Une tout petite mise à jour pour partager que j'ai eu le plaisir de recevoir la bourse en histoire de la Nouvelle-France offerte par mon département d'histoire à l'Université Laval. Ce montant (2000$) va m'aider à continuer la rédaction de ma thèse que j'espère achever cet été.
23 April 2019
Bourse en histoire de la Nouvelle-France
09 April 2019
L'hiver et la guerre de Sept Ans
Les Rogers' Rangers se battent même en hiver |
Bon mois d'avril à mon lectorat! Cette tempête de neige tardive m’inspire à vous partager une section qui sera sans doute coupée de ma thèse, mais qui mérite tout de même une place ici sans trop d'édition.
L’intensité de l’hiver au Canada vaut à ce dernier la
célèbre réputation de n’être que « quelques arpents de neige ». Après
tout, comme le rappellent Colin Coates
et Dagomar Degroot « La Nouvelle-France, selon les Français, ne devait pas
être aussi froide. Située à la même latitude que Paris (presque 49° N), la
colonie aurait dû bénéficier en principe d’un climat relativement similaire[i]. »
Même si l’hiver au xviiie
siècle s’avère plus doux que le siècle précédent[ii],
la réputation en demeure intacte.
Habitant, vers 1780 Musée royale de l'Ontario |
Bougainville
va commenter à plusieurs reprises sur les dangers de l’hiver[vi].
L’hiver en Canada.— L’hiver est toujours très rude en Canada, le froid y est cependant toujours beau et fort sec, pourvu qu’il n’y ait pas de vent de nord-est, qui produit toujours de la neige l’hiver et de la pluie le printemps. Il est aisé de juger de la rigueur de la saison quand on songe que le fleuve Saint-Laurent prend tous les hivers, à pouvoir le traverser en voiture, et la navigation qui cesse d’être libre à la fin de novembre, ne recommence, pour l’ordinaire, que vers le 20 avril ; une année même la rivière était encore prise, vis-à-vis de Québec, au 3 mai. Cet hiver a été un des plus rudes. Le thermomètre a été jusqu’à 26 degrés et demi, et pendant les mois de décembre, janvier et février presque toujours de 12 à 20 ; on ne peut ensemencer les terres qu’à la fonte des neiges, dans le mois de mai ; cependant la récolte, qui, pour l’ordinaire est abondante, se fait à la fin d’aoust.[vii]
Si on peut sourire en lisant Bougainville dépassé par
« le plaisir des femmes de ce pays d’aller en carriole l’hyver sur les
neiges, ou sur les glaces dans des tems où il semble qu’on ne devrait pas même
sortir par nécessité[viii] »,
l’hiver présente tout de même un réel danger pour quiconque se fait surprendre
par une tempête. Même si Bougainville déteste le froid[ix]
(rappelons non sans ironie qu’une île tropicale portera son nom!), sa
description des dangers de l’hiver canadien est juste :
La poudrerie est une neige extrêmement fine qui, tombant du ciel et se joignant à celle que le vent enlève des toits et des chemins, vous enveloppe, aveugle et égare l’homme qui connaît le mieux la route. Quand on est surpris dans les champs par cette poudrerie, l’on peut se regarder comme étant dans un vrai danger. On a des exemples de gens qui, la nuit, à cent pas des maisons, ont péri sans pouvoir les gagner.[x]
Même tôt dans la saison, la neige peut empêcher
l’accomplissement de missions d’observations, comme est le cas de l’officier Langy
en 1756 alors qu’il est envoyé par le chevalier de Lévis espionner les environs
du fort William-Henry. Sans oublier que ces mêmes opérations d’observation
hivernales ne peuvent plus compter sur le même nombre d’homme qu’en été pour
leur venir en aide au besoin; on réduit les garnisons des forts alors que le
gros des troupes retourne hiverner dans la Vallée du Saint-Laurent[xi]. De plus, bien qu’idéalement
tous les soldats doivent recevoir une paire de raquettes[xii],
ils n’en possèdent pas tous[xiii].
L’hiver
n’a pas que des désavantages, toutefois : par exemple, il sert à la
construction de bateaux. En 1752, cinq charpentiers et deux
« sçieurs » sont envoyés au fort Niagara pour y construire (avec l’aide
du forgeron déjà sur place) 15 embarcations[xiv].
Plusieurs charrons sont également envoyés pour « faire faire bonne
provision de roües et de Charettes[xv] ».
