Je vous invite à écouter la récente entrevue de Julian Peters à l'émission Les Oreilles d'Anne au Canada. Julian travaille présentement sur un roman graphique au sujet de la Conquête. C'est avec grande anticipation qu'on attend sa parution!
[Billet mis à jour le 28 novembre 2017; 3 mars 2018; 16 avril 2021; 16 août 2021]
Récemment, la compagnie de nourriture pour chien Pedigree a fait diffuser cette pub :
Histoire vraie portant sur le chien de Howe, retourné à son propriétaire par ordre de Washington pendant la Révolution américaine. Meilleurs amis de l'homme, il n'est pas étonnant de savoir que de fidèles compagnons canins ont souvent été présents sur les fronts de guerre depuis les tout débuts de l'humanité.
Qu’en est-il pendant la guerre de Sept Ans?
En Europe, la présence de chiens est attestée même dans l’art, comme dans ce tableau inspiré d'une œuvre de Joseph Vernet.
Le chien est non seulement un compagnon, mais se démontre utile sur le champ de guerre. Les chiens de traîne, par exemple, ne datent pas d’hier. En Amérique, un des meilleurs témoignages sur la présence de chiens dans l’armée est celui du canonnier Joseph Charles Bonin, dit Jolicœur (J.C.B.), en voyage avec sa compagnie dans la vallée de l’Ohio en 1754 :
Un jour que nous faisions halte à terre sur le bord de cette rivière en descendant, nous aperçûmes plusieurs chevreuils et daims dont les environs abondent, je pris mon fusil moi quatrième dans l’intention d’en tuer au moins un. J’avais avec moi mon chien [Ce chien que j’avais depuis deux ans et qui m’avait coûté trois cents francs, m’avait gagné, par sa force et son industrie, déjà deux cents francs. Sans compter les autres services qu’il m’avait rendus, en me traînant avec ma traine sur la neige et la glace.] animal très ardent et plein de vigueur, qui après avoir reconnu la piste d’un chevreuil se mit à sa poursuite plus longtemps qu’il ne fallait, car l’heure de s’embarquer étant arrivée, j’appelais inutilement mon chien qu’il n’était pas en mon pouvoir d’attendre puisque j’étais obligé de suivre les autres pirogues. Enfin après avoir fait une lieue environ sur la rivière j’aperçus mon chien sur le haut des montagnes escarpées d’où il ne pouvait descendre pour me rejoindre, je fus donc forcé de l’abandonner, non sans beaucoup de regret, persuadé qu’il ne pouvait que mourir de faim et être la pâture de quelques animaux voraces.
Bougainville écrit d'ailleurs en février 1757 au sujet des rations et de l'équipement:
Les vivres ont été données pour douze jours, en pain, lard et pois sur le pied de la ration de campagne. L’officier a en plus trois pintes d’eau-de-vie et deux livres de chocolat. Chacun d’eux a composé son équipage de chiens destinés à tirer les traînes, quelques-uns même ont emmené des chevaux. Les chiens lors du départ coûteraient jusqu’à 100 frs [francs].
Montcalm écrit cette observation dans son journal:
Les officiers qui seront les plus heureux seront ceux qui auront le moins cherché leurs commodités et qui, pour n'avoir pas la peine de traîner eux-mêmes, n'ont pris que des gros chiens au lieu de chevaux, qui sont accoutumés à traîner jusqu'à cent cinquante ou deux cents. Le Roi en passe ordinairement un à chaque officier et le lui paye trente livres; et lorsqu'il doit y avoir des partis d'hiver, ces sortes de chiens deviennent hors de prix, comme les cheveux chez les maquignons. Il s'en est vendu jusqu'à soixante et quatre-vingt livres pièce; et, comme dans cette occasion on agit à l'envie des uns des autres, il a tel officier qui a acheté jusqu'à six chiens.
Dans son journal, Pierre Passerat de la Chapelle fait mention de l’utilisation de chiens alors qu’il se prépare à rejoindre La Nouvelle-Orléans à partir du Pays des Illinois en plein hiver 1761 :
Je donnai des instructions aux gradés pour les préparatifs du départ, la répartition des vivres et des charges sur les traîneaux. J’achetai aux sauvages des peaux de bison préparées pour recouvrir les charges des traîneaux et pour le campement. Je demandai aux sauvages de me fournir des guides en nombre suffisant pour la route. Ils m’en envoyèrent cinquante, douze traineaux et dix chiens de trait.
En hiver, les chiens de traîne sont particulièrement utiles.
Source : CLUNY, Alexander. The American Traveller […]. Londres, E.
and C. Dilly,…, and J. Almon…, 1769. Frontispice.
