [du
Mississippi][8] »,
les Britanniques vont rapidement abandonner le fort de Chartres en 1771,
quelques années à peine après l’avoir obtenu des Français après le traité de
Paris. Contrairement à la fièvre jaune, causée par un virus, le paludisme est
causé par un protozoaire qui parasite l’homme par l’entremise du moustique. D’ailleurs,
rappelons que de nos jours, la malaria n’existe plus aux États-Unis suivant la
fondation, en 1946, de la Center for Disease Control (CDC) dont la mission
initiale ciblait justement cette maladie.
N’empêche, au-delà du potentiel
pestilentiel du moustique, c’est sa nature hématophage qui en fait la notoriété
en Nouvelle-France, et ce, dès la fondation de cette dernière…
En 1613, l’année de
son quatrième voyage en Nouvelle-France, Champlain pénètre l’intérieur du
continent aussi loin que la frontière actuelle entre le Québec et l’Ontario. Se
reposant dans la région des lacs Jeffreys et Olmstead, il témoigne plus tard
par écrit : « Ainsi nous nous reposâmes sur le bord d’un étang, qui était
assez agréable, et fîmes du feu pour chasser les moustiques qui nous molestaient
fort, l’importunité desquels est si étrange qu’il est impossible d’en pouvoir
faire la description[9]. »
Dans sa Briève
relation du voyage de la Nouvelle-France, le père Paul Le Jeune
note quelques observations sur la bestiole lors de son passage à Tadoussac en
1632. D’ailleurs, il est intéressant de noter que Le Jeune différencie
entre le maringouin et le moustique, pourtant synonymes aujourd’hui. [Note :
la typographie de cet extrait, ainsi que tous ceux tirés des Relations des Jésuites ci-dessous, fut
quelque peu modernisée où nécessaire pour en faciliter la lecture.]
Le 3. jour de juillet nous sortîmes de Tadoussac, & nous allâmes mouiller à l’échafaud aux Basques, c’est un lieu ainsi appelé, à cause que les Basques viennent jusques là pour prendre des baleines. Comme il estoit grand calme, & que nous attendions la marée, je mis pied à terre : je pensay estre mangé des maringoins, ce sont petites mouches importunes au possible; les grands bois qui sont icy en engendrent de plusieurs espèces; il y a des mouches communes, des mousquilles, des mouches luisantes, des maringoins, & des grosses mouches, & quantité d’autres : les grosses mouches piquent furieusement, & la douleur qui provient de cette piqueure, & qui est fort cuisante, dure assez long temps, il y a peu de ces grosses mouches; les mousquilles sont extrêmement petites, à peine les peut-on voir, mais on les sent bien; [...] Pour les maringoins c’est l’importunité mesme, on ne sçauroit travailler notamment à l’air pendant leur règne, si on n’a de la fumée auprès soy pour les chasser : il y a des personnes qui sont contraintes de se mettre au lit venans des bois, tant ils sont offensez. J’en ay veu qui avoient le col, les joües, tout le visage si enflé, qu’on ne leur voyoit plus les yeux; ils mettent un homme tout en fang quand ils l’abordent; ils font la guerre aux uns plus qu’aux autres; Ils m’ont traité jufques icy assez doucement, je n’enfle point quand ils me piquent, ce qui n’arrive qu’a fort peu de personnes si on y est accoustumé : si le païs estoit essarté [c’est-à-dire défriché en arrachant les bois] & habité, ces bestioles ne s’y trouveroient point; car defia il s’en trouve fort peu au fort de Kebec, à cause qu’on couppe les bois voisins.[10]
Sans nous contenter
du témoignage seul de Le Jeune parmi les écrits des Jésuites, une
recherche numérique du mot « maringouin » décèle plus d’une
cinquantaine de résultats dans leurs Relations.
Examinons quelques extraits intéressants.
Pendant son premier voyage vers le Mexique,
le père Jacques
Marquette écrit ces lignes en 1673 alors qu’il se trouve au Pays des
Illinois :
Jusqua présent nous n’avions point estez incommodés [par] Les maringouins, mais nous entrons comme dans leur pays. Voicy ce que font les sauvages de ces quartiers pour s’en deffendre; ils élèvent un eschaffault dont le plancher n’est fait que de perches, et par conséquent est percé à jour affinque [à fin que] la fumée du feu qu’ils font dessous passe au travers et chasse ces petitz animaux qui ne la peuvent supporter, on se couche sur les perches au dessus desquelles sont des escorces [écorces] estendües [étendues] contre la pluye. Cet eschaffault leur sert encor contre Les chaleurs excessives et Insupportables de ce pays, car on s’y met à 1’ombre à 1’estage d’en bas, et on si [s’y] garantit des rayons du soleil, prenant le frais du vent qui passe librement autravers de cet eschaffault.