D’autre part, les ponts de glace relient plus facilement les deux berges du
fleuve. On se sert également de traînes, fournies par l’armée au besoin, pour
mener les provisions à bien[xvi].
Si l’hiver semble à première vue compliquer la communication par le
tempérament du climat, il peut toutefois la faciliter en plusieurs instances. C’est
plutôt la période de transition qui est plus difficile. L’approche des fontes,
par exemple, attire la méfiance des gens. En hiver, le déplacement en cheval ne se fait que si la glace
est belle. Toutefois, en mars 1757, un détachement qui doit rejoindre le lac
Champlain à partir du fort Saint-Jean se voit obligé de renvoyer ses chevaux et
ses chiens de traîne puisque le dégel s’est avancé[xvii].
Le
témoignage de Mme Bégon nous ouvre une brèche sur les déplacements d’hiver
en temps de paix et de la température qui peut changer soudainement. Le 26
décembre 1748, elle écrit : « je suis tout étourdie du temps qu’il
fait. Je me suis couchée hier avec une pluie très douce et ce matin, il poudre,
neige et fait un froid et une poudrerie comme je n’en ai jamais vu et nous
avons eu bien de la peine à aller, les uns après les autres, à la messe, y
ayant dans les rues de la neige jusqu’au ventre des chevaux[xviii]. »
Le mois suivant, elle soulève le ralentissement ressenti du train train social
causé par la saison : « On est ici très tranquille et il y a
apparence qu’on l’est autant à Québec, car il n’en vient personne. Je crois que
le froid leur fait peur[xix]. »
Toujours est-il que l’hiver facilite le transport sur les
rivières glacées; la population, donc, ne reste pas docile longtemps face au
froid. En février 1749, Mme Bégon note : « Comme la rivière est
prise et assez belle pour venir de près de Québec, ici sur les glaces, nous
voyons de nos fenêtres toutes les traînes et carrioles passer[xx]. »
À son grand dam, la multitude de passants la gêne : « Les carrioles
ont marché une partie de la nuit et à grand bruit, par la pluie qu’il y a eu la
gelée, qui rend les chemins très durs, mais quand la jeunesse est en goût, rien
ne la distrait. [...] Voici enfin le dernier jour [...] où l’on fera tout ce qu’il
faut pour se faire mourir. Je suis si ennuyée d’entendre passer jour et nuit
des carrioles qui m’empêchent de dormir que je voudrais être au carême.[xxi] »
Au mois de mars de la même année, le beau temps menace de mettre fin rapidement à ces déplacements à cause de la fonte des glaces.
Malgré
l’hiver, les opérations militaires continuent. Comme le rapporte Bonin pour le
début de 1754, l’état-major organise une levée d’hommes totalisant 500
« tant troupe que milice ». Le déplacement entre Québec et Montréal
prend 11 jours par voie terrestre. De Montréal, en plein mois de février, le
groupe se déplace toujours à pied, chaque homme portant derrière lui une traîne
(ou traîneau), « étant souvent obligé de passer des rivières dans l’eau en
dérangeant les glaces trop faibles pour se hasarder à passer dessus, ce qu’il
fallait faire en se déshabillant et portant ses hardes sur la tète et après
être passé, se réhabiller bien vite et courir pour s’échauffer, ce qui arrivait
quelque fois trois fois dans une journée. » J.C.B. continu sa description
en spécifiant qu’à l’arrivée sur le lac Ontario, la glace permet à « ceux
qui [savent] patiner [de] conduire sept à huit traînes, à la file les unes des
autres, avec les hommes dessus en faisant de cette manière jusqu’à vingt
lieues ». Ainsi rejoignent-ils la baie de Toronto d’où l’utilisation de
bateaux sur l’eau complète le déplacement jusqu’au fort Niagara[xxii].