Toujours dans le journal de La Chapelle, nous y trouvons une perle qui ferait sourire maints professeurs à l’école élémentaire. Alors qu’il est question d’un reçu de remboursement pour diverses fournitures, le commandant du fort de Chartres, Pierre-Joseph Neyon de Villiers, feint l’avoir perdu : « Je me souviens, j’ai retrouvé votre traite dans la gueule de mon chien et vous l’ai renvoyée par mon esclave. Par conséquent, je ne suis pas payé. » Il se sert de l’excuse non seulement avec de La Chapelle, mais répète l'histoire au gouverneur de la Louisiane.
Plus ça change, plus c’est pareil…
Sans oublier que les chiens ne sont pas toujours fidèles, comme le révèle cette anecdote arrivé en avril 1758 et rapporté par le Britannique John Knox: “a white dog swam a-cross Allen’s river, and deserted from the enemy to us; we have given him the name of Tripon, for his infidelity to his late masters”.
D'ailleurs, Knox démontre que même les Britanniques remarquent les chiens canadiens:
It is whimsical enough to see what servitude is exacted even from the dogs in this country; in the winter, one of these animals, seemingly of the Newfoundland breed* [*I would not be understood to confine all the canine species throughout Canada to this breed alone, for they have of every kind, large and small, of the ordinary cast, as in other countries; but this sort seems to be more general, on account of the services which they are able to perform, particularly at this season.], naturally strong, and nearly in size to a well-grown sheep, is yoked, by a regular set of harness, to a sleigh suitable to his bulk and strength, on which they draw wood, water, &c. and, when employed in this manner, may be said to resemble horses in miniature: I have seen one of these creatures draw a cask of water from fifteen to twenty gallons, or an equal weight of wood, from one extremity of the lower town to the upper, which is a constant ascent; when he is tired, he casts a piteous look towards the driver, who understands the signal; and, if it is on the pinch of a hill, the man places his foot, or something else, behind the sleight, to prevent its running backward; which the dog immediately perceiving, and not before, lies down in his harness for a few minutes to rest; at other times, he will whimper under his load when he wants to be refreshed, particularly if his driver is not attentive to him; and then he is sure to be indulged*. [*In some of the Russian territories, and, if I mistake not, it is at Tobolski, the capital of Siberia, the ordinary method of travelling, during the winter season, is in sleigh-carriages; to one of which they yoke a pair of dogs, who will draw a load of three hundred pounds of weight with surprising expedition.] In passing through the streets yesterday, as our soldiers were drawing, in like manner, their loaded sleighs from the magazine of wood, they met two dogs also under their drudgery; some of the men commiserated the poor animals, and others merrily called them by the epithets of comrade, yoke-mate, brother hack, &c. asking them what allowance of pork and rum they got per day? with many other pleasantries, which they concluded by inviting the peasant and his dogs to dine with them, telling the man where their barrack was, and the number of their mess. — I was in company when these circumstances were mentioned in the presence of the Governor, who, though he expressed himself like a tender parent towards his brave soldiers for their immense, yet unavoidable, hardships, could not forbear laughing at their humour, and admiring the alacrity and steadiness displayed by the poor fellows in this rigorous climate, and their very laborious situation; […] (Knox,
An Historical Journal, 2:240-41)
Bref, il ne s’agit ici que de quelques exemples de la présence de chiens dans la vie militaire au XVIIIe siècle en Nouvelle-France. C’est une question qui mérite certainement un article, un jour! Entre temps, j'invite mes lecteurs à lire les sources et lectures suggérées ci-dessous.
Sources :
Bougainville, Louis-Antoine de, Écrits sur le Canada, Québec, Septentrion, 2003, p. 168.
Delâge, Denys, « Microbes, animaux et eau en Nouvelle-France », Globe: Revue internationale d’études québécoises, Vol. 9, nᵒ 1 (2006), p. 113–139.
Delâge, Denys, « «Vos chiens ont plus d’esprit que les nôtres»: histoire des chiens dans la rencontre des Français et des Amérindiens », Les Cahiers des dix, nᵒ 59 (2005), p. 179–215.
Gagné, Joseph. Inconquis. Deux retraites françaises vers la Louisiane après 1760. Québec, Septentrion, 2016. p. 176, p. 206 et p. 215.
J.C.B. (Édité par l’abbé H.R. CASGRAIN). Voyage au Canada dans le nord de l’Amérique septentrionale fait depuis l’an 1751 à 1761 par J.C.B. Québec, Imprimerie Léger Rousseau, 1887. p. 97.
Knox, John. An Historical Journal of the Campaigns in North-America, for the Years 1757, 1758, 1759, and 1760 [Etc.]. Vol. 1 et 2. Londres, W. Johnston, 1769.
Montcalm, Louis-Joseph
de (Édité par Robert Léger), Le
journal du Marquis de Montcalm, Montréal, Éditions Michel Brûlé, 2007, p. 146.
Tiger, Caroline. General Howe's Dog: George Washington, the Battle for Germantown and the Dog Who Crossed Enemy Lines. Chamberlain Bros, 2005. 176 p.