Dans le mesme dessein nous fusmes contraincts de faire sur L’eau une espace [espèce] de cabane avec nos voiles pour nous mettre à couvert et des maringouins et des rayons du soleil […][11].
Le père Jacques
Gravier écrit en 1702 dans la relation de son voyage entre le Pays des
Illinois et l’embouchure du fleuve Mississippi :
On ne pourroit pas faire le premier etablissement en un lieu où il y eût plus de Maringouins qu’icy; Il y en a pendant presque toute l’année. À la vérité ils nous ont donné un peu de trèves 7 ou 8 jours, mais à l’heure qu’il est Ils me picquent bien serré et dans le mois de décembre, qu’on n’en devroit estre importuné, il y en avoit une si furieuse quantité, que je ne pouvois écrire un mot, que je n’en eusse les mains et le visage tout couvert et qu’il m’étoit impossible de dormir pendant la nuit, j’en ay été si incommodé à un œil que j’ay pensé le perdre. Les françois de ce fort me disoient que depuis le mois de mars, il y en a une si prodigieuse quantité que 1’air en est tout couvert et que l’on ne s’entrevoit pas à dix pas les uns des autres, Je reste icy jusqu’à l’arrivée de Mr. D’Iberville cõme je m’y Suis en quelque facon obligé, pour servir d’aumonier aux françois qui sont en ce poste et dont plusieurs sont Canadiens. J’ay bien à souffrir de ces Importuns Cousins Jusqu’au mois de may, et encore plus en remontant le fleuve, puisque je ne le pourray faire que lors qu’il y en aura une Si grande quantité, que l’on ne pourra ny reposer de nuit ny mettre à terre de Jour pour faire cuire du bled d’Inde sans en estre devoré, Dieu Soit beni de tout, Je dois estre content de tout, quoy qu’il m’en couste, pourveu que ce voiage de plus de mille Lieües que J’ay entrepris par le bien de nos missions den haut leur puisse estre utile à quelque chose aussi bien que mon retardement qui n’est que pour me mieux assurer de la vérité priez Dieu pour nous mon R. Père [...].[12]
Enfin, notons le père
Gabriel Marest qui accompagne d’Iberville à la Baie d’Hudson en 1694 :
« il y a encore tant de Maringouins
ou cousins, que vous ne sauriez sortir sans en être couvert et piqué de tous
côtés. Ces moucherons sont ici en plus grand nombre et plus forts qu’en Canada[13] »
(Rappelons que le Canada désigne à l’époque plus ou moins la vallée du
Saint-Laurent et la région des Grands Lacs.)
Dans ce qui précède, nous avons vu que les moustiques
importunent les gens qui travaillent à l’extérieur. Les militaires ne sont pas
épargnés. En 1666, Jean Talon écrit un mémoire
au lieutenant général Alexandre de Prouville de
Tracy et le gouverneur Daniel Rémy de Courcelle pour soulever les
problèmes qui attendent le régiment de Carignan-Salières : « [...]
outre les chaleurs extraordinaires, les piqures de Maringouins causent de si
[fascheuses] enflures, qu’elles rendent quelques fois un soldat inutile au combat
[...][14]. »
En septembre 1757, le militaire britannique
John Knox
témoigne des misères vécues par lui et ses hommes en Nouvelle-Écosse. Entre autres, il se plaint des moustiques :
« We are tormented here, both day and night, with myriads of musketa’s, which
are so immensely troublesome, that we are obliged to have recourse to various
expedients to defend ourselves from them[15]. »
Le 7 août 1750, alors qu’il est posté au camp de la chute Montmorency pendant
la campagne contre Québec, il remarque le plaisir de ne plus se faire harceler
par les maringouins comme en Acadie : « We esteem ourselves very
happy in this country, having no fogs as in Nova Scotia, nor are we tormented
with musketa’s: we have myriads of the common black window fly, which, though
they have no sting, are nevertheless troublesome in tainting our victuals[16]. »
Décidément, l’observation de Le Jeune sur Québec
tient encore, plus d’un siècle plus tard; quoiqu’il soit tout aussi vrai que la
saison des moustiques se fait tardive une fois rendue au mois d’août. Lors de
sa visite à l’Hôpital Général de Québec, Knox note que l’été, les fenêtres sont
laissées ouvertes et que les patients ont droit à une espèce d’éventail pour à
la fois se rafraîchir et pour éloigner les mouches qui, par la proximité de l’institution
à la rivière Saint-Charles, « are numerous and troublesome[17] ».
Enfin, notons que la Marine s’inspire de la
redoutable réputation de l’insecte en baptisant leur plus récent brigantin Le Maringouin[18].
