Guerriers Iroquois par L.F. Labrousse dans Labroque 1796 Encyclopédie des voyages |
Je me suis enfin remis à lire les mémoires de Charles Bonin. Je vous reproduis ici sa description du "scalpage" ("tirer chevelure") pendant la guerre de Sept Ans :
L’usage général lorsqu’un parti a fait un ou plusieurs prisonniers s’il ne peut les amener, il les tue à coups de casse-tête (petite hache dont il a été parlé plus haut) qui se frappe sur la tête. Le sauvage qui en a porté deux ou trois coups, prend aussitôt son couteau dont il fait une incision autour des cheveux, depuis le haut du front jusqu’à la marque du cou; mettant ensuite un pied sur l’épaule de la victime dont il a tourné le ventre contre terre, il lui tire à deux mains la chevelure de derrière en avant, ainsi qu’il a déjà été dit plus haut en parlant de la danse de la découverte. Cette opération qui est très prompte n’est pas plus tôt achevée que le sauvage l’attache à sa ceinture et continue sa route, cependant on n’emploie ce moyen que quand le prisonnier ne peut pas suivre celui qui l’a pris, ou que le sauvage est poursuivi et que dans ce dernier cas il veut rapporter des marques de sa bravoure, et alors, après avoir promptement levé la chevelure, il fait le cri de mort […] et se sauve à toutes jambes. Le cri de mort est un avertissement de bravoure que les sauvages ne manquent pas de pratiquer, après avoir levé la chevelure, les anglais nomment cela scarpeler.
Lorsque la chevelure est levée et que celui qui a fait cette action ne craint pas qu’on le poursuive, il s’arrête, gratte la peau pour la nettoyer du sang et des fibres qui y sont attachés ; il la fait ensuite sècher un peu au soleil, après avoir fait un petit cerceau de bois vert autour duquel il étend la peau comme un tambour de basque et la peint en rouge les cheveux en dehors sont peignés. La chevelure arrangée, on l’attache au bout d’un long bâton qui est porté comme en triomphe sur une épaule, jusqu’au village, ou le lieu qu’il veut la déposer, mais à l’approche de chaque lieu qu’il passe il fait avant d’y arriver autant de cris qu’il a de chevelures pour annoncer son arrivée et sa marque de bravoure. On attache quelquefois jusqu’à quinze chevelures sur le même bâton et lorsqu’il y en a beaucoup, on garnit plusieurs bâtons.
Les Français et les Anglais avaient pour maxime de payer ces chevelures, jusqu’à concurrence de trente francs valeur en marchandises, il s’agissait alors d’encourager les sauvages à en faire le plus qu’ils pourraient sur l’ennemi et pour avoir la certitude du nombre des vaincus; ce moyen de précaution a fait naître, soit naturellement ou par insinuation, la ruse chez les sauvages, qui pour augmenter la rétribution qu’ils tiraient des chevelures s’avisèrent d’en faire de peau de cheval qu’ils préparaient de la même manière que la chevelure de l’homme. Cette supercherie reconnue donna lieu d’y regarder de plus près, avant de parvenir au paiement, de sorte que les Français et les Anglais ont fini par ne plus payer que très peu de chose par forme de présents. Il est honteux pour l’humanité d’employer des moyens aussi barbares, il est pourtant vrai de dire que cette invention appartient seule aux sauvages qui en faisaient usage entre eux avant de connaître les nations policée. C’est donc de la barbarie que provient cet horrible usage pratiqué chez les sauvages seuls, car il ne paraît pas avoir existé chez aucune autre nation, même celles qui comme eux n’ont reçu aucun principe de civilisation.
Scalp, 1750-1850. British Museum. Source ici. |
Lectures suggérées :
- J.C.B. (Édité par l’abbé H.R. Casgrain). Voyage au Canada dans le nord de l'Amérique septentrionale fait depuis l'an 1751 à 1761 par J.C.B. Québec, Imprimerie Léger Rousseau, 1887. 255 p.
- Lozier, Jean-François. « Lever des chevelures en Nouvelle-France : la politique française du paiement des scalps ». Revue d’histoire de l’Amérique française, Vol. 56, nᵒ 4 (2003). pp. 513–542.