En fait, à lire les rapports, une expédition hivernale sans incident vaut la peine d’être mentionnée, comme le fait le gouverneur Duquesne
en mars 1753 au sujet d’un parti rejoignant le village de la
Présentation : « ce Qui m’a infiniment plû […] c’est qu’il n’a pas un
Seul malade Evenement que j’avois a craindre […] par l’inhabitude de faire
marcher une trouppe dans la plus rigoureuse Saison[xxiii]. »
En hiver, les chiens de traîne sont particulièrement utiles. Source : CLUNY, Alexander. The American Traveller […]. Londres, E. and C. Dilly,…, and J. Almon…, 1769. Frontispice. |
Le témoignage de J.C.B. indique que la possession d’un chien pouvait être tolérée par l’armée. Bien au-delà qu’un simple animal de compagnie, dans les conditions parfaites, l’animal peut servir comme bête de traîne sur la neige, portant parfois même son maître derrière lui[xxiv]. Montcalm note dans son journal au sujet des chiens :
Les officiers qui seront les plus heureux seront ceux qui auront le moins cherché leurs commodités et qui, pour n’avoir pas la peine de traîner eux-mêmes, n’ont pris que des gros chiens au lieu de chevaux, qui sont accoutumés à traîner jusqu’à cent cinquante ou deux cents [livres]. Le Roi en passe ordinairement un à chaque officier et le lui paye trente livres; et lorsqu’il doit y avoir des partis d’hiver, ces sortes de chiens deviennent hors de prix, comme les cheveux chez les maquignons. Il s’en est vendu jusqu’à soixante et quatre-vingt livres pièce; et, comme dans cette occasion on agit à l’envie des uns des autres, il a tel officier qui a acheté jusqu’à six chiens.[xxv]
Au sujet de
la traîne, J.C.B. écrit:
La traine est une planche mince de la longueur depuis six jusqu’à neuf pieds, sur douze à quinze pouces de largeur, elle est recourbée par un bout en demi cercle nommé chaperon et auquel on attache une courroie nommée collier, faite de corde de bois de bouleau de la longueur d’environ trois brasses et dont le milieu a une largeur d’environ trois à quatre pouces, sur une longueur de seize à dix huit pouces. Ce collier sert encore à porter une charge et sa largeur du milieu s’appuie sur le front ou en travers sur la poitrine et les épaules quelques fois en écharpe. La traine a dans sa longueur et sur les bords des nerfs en peau d’animaux dans lesquels passent une corde en façon de lacet pour contenir les effets dont on charge la traîne. On peut faire de cette manière deux ou trois cents lieues, tant sur la neige que sur la glace.[xxvi]
Marcher en hiver est une activité hasardeuse. Les pieds
gelés ne sont pas rares. Comment éviter que cela ne se produise? Pouchot
indique qu’on s’inspire des Autochtones :
Dans leurs voyages, les Sauvages se précautionnent contre le froid; leurs souliers, quoique d’une simple peau passée, sont fort chauds, parce que la neige est si seche qu’elle ne donne point d’humidité. Ils s’enveloppent les pieds avec des morceaux de couverte, et les côtés du soulier forment un brodequin qui empêche la neige d’y entrer : les pieds geleraient avec des souliers européens, ce que plusieurs ont malheureusement éprouvé.[xxvii]
Encore une fois, c’est un défi que de chercher à anticiper
l’arrivée et la fin de l’hiver. Le début des neiges varie d’année en année. Par
exemple, en 1757, les
gens se déplacent en carriole dès le 3 novembre[xxviii].
L’année suivante, une première petite neige couvre le sol le 4 octobre[xxix].
Il faut aussi se méfier de se faire surprendre par le gèle et rester
pris dans la glace. Bougainville écrit en novembre 1758 : « Les
bateaux arrivent l’un après l’autre, plusieurs restent pris dans les bancs et
les hommes viennent par terre. On en sait déjà cinq morts de froid et on en
amène tous les jours qui sont gelés. On est fort inquiet de 3 bateaux qu’on a
vus dans le lac Saint-François pris dans les glaces et qu’on paraissait essayer
vainement de secourir.[xxx] »
J.C.B. est d’ailleurs un témoin direct de cette difficile
réalité. Ayant quitté le fort Duquesne le 22 octobre 1758 pour s’en retourner à
Québec, lui et ses compagnons de route sont arrêtés le 12 novembre par le froid
et un « vent de nord […] violent ». Leur bateau est rapidement
paralysé par les glaces du lac Saint-François : « nous restâmes une
bonne heure dans cette situation, pendant laquelle neuf d’entre nous eurent les
pieds gelés ». Jugeant la glace devenue assez solide après de laps de
temps, le groupe rejoint la terre à deux arpents de leur emplacement, non sans
se méfier de la minceur de la glace à certains endroits. « Ce trajet eut
lieu vers minuit, nous traînâmes nos neuf gelés, sans autre secours à attendre
que de notre courage, nous n’en étions pas moins transis de froid en arrivant à
terre où nous ne fûmes pas plus tôt que nous coupâmes du bois pour faire un bon
feu qui nous réchauffa nous et nos gelés le reste de la nuit[xxxi]. »
Une fois le jour arrivé, le froid n’est plus le seul danger
qui guette : le groupe risque de manquer de nourriture avant son arrivée à
Québec, n’ayant apporté des vivres que pour la durée d’un trajet plus rapide
par la voie fluviale et non un voyage terrestre d’autant plus ralenti par la
présence « d’estropiés ». La décision est prise d’envoyer trois
hommes rejoindre un village abénaquis (sans doute le village de
Saint-François-du-Lac) pour chercher de l’aide. En moins de trois jours, un
parti revient avec des vivres et de quoi fabriquer
[…] des brancards pour porter nos blessés qui le furent tour à tour par les Français et les sauvages jusqu’à leur village où nous restâmes cinq jours, après lesquels les Abénaquis nous firent embarquer dans leurs canots et nous conduisirent par les rapides jusqu’à Montréal où nous arrivâmes le 24 du même mois; nos gelés furent aussitôt transportés à l’hôpital où on fut obligé de couper les pieds à cinq d’entre eux, deux moururent à la suite de l’opération.[xxxii]
Bien entendu,
les mésaventures de la sorte existent à l’inverse aussi, où la glace fondante
menace les voyageurs sur sa surface[xxxiii].