Au moment d’écrire ces lignes (2023), la saison des feux de
forêt au Québec et en Ontario venait à peine de commencer et pourtant avait
déjà battu le record des dernières années du nombre d’hectares consommés. En ce
qui concerne la Nouvelle-France, il est intéressant de noter qu’il arrive d’imputer
la source des feux de forêt aux maringouins! Dans une lettre au ministre, l’intendant
Hocquart écrit de Québec
en 1733 :
J’avois déjà conferé [dès] l’année dernière avec M. Le général sur les moyens à prendre pour empescher Les feux de courir dans les bois, et nous avions dabord pensé de rendre une ordonnance qui prononceroit des peines contre les autheurs de ces grandes incendiës; Mais dans L’examen que nous avons fait, nous avons reconnu que Ces indendies arrivent fortuitement et non par la faute de ceux qui défrichent les Terres. Ce sont les voyageurs et chasseurs tant françois que sauvages qui estant obliges de camper dans les bois, y allument des feux non seulement pour y faire cuire leurs vivres, mais aussy pour se garantir de L’incommodité des insects qu’on appelle dans ce Pays maringouins dont ils ne peuvent se préserver que par le moyen des fumées.[19]
Terminons cette petite visite des archives
du Régime français avec le témoignage qui, de loin, est celui qui peste le plus
contre cette peste! Ce qui suit provient de la plume acerbe du père Paul du
Poisson, missionnaire aux Arkansas en 1727 :
Mais le plus grand supplice sans lequel tout le reste ne seroit qu’un jeu; mais ce qui passe toute croyance, ce que l’on ne s’imaginera jamais en France, à moins qu’on ne l’ait expérimenté, ce sont les maringouins, c’est la cruelle persécution des maringouins. La plaie d’Égypte, je crois, n’étoit pas plus cruelle : Dimittam in te et in servos tuos et in populum tuum et in domos tuas omne genus muscarum, et implebuntur domus Ægyptiorum muscis diversi generis, et universa terra in quâ fuerint [« J’enverrai des mouches de toutes sortes sur toi et sur tes serviteurs et sur ton peuple et sur tes maisons, et les maisons des Égyptiens seront remplies de mouches de toutes sortes, et tout le pays où ils ont été » (Google translate)]. Il y a ici des frappe-d’abord; il y a des brûlots; ce sont de très petits moucherons, dont la piqûre est si vive ou plutôt si brûlante, qu’il semble qu’une petite étincelle est tombée sur la partie qu’ils ont piquée. Il y a des moustiques; ce sont des brûlots, à cela près qu’ils sont encore plus petits; à peine les voit-on, ils attaquent particulièrement les yeux; il y a des guêpes; il y a des taons; il y a, en un mot, omne genus muscarum [toutes sortes de mouches]: mais on ne parleroit point des autres sans les maringouins : ce petit animal a plus fait jurer depuis que les François sont au Mississippi, que l’on n’avoit juré jusqu’alors dans tout le reste du monde. Quoi qu’il en soit, une bande de maringouins s’embarquent le matin avec le voyageur. Quand on passe à travers les saules ou près des cannes, comme il arrive presque toujours, une autre bande se jette avec fureur sur la pirogue, et ne la quitte point. Il faut faire continuellement l’exercice du mouchoir, ce qui ne les épouvante guère; ils font un petit vol, et reviennent sur le champ à l’attaque; le bras se lasse plutôt qu’eux. Quand on met pied à terre pour dîner depuis dix heures jusqu’à deux ou trois heures, c’est une armée entière que l’on a à combattre. On fait de la boucane, c’est-à-dire, un grand feu, que l’on étouffe ensuite avec des feuilles vertes; il faut se mettre dans le fort de la fumée, si l’on veut éviter la persécution : je ne sais lequel vaut mieux du remède ou du mal. Après dîné, on voudroit faire un petit sommeil au pied d’un arbre : absolument impossible : le temps du repos se passe à lutter contre les maringouins. On se rembarque avec eux. Au soleil couchant on se remet à terre; aussitôt il faut courir pour aller couper des cannes, du bois et des feuilles vertes pour faire son baire, la chaudière et la boucane : chacun y est pour soi. Alors ce n’est pas une armée, ce sont plusieurs armées que l’on a à combattre; c’est le temps des maringouins, on en est mangé, dévoré; ils entrent dans la bouche, dans les narines, dans les oreilles; le visage, les mains, le corps en sont couverts; leur aiguillon pénètre l’habit, et laisse une marque rouge sur la chair, qui enfle à ceux qui ne sont pas encore faits à leur piqûre. Chicagon, pour faire comprendre à ceux de sa nation la multitude des François qu’il avoit vus, leur disoit qu’il y en avoit autant dans le grand village (à Paris) que de feuilles sur les arbres et de maringouins dans les bois. Après avoir soupé à la hâte, on est dans l’impatience de s’ensevelir sous son baire, quoique l’on sache qu’on va y étouffer de chaleur. Avec quelque adresse, quelque subtilité qu’on se glisse sous ce baire, on trouve toujours qu’il y en est entré quelques-uns, et il n’en faut qu’un ou deux pour passer une mauvaise nuit.
Telles sont les incommodités du voyage mississipien. Combien de voyageurs les souffrent pour un gain souvent très modique![20]
Notons que le père Du Poisson sera tué par
les Natchez le 28 novembre 1729[21].
Petit souvenir de voyage en arrivant au fort Michilimackinac en 2013... |
[1] Académie française, Dictionnaire de l’Académie françoise, Tome 2,
Paris, Veuve B. Brunet, 1762, p. 182.
[2] Académie française, Dictionnaire de l’Académie françoise, Tome 2,
Paris, Veuve B. Brunet, 1762, p. 97.
[3] François-Xavier Charlevoix,
Histoire et description générale de la Nouvelle France, Tome 3, Paris, chez Pierre-François
Giffart, 1744. p. 291
et 339.
[4] Rénald Lessard, Au temps de la petite vérole : la
médecine au Canada aux xviie
et xviiie siècles,
Québec, Septentrion, 2012, p. 41-42.
[5] Marie Antoinette Menier,
Étienne Taillemite et Gilberte de Forges,
Correspondance à l’arrivée en provenance de la Louisiane. Tome 1, Paris, Archives Nationales,
Inventaire des Archives coloniales, 1976, p. 313.
[6] Voir à nouveau Lessard,
Au temps de la petite vérole,
p. 42.
[7] Warren Johnson,
« Journal of Warren Johnson », dans Milton W. Hamilton et Albert B. Corey
(dir.), The Papers of Sir William Johnson. Vol. 13, Albany, University of the State of New York, 1962, p. 182.
[8] Joseph Gagné, Inconquis.
Deux retraites françaises vers la Louisiane après 1760, Québec,
Septentrion, 2016, p. 101.
[9] Éric Thierry, Les
œuvres complètes de Champlain. Tome 1 : 1598-1619,
Québec, Septentrion, 2019, p. 444.
[10] Reuben Gold Thwaites, The Jesuit Relations and Allied Documents:
Travels and Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, 1610-1791. Vol. 5:
Québec 1632-1633, Cleveland, The
Burrows Brothers Company, 1897, p. 34-36.
[11] Reuben Gold Thwaites, The Jesuit Relations and Allied Documents:
Travels and Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, 1610-1791.
Vol. 59: Lower Canada, Illinois, Ottawas 1673-1677, Cleveland, The
Burrows Brothers Company, 1900, p. 146.
[12] Reuben Gold Thwaites, The Jesuit Relations and Allied Documents:
Travels and Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, 1610-1791. Vol. 65:
Lower Canada, Mississippi Valley 1696-1702, Cleveland, The Burrows Brothers
Company, 1900, p. 176.
[13] Reuben Gold Thwaites,
The Jesuit Relations and Allied Documents: Travels and Explorations of the
Jesuit Missionaries in New France, 1610-1791. Vol. 66: Illinois,
Louisiana, Iroquois, Lower Canada, 1702-1712, Cleveland, The Burrows
Brothers Company, 1900, p. 112-114.
[14] ANOM,
Colonies, C11A 2, F°209v. À Québec, le 1er septembre 1666.
Mémoire
de Talon à Tracy et Courcelle.
[15] John
Knox, An Historical Journal of the
Campaigns in North-America, for the Years 1757, 1758, 1759, and 1760 [Etc.]. Vol. 1, Londres, W. Johnston,
1769, p. 41.
[16] Knox, An Historical Journal, Vol. 2, p. 10.
[17] Knox, An Historical Journal, Vol. 2, p. 154.
[18] ANOM, Colonies, C11A 93, F°392-398v. À Québec, le 24
octobre 1749. Bordereau de la dépense faite en Canada pendant les six derniers
mois de l’année 1748.
[19] ANOM, Colonies, C11A 60, F°44-45.
À Québec, le 3 octobre 1733. Hocquart au ministre.
[20] Charles Le Gobien et al., Lettres édifiantes et
curieuses écrites par des missionnaires de la Compagnie de Jésus, Montréal,
Boréal, 2006, p. 62-64.
[21] Arthur Mélançon, Liste
des Missionnaires-Jésuites. Nouvelle-France et Louisiane, 1611-1800, Montréal,
Collège Sainte-Marie, 1929, p. 84.