La transition entre saisons est rapide, comme note Montcalm :
[…] on passe dans ce climat très vite de l’hiver à l’été; on n’y connaît pas le printemps. Les vents du nord peuvent nous donner quelques petits froids d’ici au 15 mai; les chaleurs de juillet, août, partie de septembre seront insupportables. Le thermomètre est souvent comme dans le royaume de Naple.[xxxiv]
Bref,
si le changement climatique augmente récemment les variations étrange de notre météo d’année en
année, il faut se dire que notre étonnement, quant à lui, ne date pas d’hier!
Bon
printemps!
[i] Colin Coates et Dagomar Degroot, « “Les bois engendrent les
frimas et les gelées” : comprendre le climat en Nouvelle-France », Revue
d’histoire de l’Amérique française, Vol. 68, No. 3‑4 (2015),, p. 198.
[iv] J.C.B. (Édité par l’abbé H.R. Casgrain), Voyage au Canada dans le nord de l’Amérique septentrionale fait depuis
l’an 1751 à 1761 par J.C.B., Québec, Imprimerie Léger Rousseau, 1887, p. 149.
[vi]
Au sujet d’un épisode particulièrement inquiétant, voir : Bougainville, Écrits sur le Canada, pp. 328-329.
[ix]
Il continue de se plaindre le 11 janvier 1757 : « Les chemins sont
presque impraticables, les voitures ne ferment point, c’est un supplice de
s’exposer à l’air. » Bougainville, Écrits sur le
Canada, p. 162.
[xi]
Par exemple, à l’hiver 1756, la garnison du fort Carillon est composée de 315
hommes. François-Gaston de Lévis (Édité
par Robert Léger), Le journal du Chevalier de Lévis, Montréal,
Éditions Michel Brûlé, 2008, p. 58.
[xiv] Varin à Contrecœur. À Montréal, le 3
octobre 1752, dans Fernand Grenier (dir.), Papiers Contrecœur et autres documents concernant le conflit
anglo-français sur l’Ohio de 1745 à 1756. Vol. 1, Québec, Presses de l’Université
Laval, 1952, p. 13 et Varin
à Contrecœur. À Québec, le 4 octobre 1752, dans Grenier (dir.), Papiers Contrecœur...,
p. 14. Il est intéressant de noter entre ces deux lettres que Varin écrit
être à Québec un jour après avoir écrit une lettre de Montréal. Il est à se
demander s’il s’agit d’un lapsus, ou d’une lettre écrite en chemin entre les
deux villes.
[xv] Varin à Contrecœur. À Québec, le 17
octobre 1752, dans Grenier (dir.), Papiers Contrecœur...,
pp. 15-16.
[xvi] Bougainville, Écrits sur le Canada, p. 164
et Louis-Joseph de Montcalm (Édité
par Robert Léger), Le journal du Marquis de Montcalm,
Montréal, Éditions Michel Brûlé, 2007, p. 142.
[xxiii]
Duquesne à Contrecœur. À Montréal,
le 7 mars 1753, dans Grenier (dir.), Papiers Contrecœur...,
p. 23.
[xxiv]
Il est triste de noter que J.C.B. est contraint d’abandonner son fidèle
compagnon, perdu en pourchassant la piste d’un chevreuil, alors que son convoi
reprend la route. Somme quoi, l’armée n’attend pour personne. J.C.B., Voyage au Canada…, p. 97.
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